Estonie : un gouvernement européen de plus s’allie à l’extrême-droite

, par Alexis Vannier

Estonie : un gouvernement européen de plus s'allie à l'extrême-droite
Crédits photo : Bex Walton / Source : Flickr Le parlement estonien ou Riigikogu.

Un mois aura suffi à l’Estonie pour se trouver un gouvernement, après les élections législatives du 3 mars 2019. Comme en Lettonie voisine, le parti victorieux a été écarté du gouvernement et, comme en Lettonie, l’extrême-droite fait son entrée au gouvernement.

Estonie : une bonne santé économique mais une gouvernance difficile

Le pays, réputé pour son avancée dans le domaine des technologies, le vote électronique y a été introduit en 2005, fait figure de bon élève dans l’économie européenne. Avec une dette représentant 9,5% du PIB (quand en France elle en représente plus de 95%), un taux de chômage aux alentours des 5% et une 18ème place dans le classement mondial de la corruption, la stabilité économique de l’Estonie fait des envieux. Cette situation contraste avec les remous que connait la politique du pays depuis trois ans.

Les dernières élections en 2015 ont vu la victoire du parti centriste de la réforme (ERE) et de son jeune chef de file, Taavi Rõivas, qui a formé une coalition avec les sociaux-démocrates (SDE) et les conservateurs de l’Isamaa (IRL). Néanmoins, un vote de défiance de ses alliés en 2016 fait chuter le gouvernement. C’est alors Jüri Ratas du Parti du centre (EKE), actif dans la protection de la minorité russe, qui est nommé en reprenant les mêmes alliés félons et qui se hisse au poste de Premier ministre sans être élu.

Au même moment, le Riigikogu (assemblée parlementaire) entame un sixième tour pour élire le Président de la république d’Estonie. En effet, six tours ont été nécessaires aux députés, entre août et octobre 2018, pour trouver un remplaçant au charismatique Toomas Hendrik Ilves. Éliminant les 11 candidats en lice, c’est finalement l’ancienne conservatrice Kersti Kaljulaid qui a obtenu les faveurs du parlement. Les élections de mars 2019 promettaient donc d’être mouvementées.

Les libéraux en tête mais l’extrême droite en embuscade

La campagne des législatives est « terne » et ne passionne pas les foules. Elle se concentre sur des sujets du quotidien : les impôts, les retraites et l’enseignement du russe à l’école. Même une affaire visant directement le parti au pouvoir, le Parti du centre, ne semble avoir eu aucun impact sur les sondages.

Le soir du 3 mars 2019, avec une participation stable à 63,5%, la coalition au pouvoir perd 8 sièges, malgré la relative stabilité du parti du centre (-1 siège), le Parti de la réforme, évincé lors d’une motion de censure en 2015, remporte ces élections en engrangeant 29% des voix et 34 sièges. Mais la surprise vient de l’extrême droite : le Parti populaire conservateur (EKRE) devient la troisième force du pays et bondit de 12 sièges à 19, sur les 101 que compte le Riigikogu.

La présidente Kaljulaid charge donc la cheffe des réformateurs, Kaja Kallas, de former un gouvernement. Kallas propose une alliance avec le Parti du centre, délaissant ses anciens alliés de gauche et de droite en raison des fortes tensions qui existent entre eux, avant de revenir sur sa décision devant le refus des centristes de constituer un gouvernement. Ces derniers se justifient en invoquant les divergences sur la fiscalité. Alors que les négociations s’enlisent, le premier ministre sortant Jüri Ratas prend l’initiative et approche les conservateurs et les populistes d’EKRE, alors qu’il avait lui-même rejeté toute alliance avec les « nationalistes d’EKRE » auparavant, court-circuitant ainsi les efforts des réformateurs de l’ERE.

Ce rapprochement avec l’extrême droite, qualifié d’opportuniste par certains, suscite de nombreuses critiques et même des départs dans les rangs même du parti centriste. Guy Verhofstadt, le président du groupe des démocrates et libéraux au Parlement européen (ALDE), et Jüri Ratas se sont d’ailleurs livré à une petite passe d’arme à ce sujet.

Le parti d’extrême droite EKRE est en effet connu pour participer à des marches pour l’indépendance de leur pays, aux côtés d’ultranationalistes et de fascisants baltes.

Climatosceptique, le parti réfute également le tracé des frontières avec la Russie, issue de la première indépendance du pays en 1918.

Scellée officiellement le 7 avril 2019, la coalition tripartite centre/droite/extrême-droite formée de 57 députés enjambe ainsi les libéraux, pourtant sortis vainqueurs des élections. L’accord de gouvernement prévoit notamment le gel des impôts, la hausse des retraites et l’interdiction des semences génétiquement modifiées. Néanmoins, Jüri Ratas a réussi à faire écarter une proposition du parti d’extrême qui visait à mettre fin au financement public de l’avortement. Ce programme n’a aucune incidence sur l’appartenance du pays à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et à l’Union européenne, à laquelle les habitants restent profondément attachés.

L’exemple de l’Estonie montre une fois de plus que l’extrême droite s’enracine en Europe et dans les gouvernements, modérant tout de même les arguments de ces derniers quant à la sortie de l’Union européenne, l’exemple chaotique du Brexit refroidissant sûrement les ardeurs de certains…

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