Un destin viscéralement européen
La Slovénie a tout pour être l’un des membres modèles de l’Union européenne : après avoir pris son indépendance de la Yougoslavie en 1991 au terme d’une guerre-éclair quasiment sans victime, le pays a immédiatement clamé haut et fort son désir de rejoindre le giron européen. Malgré quelques retards dans les négociations, il entrera dans le club en 2004 en même temps que sept autres pays d’Europe centrale et baltique, Malte et Chypre.
Les quelque six années qui suivront marqueront une histoire à succès pour la « Suisse des Balkans » : son développement explose, le taux de croissance atteint jusqu’à 6,9% en 2007, de nombreuses entreprises étrangères s’implantent sur le territoire, ce que confirme le succès d’un modèle économique tourné vers les exportations. L’appellation de « tigre d’Europe centrale » fait régulièrement son apparition dans le débat public.
Malgré quelques inquiétudes sur plusieurs questions liées au traitement de ses minorités – Roms, anciens ressortissants d’autres républiques yougoslaves –, le pays fait figure de modèle de développement démocratique. Une alternance saine entre droite et gauche permet un renouvellement régulier des idées en sus d’une classe politique quasi-intégralement pro-européenne et dévolue à l’objectif d’une Union sans cesse plus étroite.
Souffle coupé
L’élan ayant suivi l’intégration européenne de la Slovénie a pourtant connu un coup d’arrêt. La crise économique et financière la frappera de plein fouet, couplée à une méfiance croissante dans les élites politiques. Le climat d’instabilité gouvernementale, permanente depuis 2010, concentre les énergies du pays sur ses problèmes intérieurs et sur la reprise. Les réformes structurelles des services publics – santé, université, justice –, les infrastructures et les questions migratoires arrivent aux écrans radars, au détriment d’une réflexion de fond sur la position du pays en Europe.
Et pour cause : après sa présidence réussie du Conseil de l’Union européenne, en 2008, la Slovénie a progressivement perdu l’expertise qu’elle avait acquise concernant le fonctionnement des institutions, sa maîtrise des dossiers et ses nouveaux réseaux. L’administration a également interrompu sa collaboration avec de nombreux cadres, qui ont poursuivi leur carrière dans le secteur privé ou à l’étranger. [1]
Quant aux ambitions européennes de la Slovénie, elles se sont depuis 2008 très souvent limitées à la résolution de disputes bilatérales avec ses voisins et à l’adoption des règles dictées par Bruxelles. Un manque de réflexion stratégique qui aura son prix : selon une récente étude du European Council on Foreign Relations, la Slovénie se voit décerner le titre peu enviable de « pays le moins influent dans l’UE », aux côtés de la Croatie, Malte et la Lettonie.
Une nouvelle période d’euroscepticisme
Qu’en est-il de l’état d’esprit des Slovènes ? Nombreux voient Ljubljana comme un « bon élève de la classe européenne », europhile, rarement opposé aux réformes préconisées par Bruxelles et désireux de faire partie du « noyau dur » de l’intégration européenne. Le Président de la République, le social-démocrate Borut Pahor, ne fait pas mystère de son intention de se rapprocher de Paris et de Berlin – il est le seul chef d’État actuellement en poste au sein de l’Union européenne à appeler explicitement de ses vœux aux « États-Unis d’Europe ».
Pourtant, la réalité est nettement plus nuancée. Selon un récent sondage « Eurobaromètre », la Slovénie se situe dans les pays les plus eurosceptiques : seuls 44% des Slovènes tendent à faire confiance à l’Union européenne, contre 50% tendant à s’en méfier. Un résultat similaire à celui de sa voisine orientale, la Hongrie, mieux que la France et l’Italie, mais moindre que l’Allemagne, la Roumanie ou encore la Bulgarie. Le fédéralisme y déplace encore moins les foules qu’ailleurs, et rappelle parfois avec méfiance la Yougoslavie socialiste.
La réputation de l’Union européenne a été ternie au fil des crises économiques, bancaire, budgétaire et politique qui ont secoué le pays. L’opinion et la classe politique sont parfois échaudées par de récentes affaires où Ljubljana n’est pas parvenue à tirer son épingle du jeu bruxellois : différends sur sa frontière maritime, conflit avec la Croatie sur l’appellation d’un cépage national, privatisation de la première banque du pays.
Une nouvelle société civile pro-européenne en émergence ?
En forçant le trait, l’Europe pourrait pourtant peut-être avoir besoin d’un pays comme la Slovénie : une terre d’échanges et de tolérance, qui a su conserver son identité contre vents et marées malgré les dominations vénitienne, habsbourgeoise, yougoslave. Un territoire qui, conscient de sa taille et de ses capacités limitées, n’a pas d’autre choix pour sa survie que le jeu de la coopération et ne peut aucunement s’offrir le luxe d’un « grandiose isolement ».
Le pays ne manque d’ailleurs pas d’expertise : nombreuses sont les politiques – environnement, économie circulaire, gestion des frontières extérieures de Schengen, élargissement – où Ljubljana pourrait se doter sinon d’une position de leadership, à tout le moins d’une voix respectée et reconnus sur ces dossiers. Ce possible rôle de « meneur thématique » dépend bien sûr des moyens, humains, financiers et stratégiques, qui seront mis en œuvre par le nouveau gouvernement de centre-gauche, entré en fonctions en septembre dernier.
L’Europe s’y fait aussi par sa société civile et ses jeunes : après plusieurs années de morosité, en 2017, les « Jeunes Européens [fédéralistes] » de Slovénie y renaissaient de leurs cendres, mus par le désir de remettre l’Europe, le fédéralisme et les valeurs européennes au premier plan d’un débat public où elle n’a été que trop absente au cours des cinq dernières années. Un mouvement inspiré par d’autres initiatives, et qui pourrait lui-même faire des émules.
Le cas slovène est révélateur du rôle clé que les petits États membres pourront avoir lorsqu’il sera temps de façonner l’Europe de demain. Deux questions s’imposent : comment la construction européenne peut-elle continuer à leur bénéficier ? Et comment peuvent-ils mettre leur potentiel au service même de la construction européenne ?
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