État de droit : Le Parlement européen condamne l’inaction de la Commission

, par Sophia Berrada

État de droit : Le Parlement européen condamne l'inaction de la Commission
Monika Hohlmeier (PPE, Allemagne) lors du débat sur la situation de l’état de droit dans l’Union européenne et l’application du règlement relatif à la conditionnalité, le 9 juin, à Strasbourg

L’escrime se poursuit entre le Parlement européen et la Commission autour de la question de la conditionnalité liée à l’état de droit. Voilà cinq mois que le règlement est entré en vigueur, et malgré la multiplication des rapports soulignant les dérives de certains Etats membres en la matière, la Commission européenne n’a toujours pas dégainé ce nouveau fleuret législatif. Une situation que le Parlement européen a déplorée, le 9 juin dernier lors de la session plénière, renouvelant ses mises en garde contre l’exécutif et le menaçant d’une action en justice.

Le mécanisme conditionnant l’octroi des fonds européens au respect de l’état de droit avait déjà connu nombre de péripéties dès son arrivée en juillet à la table des négociations sur le plan de relance européen. La Hongrie et la Pologne, où les principes démocratiques sont rognés depuis plusieurs années, avaient commencé par poser leur veto. La menace d’un plan de relance à 25 les excluant, et leur dépendance aux deniers européens les ont fait le lever, le 11 décembre dernier à la condition que la Cour de Justice de l’UE en confirme la légalité. Depuis le 1er janvier, l’Union européenne peut ainsi décider d’interrompre les versements de fonds européens à un Etat membre en cas d’infraction aux valeurs démocratiques de l’UE. Pourtant, elle n’a encore rien entrepris dans ce sens.

Consensus dans l’hémicycle pour protéger l’état de droit et le budget de l’UE

De La Gauche au PPE, une large majorité d’eurodéputés s’est indignée de cette inertie lors de la session plénière du 9 juin. “Il est temps que l’UE réponde à une question : sur quelles valeurs s’appuie-t-elle ? Le respect des droits de l’homme ou seulement les autoroutes ? Quels sont nos fondamentaux ? L’égalité, la dignité de tous ou la PAC ? Que voulons-nous défendre ? Les femmes victimes de violence ou seulement l’économie en cas de crise ? La Commission européenne, en tant que gardienne des traités, doit lutter pour l’état de droit.” a déclaré Sylwia Spurek (Verts, Pologne).

Nombre de parlementaires ont rappelé les torts étayés de la Hongrie et de la Pologne. “Fin mars, la Cour a décidé que les modifications du système judiciaire [polonais] étaient contraires aux traités puisqu’un mécanisme de contrôle essentiel était manquant. Depuis mai, la Cour des droits a considéré que la Constitution elle-même était marquée d’illégalités”, a énuméré Birgit Sippel (S&D, Allemagne), “En ce qui concerne la Hongrie, on a constaté que des changements substantiels à la législation étaient essentiels pour éviter des fraudes systématiques dans l’utilisation des fonds.”, évoquant le niveau élevé de corruption dans ces deux États membres. Les multiples entraves à la liberté de la presse ont aussi été déplorées par plusieurs eurodéputés. “Chaque jour que nous attendons, les démocraties et l’état de droit meurent un peu plus”, a averti l’eurodéputée Sophia In’t Veld (Renew, Pays-Bas), pour qui “Tout retard est coupable.”

Les lignes directrices de la discorde

Le litige entre l’exécutif européen et le Parlement tient à une promesse faite par la Commission à la Hongrie et à la Pologne dans le compromis scellé en décembre dernier : le mécanisme ne sera pas déclenché tant que des lignes directrices n’auront pas été présentées concernant son utilisation. Le Parlement européen n’y voyait pas grand intérêt, estimant que rien, dans le cadre réglementaire, n’obligeait à la rédaction de ce genre d’orientations, et a sommé la Commission de rendre leur copie dans les plus brefs délais.

Lors de la session plénière du mois de mars, les eurodéputés commençaient déjà à s’impatienter. Une première résolution avait été votée, enjoignant la Commission à leur faire parvenir les fameuses lignes directrices avant le 1er juin, date à laquelle un manquement serait perçu par l’assemblée comme un affront.

“Cela fait six mois que nous attendons les lignes directrices. Certes il faut être prudent. Mais là ce n’est plus être prudent, c’est plutôt ne pas vouloir agir” a dénoncé Isabel García Muñoz (S&D, Espagne). Plusieurs eurodéputés du groupe Renew, à l’instar de Moritz Körner, y voient même “une manœuvre de diversion de la part du Conseil.” La présidente de la commission du budget, Monika Hohlmeier (PPE, Allemagne), plus compliante, s’est adressée à la Commission : “Présentez ces lignes directrices et la méthodologie correspondante, et veuillez informer le Parlement des affaires et des cas concrets sur lesquels vous travaillez. Il est essentiel que le Parlement en soit informé pour que l’on n’ait pas de mauvaises impressions quant à ce qui est prévu et ce qui est en train de se passer.”

Le règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit est il politique ?

Si les eurodéputés s’insurgent en chœur de l’apathie de la Commission, leurs motivations peuvent sur certains points diverger. Les Verts aimeraient que le règlement de conditionnalité puisse être activé à temps, compte tenu du calendrier électoral hongrois (les prochaines législatives se tiendront à l’horizon printanier 2022). “Votre inaction permet à Orban d’acheter le soutien de ses électeurs avec de l’argent européen, de contrôler les médias pendant la campagne. Votre inaction fait que l’opposition ne peut pas contester de manière libre les élections en Hongrie” a dénoncé l’eurodéputé Daniel Freund (Verts, Allemagne). Au contraire, Monika Hohlmeier a tenu a rappeler qu’“Il ne s’agit pas d’un instrument partisan, il doit être appliqué de façon adéquate et neutre, et non pas d’une façon ou certains essaieraient de s’en absoudre alors que d’autres voudraient l’utiliser de façon électoraliste.”

Gilles Lebreton (ID, France) et son groupe, estiment que la majorité au Parlement européen, et même le mécanisme de conditionnalité “stigmatisent de façon caricaturale deux États” et que “l’UE ne survivra pas si elle persiste à violer la souveraineté, l’identité nationale et les traditions constitutionnelles et culturelles de ses Etats membres.” Son collègue Ádám Kósa (Slovaquie) y voit même “une chasse aux sorcières menée par la gauche vis-à-vis de ces pays.”

L’état de droit : quels pouvoirs des institutions ?

Lors de son intervention à la fin du débat le Commissaire au budget, Johannes Hahn, a répondu à l’agacement des eurodéputés : “Je dois dire que certaines interventions me frustrent tout particulièrement, d’autant que j’ai participé à la proposition faite par la Commission en 2018 visant à créer ce mécanisme. Je suis on ne peut plus motivé à la mise en œuvre de ce dispositif. Simultanément je veux m’assurer de son bon fonctionnement dès le premier jour.” et a appelé à l’unité entre les institutions.

Ce débat de session plénière a aussi été l’occasion pour des eurodéputés de rappeler le poids politique de leur institution. “En état de droit, quand le Parlement décide, la Commission doit s’exécuter.” a déclaré Younous Omarjee (GUE, France). Des propos de la même veine que ceux de Katalin Cseh (Renew, Hongrie) : “Si la présidence de la Commission était directement élue au suffrage universel, elle serait obligée de répondre immédiatement de son incapacité à agir. Alors que ce Parlement représente des millions de citoyens et ne cédera pas tant que le mécanisme ne sera pas appliqué”. Le président de l’hémicycle, David Sassoli, est donc chargé de remettre la résolution à la Commission européenne. Celle-ci dispose d’un délai de deux semaines pour prouver au Parlement européen sa volonté d’agir de manière décisive pour défendre l’état de droit, faute de quoi il saisira la Cour de justice de l’UE.

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