Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

, par Fabien Cazenave

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Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd'hui
Pro-européen et anti-européen, ce clivage est-il encore d’actualité ? - European External Action Service (CC/Flickr).

Tout le monde se dit « pro-européen » aujourd’hui. Personne ne dit plus officiellement qu’il ou elle veut sortir de l’Union européenne. Par conséquent, qu’est-ce qui différencie les acteurs politiques sur l’Europe ? Leur approche confédérale ou fédérale de l’Europe.

Quand on dit que Marine Le Pen est pro-européenne, cela choque toujours un peu. Mais son discours s’est largement aseptisé dans son optique de dédiabolisation. Elle ne tire aucune conséquence de ses revendications certes, mais dans la confusion intellectuelle autour de l’Europe de nos jours, cela finit par passer. Ainsi Bernard Monot, eurodéputé FN, lors de l’émission 500 millions d’Européens, a pu déclarer tranquillement « Le Royaume-Uni n’a aucune raison de sortir de l’Union européenne. Ils ont un statut dérogatoire privilégié que nous revendiquons nous au niveau de la France de Marine Le Pen : nous voulons avoir notre monnaie, notre banque centrale, contrôler nos frontières, notre budget et notre système bancaire » (à partir de 22’).

A force de faire des compromis byzantins pour emmener tout le monde dans la barque européenne, les anti-européens peuvent se faire passer pour des pro-européens. Et du reste, la frontière est de plus en plus mince entre les discours des nationalistes et des personnalités politiques qu’on disait pro-européennes alors qu’elles ont une vision de l’Europe où ce sont les dirigeants nationaux au sein du Conseil européen qui doivent décider de tout. Un Nicolas Sarkozy rétablissant les frontières avec l’Italie au moment de Lampedusa est-il vraiment différent de ce que ferait Marine Le Pen au pouvoir ?

Certes il ne remettrait pas en cause l’euro. Il semble que la monnaie unique reste un des derniers symboles séparant certains pro-européens des nationalistes déguisés en pro-européens. Les anti-européens ont compris que l’Europe était devenue une réalité autant historique que pratique pour les citoyens. Aujourd’hui, on s’étonne quand on va dans un pays de l’Union européenne n’ayant pas l’euro ou quand on appelle un ami dans un autre pays et qu’il y a derrière une surfacturation par notre opérateur téléphonique (le fameux « roaming »). Les frontaliers râlent ainsi tous les jours devant les bouchons liés au retour des contrôles aux frontières avec la mise en place de l’Etat d’urgence. Les anti-européens n’ont donc aucun intérêt à rappeler leur volonté de casser l’Europe et parlent donc d’une « autre Europe », source évidemment de tous les bonheurs.

Les confédéralistes contre les fédéralistes

Mais alors si tout le monde est pro-européen, comment différencier les partisans de l’Europe des autres ? Car nombreux sont les eurosceptiques à avoir les faveurs des médias tout en étant présenté comme des pro-européens « raisonnables ». Hubert Védrine, par exemple, attaque régulièrement l’Union européenne, non pas pour aller plus loin mais au contraire pour arrêter tout processus d’intégration. C’est le fameux « les peuples d’Europe ne sont pas prêts » si souvent utilisé pour bloquer tout débat sur comment faire aboutir la construction européenne.

Or, sous prétexte qu’on les dit pro-européens, on en vient à taxer les fédéralistes « d’ultras ». Nous serions devenus des pro-européens « déraisonnables », qui vont « trop loin ». C’est parce qu’il faut bien nous différencier des autres pro-européens habituels. Or, maintenant que tout le monde est pro-européen, nous devons réclamer qu’on appelle les autres pro-européens non fédéralistes pour ce qu’ils sont : des confédéralistes.

Vouloir l’Europe des Etats (comme Merkel ou De Gaulle) ou des Nations (version Le Pen), c’est à peu près la même idéologie : la souveraineté reposant au niveau national, c’est aux dirigeants nationaux de décider ce qu’ils font ensemble ou à quelques-uns. Or, les fédéralistes estiment au contraire que ce qui doit être décidé au niveau européen n’est pas du ressort des souverainetés nationales mais de la souveraineté des citoyens européens directement. Il est désormais essentiel d’appeler « confédéralistes » les autres pro-européens.

La grille de lecture des citoyens est déjà faussée. Nombreux sont en effet ceux expliquant qu’ils veulent faire l’Europe mais pas partager avec les autres. En France, on stigmatise les Roms comme s’il n’y avait jamais eu de fraudeurs français. En Slovaquie, on refuse de recevoir une part des réfugiés mais on est prêt à recevoir les fonds européens. Au Royaume-Uni, on adore passer sa retraite dans un pays du continent, mais on ne veut pas accueillir d’autres travailleurs « de l’Est ». Et les exemples sont nombreux.

Il faut remettre le débat sur l’Europe sur de vrais rails : confédéralisme contre fédéralisme. Ce sera difficile car les partis politiques (européens et nationaux) mélangent les deux courants. Mais si nous ne le faisons pas, ce sont les anti-européens qui gagneront la bataille des mots. Et donc les prochains votes.

Vos commentaires
  • Le 22 janvier 2016 à 13:20, par Valéry En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Merci Fabien pour cette mise au point !

    Dans le même ordre d’idée lire Pourquoi les eurosceptiques ne sont pas les pires adversaires des fédéralistes européens

  • Le 22 janvier 2016 à 18:25, par Mathieu FOURNIER En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Je partage complètement cette analyse. Les partis sont traversés par le clivage fédéralistes/confédéralistes. Et les médias qui continuent de distinguer des pro-européens et des eurosceptiques contribuent à brouiller les clivages. Les citoyens ne s’y retrouvent plus.

    Je considère pour ma part que la distinction au sein des confédéralistes entre ceux que j’appellerais les Unionistes (partisans de l’Europe des Etats, de la méthode intergouvernementale) et les Souverainistes (partisans de l’Europe des Nations) a un sens, même si la ligne de clivage est poreuse sur certains sujets. Quand aux fédéralistes, ils doivent se rassembler à travers les clivages actuels. Ceux-ci me semblent par ailleurs artificiels.

    Je pense, et j’espère, que les fédéralistes parviendront à trouver une plate-forme d’idées et de propositions communes, au-delà des lignes de clivages actuelles. Ils partagent déjà les mêmes valeurs fondamentales, ainsi que les mêmes objectifs. C’est déjà l’essentiel.

  • Le 22 janvier 2016 à 20:23, par Pierre Barnier En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Tout à fait d’accord avec vous Fabien. Mais cette fédération européenne n’est vraiment pas en odeur de sainteté dans aucun pays ni aucun parti en France (sauf les verts) et on désespère de l’y voir un jour de notre vivant ! Aussi ne faut-il pas commencer par travailler concrètement une fusion politique de l’Allemagne et de la France en une fédération de départ (il n’y aurait plus alors que 28 pays dans l’UE, ça déblaye déjà le terrain..!) à laquelle se joindront immanquablement les pays qui ont véritablement l’envie de faire de l’Europe une CAUSE COMMUNE ? Sinon, cette Europe fédérale à 28 pays, vous la voyez, vous ? Si ça vous intéresse, je développe cette idée dans mon blog (http://citoyen-europe-monde.blogspot.fr/2016/01/blog-post.html) et j’ai publié une tribune dans l’Obs (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1464761-toutchanger-face-au-fn-et-si-l-allemagne-et-la-france-fusionnaient.html) qui m’a valu, comme je m’y attendais pas mal de sarcasmes. En tout cas je suis à votre disposition pour en parler.

  • Le 23 janvier 2016 à 10:44, par Bernard Giroud En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Au moment ou le plus grand pays du monde entre à nouveau dans l’histoire, au moment ou la technologie de la communication s’amuse des distances de la planète au pays le plus armé du monde, au moment ou ces roitelets du désert, milliardaires insignifiants aux fortunes colossalles, veulent soumettre les lumières du monde à leurs pratiques féodales, nous devrions préparer la sécurité de notre avenir pour l’assurer, avec beaucoup d’attention.

    Bâtir un nouvel ensemble cohérent, donc solidaire serait, non seulement pour nous, mais pour beaucoup, une liberté retrouvée, permettant de construire les bases d’un monde nouveau, changer nos manières d’être, et prendre le train d’un vrai futur.

    L’histoire avait pourtant bien commencé, qui mettait cote à cote les ennemis du passé, à partager leurs ressources intellectuelles et minières, avec la CECA, et réparer au plus vite, le plus grand désastre matériel et humain que la terre ait jamais connu.

    L’idée, sans aucun doute, était nouvelle, révolutionnaire même ! Pensez donc : C’est la première fois au monde que des peuples, par millions, s’assemblent sans guerre ; A chambouler entier les données séculaires !

    Et voilà qu’on remballe Strasbourg, le symbole de l’unification, au rang d’inadaptée et pesante . Se déplacer vers ce symbole, et l’utiliser intelligemment, est un véritable défi pour toute personne souhaitant conjuguer vie professionnelle et vie familiale ; Mieux, dans ce lieu de la paix, on devrait mieux « s’armer » pour être compétitif dans une grande région dynamique caractérisée par une concurrence farouche, entre le Luxembourg, les régions belges, les Länders allemands et les cantons suisses, et plus indirectement les Pays-Bas et les régions du Nord de l’Italie.

    On a donc tout compris, bien simplement ! Un certain nombre de « popols » sont mal placés à réussir ce pari d’un beau rêve : l’unification de l’Europe, reprendre notre destin en main. ils n’en ont pas la volonté ni donc, bien sur, la cervelle.

    Rétrécir le monde à son nombril, à sa chapelle, à un affrontement farouche, c’est nous condamner tous à l’épuisement, à l’insignifiance et à la soumission.

    Ho bien sur, dans cette nouvelle basse-cour, aux poules laborieuses, il y aura toujours, un ou deux petits coqs, auxquels le maitre bottera le cul pour les faire taire, ou pour les faire rôtir, quand il l’aura décidé, comme ils l’ont fait pour le canal de Suez.

  • Le 23 janvier 2016 à 23:24, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Si je partage ton analyse j’inciterais toutefois à la prudence sur la dichotomie fédération / confédération qui n’apporte de la clarté au débat qu’en apparence. En réalité elle ne fait que transposer au fédéralisme le cadre de la doctrine de l’État souverain que les premiers États fédéraux venaient ébranler. Face à l’idée d’une souveraineté une et indivisible de l’État contradictoire avec la réalité des États fédéraux les juristes ont fait entrer celui-ci dans le moule en formalisant cette distinction qui n’existait pas au 19e siècle : les auteurs qui se sont penchés à l’époque sur le fédéralisme utilisaient indifféremment les deux termes. La Confédération helvétique qui est bien un État fédéral vient rappeler que la distinction n’a pas toujours été aussi simple.

    En adoptant une distinction qui relève d’une approche de droit international (Quelle est l’entité reconnue comme un État au sens des relations internationales) on ne considère qu’un aspect de la question du fédéralisme. J’ai tendance pour ma part à considérer qu’importent plus les aspects matériels (la fédération a-t-elle les moyens de mener des politiques publiques dans les domaines qui sont les siens) et institutionnels (l’architecture d’une fédération est-elle en place dans la répartition des compétences en entre plusieurs niveaux de gouvernement autonomes dans leurs domaines, le lien direct du citoyen à la fédération, etc.) que le statut de l’entité fédérale au regard du droit international.

    Cette observation n’enlève rien à la pertinence de ton propos puisque les soi-disant européistes de l’establishment ne sont certainement pas dans le camp progressiste sur les aspects que j’ai cité mais bel et bien dans le camp conservateur, celui des profiteurs de la souveraineté des États c’est à dire d’une approche corporatiste visant à maintenir le statut des détenteurs du pouvoir politique national plutôt que de faire évoluer les choses dans le sens de l’intérêt des citoyens européens.

  • Le 26 janvier 2016 à 16:59, par BUSNEL Rémi En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Bravo Fabien, tout à fait d’accord avec ton analyse. Juste une remarque toutefois : la plupart de nos concitoyens ne savent pas faire la différence entre fédéraliste et confédéraliste. Et ce n’est malheureusement pas les medias qui vont leur apprendre... Je propose donc d’être volontairement plus simple : Il y a les européens fédéralistes et les nationalistes ! Je sais, je ne fais pas dans la nuance et les distinctions subtiles entre souverainistes et intergouvernementaux sont plus justes. Malheureusement, nous ne sommes plus dans une civilisation de subtilité mais de communication. Alors entièrement d’accord avec toi : tout le monde peut se taxer de pro européen, surtout aujourd’hui. Déjà De Gaulle avait lancé le mouvement en se disant pour l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, ce qui ne veut strictement rien dire sauf pour quelques géographes en géographie physique, puisque même depuis la chute de l’URSS, la chaîne de l’Oural passe au milieu de la Russie ! Ce mouvement de récupération et de brouillage généralisé du message est donc très ancien.

  • Le 26 janvier 2016 à 17:18, par Claude Bardot En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Je suis d’accord avec vous, bien qu’il reste - j’en connais - de nombreux vrais europhobes, pour qui la France de toujours ne peut être que totalement souveraine, ce qui est bien sûr une absurdité... Mais cela ne fait guère avancer le schmilblick de la fédéralisation de l’Europe. Je ne vois guère à l’horizon, même lointain, de vision sur la façon de parvenir à une fédération européenne. Faut-il commencer par une fédération regroupant les 6 pays fondateurs ? Ou les 18 membres de la zone euro ? Et faut-il alors un nouveau parlement ou une section spécifique du Parlement européen ? Il semble en tous cas impossible de transformer l’UE en fédération à 28. Il faudrait déjà que les fédéralistes européens se mettent d’accord sur une stratégie et la promeuvent activement auprès des personnalités politiques nationales et européennes. Mais il ne semble pas qu’on en prenne le chemin. Les fédéralistes européens ne sont déjà pas d’accord entre eux sur la façon de parvenir à une fédération. Et je pense que dans les autres pays de l’Union, c’est la même chose. Commençons par bâtir un projet réaliste qui tienne compte des obstacles à franchir - ils ne sont pas minces - et mettons-nous d’accord sur la stratégie pour le faire avancer. Le reste n’est malheureusement que vœux pieux.

  • Le 31 janvier 2016 à 06:03, par Chacarrotte En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Ce site me semble propager de la propagande grossière. Où sont les voix de vos opposants ?

  • Le 31 janvier 2016 à 09:46, par Hervé Moritz En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    Ce magazine a une ligne éditoriale fédéraliste. Pour lire nos opposants, il suffit d’aller sur d’autres blogs en ligne.

  • Le 12 février 2016 à 17:33, par Iwantout En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    @ Chacarrotte

    Le magazine refuse de publier les commentaires eurosceptique, certainement dans le section anglaise. En effet bon nombre des articles en anglais ne permettent aucun commentaires du tout. Juste aller et regarder.

  • Le 19 février 2016 à 13:55, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Être pro-européen ne veut plus rien dire aujourd’hui

    @Chacarrotte : les voix de nos opposants sont sur toutes les télés et toutes les radios tout le temps

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