Existe-t-il une langue des signes européenne ?

, par Anna Rando Martin

Existe-t-il une langue des signes européenne ?
Image : PxHere

Non, une langue des signes européenne n’existe pas. La langue des signes n’est pas non plus universelle. Chaque pays d’Europe a sa propre langue des signes avec ses propres variantes régionales au sein même du pays. L’Abbaye de Cluny développa au Xème siècle un premier modèle de dictionnaire de Signes qui sera connu dans toute la France et même en Europe (Belgique, Grande-Bretagne, Portugal, Espagne, Suisse), et chaque communauté l’a ensuite enrichi en fonction de leur culture et leur histoire.

Pourquoi ne pas avoir créé une langue des signes internationale commune ?

Les langues signées se sont construites au fil du temps et ont évolué avec les époques. Depuis l’Antiquité nous trouvons partout des traces de personnes sourdes, mais leurs représentations - ainsi que les représentations de la surdité - varient selon les peuples et les moments de l’histoire.

Entre le XVIIème et XVIIIème siècle, les différents pays en Europe s’intéressent petit à petit à l’idée d’éduquer une personne sourde pour en faire des « sourds savants ». En effet, à cette époque, un homme « éduqué » est un homme qui parle bien. Ce nouveau tournant qu’à pris l’éducation des Sourds est dû aux progrès de la médecine qui a permis de dissocier parole orale et ouïe. À mesure des découvertes sur l’oreille et le larynx, les Sourds ne sont plus comme auparavant rejetés de la société, ils deviennent éducables. En outre, l’éducation des Sourds bénéficie de circonstances favorables : ceux issus de la noblesse apprennent à lire, écrire et à s’exprimer oralement. En résulte une émergence de la concurrence entre les cours européennes : les sourds ayant été éduqués seront ensuite exhibés à la cour et dans les Académies. Résultat : un engouement total pour l’éducation des Sourds. L’Angleterre sera le premier pays d’Europe à s’intéresser à l’éducation des Sourds, ne pouvant digérer l’affront de la prééminence des espagnols en cette matière [1]. Différentes méthodes et écrits sont peu à peu publiés, provoquant l’admiration des différentes cours européennes. Cela permet en plus de débloquer les crédits nécessaires aux différents travaux de chacun.

En s’intéressant à cette problématique, chaque pays en Europe a pu voir les langues signées se développer différemment en fonction de leur degré d’implication dans la recherche sur l’éducation des Sourds. Pour prendre l’exemple de la France, il s’ensuivra au XIXème siècle une répression institutionnelle de la langue des signes française (LSF) d’une rare brutalité. En 1880, le Congrès de Milan confirme une prise de position « anti-gestes », c’est-à-dire oraliste. Les livres relatifs à l’enseignement de la LSF sont brûlés, les signes sont interdits pendant les cours, les instituteurs sourds sont mis à pied… La LSF a donc connu une évolution différente que dans d’autres pays où les signes n’étaient pas interdits.

L’importance d’une dénomination commune

Sourd-muet, malentendant, déficient auditif… Quelle dénomination ? On remarque d’emblée une dialectique instaurée dans une tension : une majorité parle d’une minorité en termes de normalité et d’anormalité. Même à l’heure actuelle, proposer une dénomination soulève des débats violents tant de la part des personnes non-sourdes concernées par la surdité (parents, enseignants, éducateurs, rééducateurs, médecins...) que de la part des sourds eux-mêmes. Pour ces derniers, la question de dénomination n’échappe pas au processus d’adhésion ou bien de rejet vis-à-vis d’un système de valeurs attaché à la norme. Toute cette variation des termes pour catégoriser les sourds révèle une division du champ d’observation et laisse apparaître des clivages entre sourds et entendants, vrais sourds et faux sourds, ceux qui sont pour ou contre une politique d’intégration, une politique d’inclusion, ceux qui pensent que les sourds doivent faire l’objet de soins médicaux…

« Sourd-muet » est un terme ayant disparu des textes officiels dans les années 60. En effet, beaucoup de Sourds peuvent parler. Il n’est donc plus correct d’utiliser cette dénomination qui fait appel à une fausse croyance. Quel terme est donc approprié ? « Sourd ». Sous ce terme, plusieurs autres dénominations se retrouvent : un malentendant est un Sourd, un sourd profond est un Sourd… etc. La revendication par les Sourds de s’appeler Sourds peut se comprendre comme un refus du gommage, de l’euphémisation (malentendant, déficient auditif). Le refus d’une fragmentation due aux différents types de prise en charge éducatives, rééducatives et sociales. Ce type de positionnement identitaire se retrouve chez d’autres groupes minoritaires ayant connu des formes de répression ou de stigmatisation.

Quel futur pour la Langue des Signes internationale ?

Une langue des signes internationale (LSI) existe bel et bien, mais extrêmement peu de personnes la connaissent et l’utilisent. Un premier consensus pour une langue des signes internationale se fait en 1950, pendant le congrès World Federation of the Deaf. Il en résulte un livre regroupant plus de 1500 signes internationaux. Comme l’Esperanto, il est difficile pour la LSI d’être vraiment connu et pratiqué. Les langues signées ont comme trait commun l’iconicité, c’est-à-dire qu’elles utilisent beaucoup de vocabulaire (« signaire ») imagé, avec beaucoup de références culturelles.

En France, la langue des signes française est partiellement reconnue ; elle est considérée dans le code de l’éducation comme « langue à part entière ». Contrairement à d’autres pays européens comme la Finlande ou la Hongrie, elle n’apparaît pas dans la Constitution. Comment peut-on diffuser efficacement la langue des signes internationale quand certains pays en Europe ne reconnaissent même pas leur propre langue des signes nationale, ou alors seulement partiellement ?

La langue des signes a connu et connaît un processus d’affinement de son code linguistique, du fait de sa diffusion scolaire et communautaire. Il est donc difficile de créer une langue signée internationale riche en enlevant toutes références culturelles nationales ou régionales, et en n’avançant pas vers une reconnaissance totale de la langue des signes et d’un système éducatif adapté aux Sourds.

Sujet initialement publié dans la revue lyonnaise du Taurillon, le Taurilyon !

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Notes

[1Yves Bernard : « La gestualité des précepteurs espagnols d’enfants sourds aux XVI et XVII siècles : un chemin vers la parole, un vecteur de l’abstraction », dans CONNAISSANCES SURDITÉS, • JUIN 2009

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