Faire de l’Europe une puissance mondiale

, par Florian Brunner

Faire de l'Europe une puissance mondiale
Josep Borrell, à Strasbourg en février dernier. Image : Christian CREUTZ / © European Union 2020

Le contexte de la crise sanitaire amène l’Union européenne à définir un projet politique à la hauteur des enjeux du XXIème siècle. Les divisions inhérentes à ce type de débats se sont exprimées et elles se maintiennent sur un certain nombre de sujets, mais la cohésion de l’Union est solide et les dirigeants européens ont réussi à engager des initiatives sérieuses et communes. La nécessité d’une puissance européenne s’affirme davantage, alors que les Etats-Unis et la Chine mènent une forme de guerre froide diplomatique. Ursula von der Leyen et Josep Borrell auront à démontrer leur efficacité, afin de poser les fondements d’une Europe puissance, capable de s’affirmer sur la scène internationale.

Josep Borrell : une autorité politique quasi-inexistante

En poste depuis le 1er décembre 2019, Josep Borrell, le nouveau Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, doit affronter à l’entrée de son mandat une crise majeure, à l’échelle mondiale. Son autorité politique actuelle est quasi-inexistante, du fait de son arrivée récente, de sa faible notoriété et des fragilités de la fonction qu’il occupe. Josep Borrell cherche encore à trouver ses marques, en même temps que l’Europe se retrouve confrontée à un défi d’une ampleur inédite depuis la fin du XXème siècle. Le nouveau Haut Représentant de l’Union a enclenché la mise en œuvre d’un processus de médiatisation, avec des interviews, des tribunes et des prises de position, se plaçant ainsi comme un influenceur des Relations Internationales.

Mais l’ensemble de ce dispositif demeure fragile, en comparaison notamment de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du Président du Conseil européen Charles Michel. Ce début effacé de Josep Borrell contraste avec le poids politique et médiatique qu’avait réussi à acquérir sa prédécesseur, Federica Mogherini. Celle qui occupa la fonction de Haute Représentante de l’Union de 2014 à 2019, était parvenue à démontrer une capacité d’initiative dans le complexe et incertain dossier nucléaire iranien, sur les enjeux climatiques, ainsi que par la conception d’une nouvelle « Stratégie globale de l’UE », menée de 2015 à 2016.

Jean-Claude Juncker et Federica Mogherini étaient même parvenus à constituer un binôme efficient, à la tête de l’action internationale de l’Union européenne. Ce qui n’avait pas empêché l’ancien Président de la Commission européenne de souligner les limites de la fonction de Haut Représentant et d’appeler à l’instauration d’une véritable « Ministre européenne des Affaires Etrangères », fédérant tous les corps diplomatiques, de tous les pays membres de l’Union, lors de son deuxième discours sur l’état de l’Union en 2016 [1]. Alors que la Commission Von der Leyen a démarré un mandat qui démontre déjà sa haute exigence, il conviendra d’opérer les ajustements et améliorations indispensables, afin de conférer à l’Union européenne, une place incontournable dans les Relations Internationales. Dans ce contexte, le renforcement de l’autorité politique du Haut Représentant actuel est une importante priorité.

Une Europe plus forte dans le monde : un projet incertain et ambitieux

La mission principale du Haut Représentant consiste à renforcer le poids de l’Union dans les Relations Internationales. Elle est résumée de la sorte : « Une Europe plus forte dans le monde ». Josep Borrell a rappelé récemment la nécessité d’une souveraineté européenne qui s’affirmerait dans les domaines sanitaire, technologique, numérique et économique [2]. Ce sont en effet déjà des priorités pour l’Union européenne. Nous ne devrons cependant pas négliger d’autres objectifs primordiaux, comme la constitution d’une réelle capacité militaire et diplomatique propre à l’Union. Ce n’est pas parce qu’une crise vient rappeler un certain nombre d’impératifs stratégiques que nous devons négliger ceux que nous avions déjà cernés, après de nombreux efforts politiques.

Alors qu’une intense rivalité sino-américaine s’affirme sur la scène internationale, que le multilatéralisme se révèle fragilisé, que le Conseil de Sécurité de l’ONU reste incapable de se positionner sur l’épidémie du Coronavirus, l’Europe est la seule entité politique qui puisse impulser une dynamique diplomatique suffisamment déterminante, pour assurer l’efficience de la coordination internationale face à la pandémie et à d’autres crises, qui ne manqueront pas de survenir. Il est essentiel pour le Haut Représentant de déterminer un projet d’autonomie stratégique complet, considérant l’ensemble des paramètres et ayant pour finalité l’affirmation d’une Europe puissance, en mesure d’orienter avec de réelles conséquences le cours des processus diplomatiques et ainsi la réalité du monde au XXIème siècle.

Ce n’est qu’avec une vision politique rigoureuse et accomplie, accompagnée d’un plan d’action opérationnel, que Josep Borrell pourra mettre en œuvre son objectif le plus ambitieux et qui le concerne le plus directement : la réalité d’une autorité européenne qui puisse prendre la direction diplomatique de tous les foyers de négociation, où la mécanique multilatérale se révèle déficiente [3]. Le Haut Représentant doit encore se montrer opérant dans les processus diplomatiques, y trouver sa place et confirmer ses compétences, tout en s’assurant une visibilité à la hauteur des ambitions de la mission, extrêmement complexe, qui lui a été confiée. Sa maîtrise du jeu intergouvernemental, au sein des institutions de l’Union, un art qui a été exercé avec une application certaine par Federica Mogherini, sera déterminante dans la réussite du projet politique dont il a la charge.

Vers une Europe géopolitique : une innovation doctrinale et stratégique

Ce sera le défi d’Ursula von der Leyen, qui souhaite organiser une « Commission géopolitique », ainsi que de Josep Borrell, d’arriver à générer une vision européenne commune de l’environnement stratégique de l’Union et de parvenir à une Europe plus géopolitique. L’organisation politique d’une Europe qui serait géopolitique, est une innovation à la fois doctrinale et stratégique, pour des Etats Membres qui ont été habitués durant des siècles à concevoir l’exercice diplomatique au travers des institutions nationales. Une approche qui n’a été que modérée par l’existence de l’Union européenne.

Plus l’Union européenne structurera son indépendance, notamment vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine, plus elle sera en situation d’affirmer ses orientations, c’est-à-dire des décisions autonomes, avec un impact décisif. Cette nécessité d’émancipation doit être maintenant clairement affirmée et assumée, afin de sortir d’une approche qui privilégie les objectifs au rabais, notamment par une excessive prudence politique. Dans la réalité d’un monde multipolaire, encore dominé par les Etats-Unis, où la Chine commence à s’affirmer, il manque une force d’équilibre, une puissance dans le monde, avec une autre approche des Relations Internationales que la compétition maximale, commerciale ou militaire, aujourd’hui incarnée par Donald Trump et Xi Jinping.

L’Union européenne peut tenir ce rôle et développer une politique étrangère articulée autour de la défense des générations futures. Il est primordial que, dans les prochaines décennies, l’Europe fonde son indépendance diplomatique et militaire, en se libérant de la tutelle équivoque et déclinante de l’OTAN, afin de se doter d’une grande stratégie, adaptée aux enjeux du XXIème siècle, avec comme objectif principal d’accéder au rang de puissance à part, dans les Relations Internationales, à l’horizon 2050. La paix, la démocratie et l’écologie sont les trois priorités qui s’imposent déjà, si nous voulons mettre en œuvre une politique étrangère de l’Union, qui soit au service de l’Humanité et de l’avenir de la planète. Préserver l’environnement, mettre fin aux guerres, protéger les libertés des citoyens du monde, prévenir les crises menaçant le genre humain, sont des orientations essentielles qui attendent encore davantage de résultats concrets.

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Notes

[1Jean-Claude JUNCKER : « Federica Mogherini, notre haute représentante et ma vice-présidente, fait un travail fantastique. Mais elle doit devenir notre Ministre européenne des Affaires Etrangères, celle qui rassemblera tous les corps diplomatiques, tant des petits que des grands pays, pour pouvoir peser dans les négociations internationales. » - Discours sur l’Etat de l’Union, 14/09/2016

[2BORRELL Josep, « COVID-19 : le monde d’après est déjà là », Politique étrangère, vol. 85, n° 2, été 2020

[3BORRELL Josep, « COVID-19 : le monde d’après est déjà là », Politique étrangère, vol. 85, n° 2, été 2020

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