Fin des moteurs thermiques en 2035 : l’Allemagne freine des 4 fers

, par Louise Gillis

Fin des moteurs thermiques en 2035 : l'Allemagne freine des 4 fers
Voiture électrique en charge ⓒ Pexels - Mike B

Dans le cadre de la stratégie environnementale de l’Union européenne et de l’année 2050 annoncée comme horizon limite pour atteindre la neutralité carbone sur son territoire, les États membres et la Commission étaient parvenus en février 2023 à un accord concernant les véhicules thermiques. Le texte, approuvé par le Parlement européen, prévoyait l’interdiction des ventes de véhicules à moteurs thermiques après 2035. Mais forte de son industrie automobile légendaire et se heurtant à des vents politiques contraires au sein de ses propres frontières, l’Allemagne a fait volte-face juste avant d’entériner l’accord pourtant négocié et validé par les députés. Le Taurillon vous propose un retour sur cet événement politique singulier, et les conséquences qu’il pourrait impliquer pour l’Union européenne.

L’Allemagne revoit sa copie en dernière minute

Bien que le texte censé interdire la vente de véhicules à moteurs thermiques après 2035 ait été validé par le Parlement dans le respect des règles du processus législatif de l’Union européenne, l’Allemagne, première puissance économique du continent, est revenue sur son engagement.

Pour rappel, les 27 ministres de l’UE avaient donné leur accord de principe et déterminé une position commune quant au projet de la Commission dès le 29 juin 2022, au terme d’un Conseil “Environnement” portant sur l’ajustement à l’objectif 55 [ndlr : “l’objectif 55” est l’objectif européen de réduction d’émission des gaz à effet de serre de l’ordre de 55% d’ici 2035].

Schéma institutionnel oblige, le Conseil de l’UE a ensuite entamé une phase de négociations avec le Parlement européen afin de parvenir à un accord en vue de l’adoption du texte. C’est dans le respect de cette procédure que le Parlement s’est prononcé le 14 février 2023, approuvant alors l’interdiction de la vente des véhicules thermiques après 2035.

Alors que tout laissait penser à une formalité institutionnelle pour l’accord final du Conseil de l’UE, l’Allemagne d’Olaf Scholz a créé la surprise. En effet, le vote allemand était nécessaire pour atteindre la majorité qualifiée, puisque d’autres États membres tels que l’Italie, la Pologne et la Bulgarie avaient déjà fait part de leur intention de s’abstenir.

Un compromis compromettant pour le climat

Entre péripéties politiques et législatives, l’Union européenne et le texte de la Commission dûment négocié se trouvaient dans l’impasse. Sans majorité qualifiée, l’ensemble des travaux auraient été rejetés. L’Allemagne, alors en position de force, s’est empressée de proposer un compromis à la Commission européenne concernant le “e-fuel”, un carburant de synthèse divisant les opinions. Si le gouvernement allemand défend un carburant de synthèse moins polluant produit à partir d’électricité et de CO2, plutôt que de pétrole, ses détracteurs soulignent son inefficacité énergétique, son coût, et sa faible disponibilité sur le marché. Malgré les divergences sur le tout électrique et les désavantages qu’on lui connaît, tels que les composants des batteries, les experts s’accordent à dire que cette solution semble, pour le moment, plus pertinente que le carburant de synthèse.

L’institution a néanmoins décidé de rédiger une annexe sur l’utilisation du e-fuel pour éviter le risque de rejet du texte dans son ensemble. Par conséquent, la vente de véhicules à moteurs thermiques restera autorisée après 2035 à condition qu’ils soient alimentés au carburant de synthèse. Victoire pour les Etats membres opposés au texte initial, échec pour le climat, l’Union et ses citoyens.

A l’heure où l’Union européenne semble prendre la mesure de l’urgence climatique en suivant une ligne verte dans son agenda politique, ce premier épisode marquant de 2023 s’érige comme un mur face aux volontés de transition écologique affichées. Indépendance énergétique, réduction des gaz à effet de serre, transports durables, meilleure santé des citoyens et troisième révolution industrielle, voilà pourtant autant d’objectifs composant l’ambition du Pacte vert européen présenté en 2019 par la Commission.

Cette ambition a même fait l’objet d’une traduction réglementaire dans la loi européenne sur le climat, entrée en vigueur en 2021. En l’inscrivant dans le marbre, les États membres n’auraient plus le choix que de suivre ce cap dans la définition des politiques européennes futures.

Mais alors, que s’est-il passé avec l’interdiction des ventes de véhicules thermiques après 2035 ? Comment l’un des Etats membres les plus importants de l’Union européenne, qui se veut précurseur de la protection du climat à l’international et pionnier dans l’extension des énergies renouvelables, s’est-il rallié à l’une des causes les plus polluantes de notre société ?

Entre intérêts contraires et égards nationaux

Dans un premier temps, l’Allemagne est connue sur le Vieux Continent comme une industrie automobile empirique, au même titre que l’Italie. Mercedes Benz, Volkswagen, Porsche sont autant de constructeurs réputés mondialement. Difficile de laisser les succès du passé à l’abandon. Toutefois, la plupart d’entre eux sont en pleine réinvention pour épouser la promesse de l’avenir automobile tel qu’il se dessine aujourd’hui : l’électrique. Mercedes Benz se veut pionnière en la matière par exemple, et y travaille depuis des années. Mais le son de cloche n’est pas le même chez Porsche, partisane du e-fuel avec un pied dans le marché, puisqu’elle a commencé à en produire au Chili.

L’Allemagne a également avancé l’argument de l’emploi pour vendre son projet d’électro carburant. En Europe, 12 à 13 millions d’emplois seraient concernés par l’industrie automobile avec les constructeurs, les équipementiers et les réseaux de distribution. Or, le passage au 100% électrique serait destructeur d’emplois, puisque la voiture électrique est plus simple à assembler.

Alors qu’il paraît indispensable d’avancer dans une transition écologique socialement juste, la question de l’intérêt général peut se poser. L’homme est capable de se reconvertir au rythme de l’évolution des sociétés. La planète n’a pas cette chance.

C’est l’ensemble de ces considérations qui semblent avoir agité la coalition du Chancelier Olaf Scholz, à l’origine des disputes et du revirement inopiné de Berlin. Habitué du compromis, le gouvernement allemand est toujours composé de plusieurs partis. Depuis le départ d’Angela Merkel et les élections fédérales de 2021, une nouvelle coalition a vu le jour entre écologistes, libéraux et sociaux-démocrates et s’est vue couronnée d’Olaf Scholz, partisan des sociaux-démocrates.

Alors que les écologistes poussaient pour l’adoption du texte interdisant la vente de véhicules thermiques après 2035, les libéraux ne le voyaient pas du même œil. Dans un souhait d’éviter l’implosion de la coalition, le gouvernement allemand a préféré reculer et proposer le compromis que l’on connaît à l’Union européenne. Une pirouette qui prête à sourire lorsque l’on apprend que le programme tripartite de la coalition allemande entend contribuer à “accroître la souveraineté stratégique de l’Europe. Cela signifie avant tout établir sa propre capacité à agir dans un contexte global et être moins dépendant et vulnérable dans des domaines stratégiques importants”.

Pied de nez institutionnel ou habitude européenne ?

Le rejet d’un texte est toujours possible selon le processus législatif européen ordinaire ; il est toutefois censé être découragé par un cheminement laborieux de vas et viens entre le Conseil et le Parlement. C’est bien la preuve que l’Union, malgré sa délicate intention de ne pas froisser trop fort les Etats membres qui la composent, persévère dans l’idée européenne d’avancer à 27.

Cependant, la réalité politique actuelle démontre que les intérêts nationaux sont encore loin d’être effacés, contrairement à la philosophie controversée d’une Europe fédérale. Et alors que le climat aurait pu incarner l’emblème d’une unité sans équivoque, bienvenue et attendue, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et la Bulgarie semblent en avoir décidé autrement.

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