La nouvelle ébranle le monde le 29 janvier : pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un parti allemand s’est allié à l’extrême-droite pour faire adopter un texte. Le candidat de la CDU, Friedrich Merz, pressenti pour être le futur chancelier à la suite des élections législatives anticipées du 23 février prochain, et son parti ont proposé deux motions pour durcir l’immigration. L’une d’entre elles a été adoptée à 348 voix pour (345 contre), dont les voix de l’AfD. Cette motion n’est pas contraignante, et la proposition de loi sur le même thème a été rejetée 2 jours plus tard. Mais le symbole reste : l’alliance de la CDU avec l’AfD marque la rupture du cordon sanitaire, le fameux Brandmauer (pare-feu), notion essentielle de la vie politique allemande.
Brandmauer, un symbole à respecter
Un pare-feu. L’image est claire : un mur doit tenir coûte que coûte face au feu et l’empêcher de se répandre. Et ce feu est propagé par les partis d’extrême-droite. Les partis du Bundestag doivent donc établir une ligne de séparation claire entre eux et l’AfD. Friedrich Merz l’avait lui-même affirmé lors de sa prise de fonction à la tête de la CDU en décembre 2021 : “Avec moi, il y aura un cordon sanitaire vis-à-vis de l’AfD.”
Si cette interdiction morale d’alliance avec l’extrême-droite existe depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le terme de Brandmauer est bien plus récent. La première occurrence du terme en référence à la politique apparaît dans un article de l’hebdomadaire allemand Stern datant de 2014. Et détail qui a son importance : le terme est utilisé non pas par un opposant de l’extrême droite, mais par un ancien observateur pour l’AfD au Parlement européen, Hans-Olaf Henkel. L’expression était utilisée pour distancer le parti de l’extrême droite justement, se considérant comme un rempart contre cette dernière et non comme l’une de ses fondations.
C’est au moment de la crise de réfugiés en 2015, que l’expression se déplace sur l’échiquier politique pour différencier les partis “démocratiques” des mouvements d’extrême droite, notamment Pegida, nationaliste, islamophobe et anti-immigration. Le terme se répand lors de l’entrée de l’AfD au Bundestag après les élections de 2017. Il est utilisé par des personnalités politiques de différents partis, comme les Verts ou les libéraux du FDP. Aujourd’hui, le Brandmauer est un concept clé de la politique allemande, un mur qui ne doit jamais tomber.
Un tabou politique brisé à 3 semaines des élections législatives anticipées
Survenant à un peu plus de 3 semaines du scrutin du 23 février, le vote de la motion a enflammé la population allemande. Des milliers de personnes ont manifesté dans toute l’Allemagne depuis le 29 janvier. Le dimanche 2 février, près de 160 000 personnes ont manifesté contre l’alliance entre la CDU et l’AfD à Berlin, selon les estimations de la police. 250 000 selon les organisateurs. Leur slogan : “Wir sind die Brandmauer” (nous sommes le pare-feu). Les manifestants se sont rassemblés devant la Konrad-Adenauer Haus, le siège de la CDU. Ils ont allumé les lampes de leurs téléphones portables, donnant naissance à une mer de lumière, symbole d’une “Widerstand” (résistance) contre l’extrême droite.
Une partie de la population se mobilise dans la rue mais il reste à savoir si cet événement changera le résultat dans les urnes. Depuis la rupture de l’Ampel-Koalition en novembre dernier qui a donné lieu à la dissolution du Bundestag le 27 décembre, la CDU est donnée comme vainqueur des élections avec 30% des voix, talonnée par l’AfD avec environ 20% des voix. Le parti d’extrême droite serait alors la deuxième force politique à l’échelon national, alors qu’il était le 5ème parti après les élections de 2021. Mais la rupture du Brandmauer a-t-elle influencé les intentions de vote des Allemands ?
Pour le moment, le vote du 29 janvier n’a pas eu d’impact significatif sur les prévisions de vote. La CDU a perdu un point passant de 30 à 29%, entre le 27 et le 30 janvier, et l’AfD se maintient autour de 22%. Les socialistes du SPD regagnent de leur popularité passant de 15,5% à 17% des intentions de vote la même semaine. Mais depuis, les votes pour la CDU sont remontés à 30% et ceux pour le SPD redescendus à 16%. Il ne semble donc pas que l’alliance de la CDU avec l’AfD n’ait changé les intentions de vote des citoyens allemands.
La décision de Friedrich Merz a été vivement critiquée, au sein même de son propre parti. Plusieurs personnalités politiques de la CDU ont dénoncé cette alliance, notamment l’ancienne chancelière Angela Merkel. Selon un baromètre de la chaîne de télévision allemande ZDF, la population est mitigée sur cette alliance : 47% des personnes interrogées estiment que Friedrich Merz a bien fait d’utiliser les voix de l’AfD pour faire voter la motion contre 48% qui pensent le contraire. Quand on regarde seulement les partisans de la CDU, ce chiffre passe à 66% pour les personnes d’accord avec cette décision et 28% pour les autres. Une décision qui polarise donc la population autour d’un thème considéré comme plus important que la situation économique ou l’écologie. Reste à voir comment cela se traduira dans les urnes le 23 février.
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