A écouter les médias de notre côté du Rhin, on a clairement le sentiment que l’Allemagne surpasse la France dans tous les domaines concernant la gestion de la pandémie du coronavirus. Capacités hospitalières, très faible létalité du virus grâce à un dépistage massif, communication et débat public apaisés : notre voisin outre-Rhin semble appréhender calmement la crise, bien loin des invectives entre partisans et détracteurs de l’iconoclaste Didier Raoult, de la rhétorique martiale du président Macron, ou des difficultés de l’hôpital public, en proie à de graves carences matérielles.
Pour autant, peut-on se permettre d’être aussi manichéen à ce sujet ? Doit-on voir tout en rose en Allemagne et tout en noir en France ? Et quid de la coopération entre régions situées à la frontière entre les deux pays ? Des éclaircissements étaient nécessaires pour comprendre cette situation des plus complexes. Et qui de mieux que Kai Littmann pour en parler ?
Rédacteur-en-chef d’Eurojournalist, quotidien en ligne franco-allemand du Rhin supérieur, mais à la dimension résolument européenne, Kai Littmann est un expert du journalisme franco-allemand et un observateur avisé de l’actualité de part et d’autre du Rhin. Son intervention durant ce premier atelier dématérialisé sur la plateforme ZOOM, devant une trentaine de jeunes Européens, a permis d’y voir bien plus clair sur la gestion de crise française, allemande et franco-allemande.
Communication martiale vs. communication apaisée
Première question de cet atelier : comment la crise du coronavirus a-t-elle été couverte médiatiquement en France et en Allemagne ? Si M. Littmann a pointé le fait que l’épidémie a commencé sensiblement au même moment dans les deux pays, il a trouvé la communication médiatique en France « bizarre ». Tout était fait comme si Agnès Buzyn, l’ancienne ministre de la santé, et Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, assuraient les arrières du gouvernement qui a très mal interprété les premiers signes de la crise.
La communication confuse d’Édouard Philippe, ainsi que le ton guerrier d’Emmanuel Macron, contrastait singulièrement avec la communication apaisée, transparente et factuelle d’Angela Merkel et de son gouvernement, comme en témoigne le rôle qu’ont pris le ministre de la santé Jens Spahn et le directeur de l’institut Robert Koch dans la gestion de la pandémie.
Toutefois, M. Littmann a relevé quelques couacs côté allemand. La fermeture unilatérale de la frontière avec la France en est un exemple, compliquant sensiblement la vie de nombreux frontaliers, du côté du Grand-Est comme du Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie-Palatinat ou de la Sarre. Le fédéralisme, à très juste titre la fierté de l’Allemagne et le pilier de son système politique, a pu être vu comme un facteur d’incohérence, surtout en prenant une grille de lecture française teintée de jacobinisme. Les règles de confinement, de réouverture des lieux publics, comme les écoles, ou encore d’accès sur le territoire régional, sont différentes d’un Bundesland à l’autre, la Bavière de Markus Söder appliquant des règles strictes, inspirées de ce qui se fait en France.
Solidarité européenne, coopération transfrontalière
Les choses se complexifient davantage lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la coopération à la frontière franco-allemande. Là encore, une série d’erreurs a été faite par l’Allemagne, selon M. Littmann. La fermeture unilatérale de la frontière a posé beaucoup de problèmes aux habitants et travailleurs des régions limitrophes. Une situation aggravée par le non-respect des règles de circulation, M. Littmann prenant pour exemple la situation des couples franco-allemands séparés avec des enfants. Pire encore, des insultes envers des résidents français sont à déplorer en Sarre, poussant le gouvernement sarrois à s’excuser officiellement. Les vieux réflexes nationalistes sont en train de refaire surface, exhumant pour certains un très dangereux sentiment de méfiance.
A la lumière de ces éléments, la dichotomie entre la fermeture des frontières et la solidarité transfrontalière ne peut que sauter aux yeux : les Bundesländer de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat ont en effet accueilli des patients contaminés pour soulager les hôpitaux du Grand-Est. Il a fallu que l’Institut Robert Koch classe le Grand-Est comme « région à risque » pour que la coopération régionale entre le Grand-Est et les Bundesländer limitrophes soit réelle. Le 23 avril, le comité de coopération transfrontalière s’est réuni pour esquisser une stratégie de déconfinement. En outre, des contacts sont désormais réguliers avec la Wallonie et la Suisse, dans le cadre de réunions de coordination trinationale.
Faut-il pour autant craindre une « crise transfrontalière » entre la France et l’Allemagne ? L’absence de coordination au début de la crise (les prises de contacts se sont d’abord faites entre Paris et Berlin) fait craindre des conséquences durables dans un espace très intégré, aussi bien au niveau économique, politique, que culturel.
En ce qui concerne la solidarité européenne, Kai Littmann porte une nouvelle fois un regard critique sur les positions allemandes. Selon lui, la domination économique de l’Allemagne est palpable, ce qui ne serait pas bon signe. La question des coronabonds cristallise les oppositions entre l’Allemagne et la France et le Conseil européen du 23 avril n’a toujours pas réglé la question.
Pourtant, il faudrait une nouvelle fois souligner la solidarité européenne, à l’image des patients Français ou Italiens transférés en Allemagne ou en République tchèque, ou encore de la création d’un espace public européen où différents décideurs et intellectuels s’expriment dans différents journaux nationaux (à l’instar d’Ursula von der Leyen qui s’est exprimée dans les colonnes du journal italien La Repubblica.)
L’heure est pourtant à l’introspection : la coopération transfrontalière a pris un sacré coup durant cette pandémie et la coordination des actions n’a pas été au rendez-vous, surtout lorsqu’il a fallu réagir aux premiers signes du coronavirus. L’UE a finalement proposé un ensemble de plans d’actions après avoir été assez passive (aussi bien par manque de leadership que par manque de compétences juridiques pour faire face à une crise sanitaire).
De ce fait, les prochains mois seront décisifs pour consolider le dense réseau de coopération sur les 451 kilomètres de frontières franco-allemandes. Une couverture médiatique à la fois transnationale et ancrée dans les réalités locales est en outre nécessaire pour créer un débat utile et serein, tel que le propose Kai Littmann et Eurojournalist.
Pour plus d’information sur Eurojournalist, veuillez vous rendre sur son site internet
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