Fusion Alstom-Siemens interdite : un échec de l’idée de souveraineté européenne

, par Martin Dupont

Fusion Alstom-Siemens interdite : un échec de l'idée de souveraineté européenne
Le 6 février, la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a présenté ses conclusions après l’enquête approfondie sur le projet de rachat d’Alstom par Siemens. © Union européenne , 2019 / Source : EC - Service Audiovisuel / Photo : Lukasz Kobus

Le projet de rachat d’Alstom par Siemens a été interdit par la Commission européenne le 6 février 2019. Cette décision, prise malgré l’importance vitale de ce projet pour que l’industrie ferroviaire européenne reste concurrentielle au niveau mondial, remet en question la politique de concurrence européenne.

L’objectif suprême de protéger le consommateur

La Commission européenne a été officiellement notifiée du projet de rachat d’Alstom par Siemens le 8 juin 2018. Un mois plus tard, elle a ouvert une enquête approfondie sur le projet. Dès le départ, le Berlaymont soulignait ses craintes liées à une concentration sur les marchés des trains et de la signalisation ferroviaire : le projet pouvait mener à une « hausse des prix, à une diminution du choix et à un recul de l’innovation du fait d’un affaiblissement de la pression concurrentielle ».

Les services de la DG COMP (Direction générale de la concurrence de la Commission européenne) ont alors mis au jour, entre autres, que la part de marché du géant Alstom-Siemens serait pour les TGV « trois fois plus élevée que celle de son concurrent le plus proche », dans l’Espace Economique Européen (EEE).

Le 6 février 2019, la Commissaire européenne à la Concurrence a fait part de sa décision d’interdire la concentration entre Alstom et Siemens. Elle s’appuyait notamment sur le refus des deux entreprises de « remédier aux importants problèmes de concurrence » identifiés par la Commission, par des mesures compensatoires pour éviter une trop forte concentration du secteur. D’après Margrethe Vestager, si le projet avait été autorisé, il aurait provoqué une hausse des prix sur les marchés de la signalisation ferroviaire et des TGV du futur, impactant en fin de compte les consommateurs européens.

Photo : Twitter

L’oubli de l’échelle mondiale et de la réciprocité : naïveté européenne et erreur stratégique

Mais les études de la DG COMP ignoraient l’essentiel. Comme Bruno Le Maire l’a souligné, en 2017, le concurrent ferroviaire chinois CRRC affichait 26 milliards d’euros de chiffre d’affaires, alors qu’Alstom et la branche transport de Siemens plafonnaient, ensemble, à 8 milliards d’euros ! Prendre pour référentiel le marché européen est une erreur : l’industrie ferroviaire est totalement globalisée.

Alors même que CRRC produit 200 TGV par an contre 35 pour les deux « géants » du ferroviaire européen réunis, le Gouvernement chinois subventionne très fortement CRRC selon Agatha Kratz, lui permettant ainsi de pratiquer des prix de 20 à 30 % inférieurs à la concurrence. Parler d’une concurrence loyale de la part des chinois est dès lors exclus, d’autant plus que sous les règles de concurrence européennes, ces aides d’Etat sont extrêmement règlementées et qu’elles seraient probablement, toutes choses égales par ailleurs, refusées à Alstom.

Par ailleurs, la Commission a souligné, dans son communiqué de presse marquant l’ouverture d’une enquête approfondie sur le projet de rachat d’Alstom par Siemens, que dans plusieurs pays asiatiques, dont la Chine, « des barrières empêchent les importations de fournisseurs étrangers ». CRRC ne se bat pas avec les mêmes armes qu’Alstom et Siemens, et le marché chinois est fermé : l’Empire du Milieu applique une stratégie mixte de protectionnisme économique et de projection de son industrie partout dans le monde grâce à des subventions gouvernementales colossales.

Refonder la politique de concurrence européenne

Considérer la décision d’autorisation de projets comme celui du projet Alstom-Siemens comme une décision administrative relève d’une erreur majeure. Elle doit être politique, pour permettre l’émergence d’une réelle stratégie industrielle européenne. En mars 2018, la Commission a fait une autre erreur stratégique : l’autorisation du rachat de Monsanto par Bayer. Outrepassant le principe de sécurité alimentaire européenne que ce projet menaçait directement depuis son début, le communiqué de la Commission a simplement expliqué que les mesures correctives conditionnant le rachat répondaient « pleinement à nos préoccupations en matière de concurrence ».

Ces deux cas montrent qu’il est possible qu’un projet de rachat respecte les canons de la concurrence européenne sans qu’une autorisation soit souhaitable au vu de la stratégie et de l’intérêt supérieur du citoyen consommateur européen. Laisser advenir une situation où les trains chinois seront fatalement les plus compétitifs, c’est accepter une présence excessivement forte de la Chine qui inonde les marchés avec ses produits et pourrait devenir, à long terme, l’entreprise de pointe pour construire des TGV. En septembre 2017, Alstom et Siemens mobility employaient ensemble 59 900 collaborateurs, dont plus de 33 900 en Europe.

En ce sens, les ministres de l’Economie français et allemand, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, ont déclaré réfléchir à des projets de refondation de la politique de concurrence européenne. Le ministre allemand a notamment insisté sur l’importance de « prendre le marché mondial comme référence plutôt que l’européen ».

Le politique doit reconquérir la politique de concurrence, plutôt que la déléguer seulement au droit économique. La stratégie économique doit être décidée par des dirigeants démocratiques européens conscients des impératifs stratégiques globaux du XXIème siècle. Emmanuel Macron a développé l’idée extrêmement pertinente d’une souveraineté européenne dans le cadre de la concurrence industrielle internationale. Il est essentiel de se doter d’une vision de long terme pour que l’industrie européenne ait une chance de résister face à la puissance chinoise.

C’est seulement en 2015 que CRRC a été constitué, grâce à… la fusion des deux géants ferroviaires précédemment en concurrence sur le marché chinois, CNR et CNS. La Commission européenne vient donc de décider d’adopter l’exacte stratégie inverse, en confirmant un environnement concurrentiel européen faible sur ce marché. Les commandes européennes ne devraient pas tarder pour CRRC. La réforme de la politique de concurrence européenne pourrait bien devenir un enjeu des élections européennes et surtout de la prochaine Commission européenne.

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