De l’indépendance géorgienne à la Politique de voisinage : les premiers pas vers l’Europe
Au lendemain de la chute de l’URSS, la Géorgie retrouve son indépendance en 1991 dans un contexte tendu. Très vite, l’Union européenne manifeste son intérêt stratégique pour cette région charnière entre l’Europe et l’Asie. En 1995, l’UE ouvre une délégation à Tbilissi, suivie en 1996 par un Accord de partenariat et de coopération (APC), posant les bases d’une coopération politique, économique et technique. Très tôt, l’UE soutient les réformes à travers le programme TACIS, dédié à la transition post-soviétique.
Mais c’est en 2004 que la relation prend une autre ampleur avec le lancement de la Politique européenne de voisinage (PEV). Conçue pour stabiliser les marges de l’Union et promouvoir les valeurs démocratiques, la PEV devient un outil structurant pour encadrer et approfondir les relations avec les pays partenaires, dont la Géorgie.
Le contexte est alors favorable : un an plus tôt, la Révolution des Roses a porté Mikheil Saakachvili au pouvoir, qui engage un programme pro-européen ambitieux. Les réformes s’enchaînent : lutte contre la corruption, modernisation administrative, croissance économique rapide (jusqu’à 12,5 % en 2007 selon la Banque mondiale). À cette époque, la Géorgie devient un partenaire modèle de la PEV.
Un partenariat renforcé par l’Accord d’association et la libéralisation des visas
La guerre d’Ossétie du Sud en 2008 marque un tournant dramatique. Opposant les forces géorgiennes aux séparatistes soutenus par la Russie, le conflit met en lumière la vulnérabilité géopolitique du pays. L’Union européenne joue un rôle décisif en déployant la Mission d’observation EUMM Georgia, toujours active aujourd’hui mobilisant plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.
Paradoxalement, ce conflit renforce les liens avec l’UE, perçue comme un acteur sécuritaire crédible. En 2009, la Géorgie rejoint le Partenariat oriental, initiative dédiée à six pays de l’Est (Ukraine, Moldavie, Biélorussie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). L’apogée de ce rapprochement est atteint avec la signature en 2014 de l’Accord d’association UE-Géorgie, entré en vigueur en 2016. Il renforce l’État de droit, établit une zone de libre-échange approfondie et complète (DCFTA), et soutient le développement des PME. La libéralisation des visas en 2017 permet quant à elle aux citoyens géorgiens de voyager sans visa dans l’espace Schengen pour des séjours courts, un geste hautement symbolique, salué par la société géorgienne. En 2021, l’UE lance un plan de relance post-COVID de 3,9 milliards d’euros pour les pays du Partenariat oriental, confirmant son rôle central dans le développement socio-économique du pays.
Crise de confiance : quand le rêve européen s’essouffle
Malgré ces avancées, des signes d’essoufflement apparaissent dès les années 2010. Le parti Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012, semble adopter une posture plus conciliante envers la Russie. Les réformes s’enlisent, la coopération devient plus technique que politique. La Géorgie semble s’éloigner et la Commission européenne souligne dans ses rapports de mise en œuvre 2022–2023 un ralentissement préoccupant des progrès en matière de justice, lutte contre la corruption, et pluralisme des médias.
Le choc survient en novembre 2024, lorsque le gouvernement géorgien suspend officiellement le processus d’adhésion à l’UE. Cette décision provoque une vague de protestations massives, avec des milliers de manifestants pro-européens à Tbilissi, rappelant que la société civile reste largement europhile, même si les élites s’en détachent.
Ce recul politique expose les limites de la PEV. Sans perspective concrète d’adhésion, l’influence de l’Union s’érode. Certains analystes, comme ceux de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), soulignent que l’UE a trop longtemps privilégié les outils techniques (accords, commerce, visas), sans investir politiquement dans la transformation de l’État géorgien. La fatigue de l’élargissement au sein des États membres freine toute avancée vers une intégration réelle.
Repenser la stratégie européenne : entre loi liberticide et société civile en résistance
L’année 2024 a marqué une rupture nette avec les valeurs européennes. En mai, le gouvernement géorgien présente une loi sur la transparence de l’influence étrangère, visant les ONG, médias et organisations recevant plus de 20 % de financement de l’étranger. Ceux-ci doivent s’enregistrer comme « agents d’influence étrangère », une terminologie et une approche très proche des lois en vigueur en Russie.
Cette initiative déclenche une nouvelle vague de manifestations. L’opposition dénonce une attaque contre la liberté de la presse et les droits fondamentaux. Le Conseil de l’Europe et le Parlement européen condamnent fermement ce texte, considéré comme incompatible avec les engagements européens de la Géorgie. Josep Borrell, haut représentant de l’UE, avertit que cette loi compromet gravement les chances de Tbilissi d’intégrer l’Union à l’avenir.
Face à ce recul démocratique, l’Union européenne doit adapter sa posture. Il ne s’agit pas nécessairement d’offrir une adhésion immédiate, mais de proposer un horizon crédible à moyen terme, tout en renforçant l’aide ciblée : justice, égalité, médias indépendants, réforme électorale. Il faut aussi soutenir activement la société civile, aujourd’hui en première ligne face au pouvoir. Si elle veut continuer de compter la Géorgie comme un allié, Bruxelles doit dépasser le rôle d’observateur passif. Dans une région où la Russie cherche à réaffirmer son influence, l’Union européenne ne peut prétendre être une puissance normative sans une présence politique cohérente et assumée.
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