Gouvernement Barnier : le modèle suédois ?

, par Paul Brachet

Gouvernement Barnier : le modèle suédois ?

OPINION.Cela fait près d’une semaine que la France dispose d’un nouveau gouvernement. Dirigé par Michel Barnier, le gouvernement ressemble à une coalition entre le centre libéral (Ensemble pour la République) et les franges du centre-droit et de la droite conservatrice (Les Républicains et divers droite). Un assemblage, pour le moment, soutenu indirectement par le Rassemblement national. Une situation inédite ! Enfin, inédite en France, mais déjà bien ancrée en Suède.

L’expérience suédoise, un modèle pour le gouvernement français ?

Si cela fait près d’une semaine que le gouvernement Barnier a été nommé par Emmanuel Macron, cela fait aussi presque un an que le gouvernement de Ulf Kristersson est entré en fonction en Suède. Le gouvernement Kristersson rassemble en son sein le centre-droit, la droite conservatrice et le centre libéral. Cet ensemble lui permet de disposer de 103 sièges au parlement, pour une majorité fixée à 175 députés. Loin de la majorité donc, mais le soutien indirect des 73 députés du parti d’extrême droite, les Démocrates de Suède, assure au Premier ministre conservateur une majorité de fait au parlement, lui évitant du moins la censure.

Ainsi, si les Démocrates de Suède ne sont pas officiellement membres du gouvernement, ils évitent la censure à Kristersson et donc sa démission. Ils jouent ainsi le rôle de faiseur de roi, ou du moins le rôle d’épée de Damoclès. Car leur soutien est loin d’être gratuit et désintéressé. Par son appui indirect, le parti d’extrême droite pèse lourdement sur l’orientation politique et idéologique de la coalition gouvernementale, et par extension sur l’ensemble des partis la composant.

Pour les Français, la situation peut sembler familière. Et elle a de quoi : le gouvernement Barnier rassemble 212 députés, pour une majorité fixée à 289. Une majorité loin d’être majoritaire, mais qui peut compter sur des soutiens indirects pour survivre à la censure, notamment promise par la gauche. Parmi eux, certains ne passent pas inaperçus, entre certains députés indépendants, régionalistes ou de divers droite, on trouve le groupe du Rassemblement national (extrême droite). Si le soutien indirect est réfuté par le gouvernement et le groupe nationaliste, et qu’aucun accord ne semble l’officialiser ou le matérialiser, les différents propos et réactions vont bel et bien en ce sens.

Le vice-président du RN, Sébastien Chenu a ainsi déclaré “Nous allons les pousser à avoir du résultat” à nos confrères de Nice matin. Des propos qui font écho aux autres prises de parole des élus et responsables du Rassemblement national qui, malgré une ambiguïté pesante, semblent soutenir a priori le gouvernement Barnier, voire pire, semblent le mettre sous pression. De son côté, le gouvernement n’est pas en reste pour apporter des gages au parti frontiste. Tandis que le nouveau ministre de l’Interieur, Bruno Retailleau promet l’ordre, la révision de l’AME (aide médicale d’État), et fulmine les “français de papier”, Michel Barnier a choisi de réduire les compétences et le périmètre d’action du ministère de la transition écologique, une demande de longue date du RN. Une ultime séquence a beaucoup fait parler d’elle : alors que le ministre de l’Economie, Antoine Armand, excluait le RN de l’arc républicain, le Premier ministre lui-même a souhaité rassurer Marine Lepen par un appel, tout en morigénant publiquement son ministre.

Des séquences qui, sans le prouver, montrent la construction d’un soutien aussi indirect que fragile du RN au gouvernement Barnier. De quoi donner au gouvernement français des airs suédois.

Vices et vis de l’extrême droite

Comme il nous reste des vis lors d’un montage d’un meuble en kit, après avoir lu, suivi et appliqué scrupuleusement ce que le manuel nous indiquait, il nous restera à ces gouvernements les mesures de l’extrême droite, sans même que celle-ci n’ait accédé (directement) aux responsabilités. Cela par la faute des gouvernements d’avoir lu, suivi et appliqué scrupuleusement ce que les programmes de l’extrême droite indiquaient.

En Suède, le détricotage massif des mesures environnementales et du système social, jusqu’alors prôné comme modèle dans le monde, a commencé. Des mesures d’extrême droite sont appliquées telles quelles par le gouvernement. Pour la politiste Lisa Pelling, ces mesures vont changer radicalement la société suédoise, au risque qu’un climat délétère ne s’y installe profondément. Pour la chercheuse, les mesures d’extrême droite pourraient créer une société refermée sur elle-même et en quête permanente de sécurité, et qui serait prête pour cela à renier ses valeurs d’ouverture, de liberté et de démocratie.

La configuration gouvernementale suédoise, et maintenant française, a des effets directs sur la démocratie et l’Etat de droit, que cela soit par la confusion idéologique entre les partis - des partis “libéraux” appliquent volontiers des mesures d’extrême droite par peur que cette dernière ne parvienne au pouvoir - par la radicalisation des droites modérées, ou par la banalisation des idées d’extrême droite dans le débat public et le débat politique. Car bien que l’extrême droite soit tenue visiblement hors des murs de l’enceinte gouvernementale, elle est en réalité au centre des politiques et des décisions des gouvernements qui deviennent, bon gré mal gré, dépendants d’elle pour leur survie. Une dépendance qui ne signifie en rien une décrue quelconque de l’extrême droite, comme le prouve l’exemple suédois où l’extrême droite continue d’être le deuxième parti du pays avec 20% des intentions de vote.

Si la Suède sociale et libérale menace de tomber pour une Suède plus conservatrice et autoritaire, la France et son modèle social ne sont pas en reste. Les premiers signes de “l’ordre, l’ordre, l’ordre” sont bel et bien déjà là.

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