Harmonisation et listes transnationales au cœur du projet
Le texte, porté par Domènec Ruiz Devesa (S&D), prévoit une réforme du système électoral pour les prochaines élections européennes qui auront lieu en 2024. Ce système n’a pas changé depuis que le Parlement est élu au suffrage universel direct, soit depuis 46 ans. La réforme prévoit tout d’abord une harmonisation des règles relatives au scrutin : parité femmes/hommes dans les différentes listes, la reconnaissance du vote par correspondance, l’abaissement possible de la limite d’âge de vote à 16 ans pour les Etats le souhaitant, un seuil de 3,5% des voix afin d’obtenir un siège au Parlement, la date du 9 mai (journée de l’Europe) comme date unique et commune de déroulement du scrutin. Ces règles peuvent paraître anodines, mais celles-ci modifient substantiellement les traditions électorales nationales. Certains Etats membres sont favorables à une période de scrutin plurijournalière, comme la République tchèque, d’autres sont opposés au vote par correspondance, comme la France, ou ne peuvent accepter de seuil électoral par tradition, comme l’Allemagne. C’est donc naturellement qu’une part importante des députés européens de nationalité allemande ont annoncé qu’ils n’apporteraient pas leur soutien au texte, notamment dans les groupes politiques pro-réforme, ce fut le cas pour Mme Müller, députée bavaroise du groupe Renew (libéraux). Sont également prévues des règles unifiées quant aux critères nécessaires pour devenir député européen : être âgé de plus de 18 ans, être de citoyenneté européenne. Elles viennent officialiser ainsi une pratique déjà présente dans la plupart des Etats européens.
Mais au Parlement, les esprits sont davantage tournés vers un autre point du texte qui écrase le reste de la législation dans les débats : la concrétisation d’un serpent de mer européen, les listes transnationales. En effet, c’est LA nouveauté du règlement. Alors que cela fait plusieurs années que le projet est discuté, aucune majorité, au Parlement comme au Conseil, n’était prête à le voter et aucune volonté de mener à bien une telle réforme n’avait été démontrée. Mais « les choses ont changé » assure Damian Boeselager, député du parti paneuropéen Volt (Verts/ALE) et rapporteur fictif de la réforme, « il y a deux ans, il n’y avait pas de pandémie, pas de guerre en Ukraine, l’Union européenne n’avait pas réalisé NextGenerationEU, n’avait pas répondu aussi fortement qu’aujourd’hui ». Une Europe plus présente dans la vie de ses citoyens, plus forte, nécessiterait donc une Europe plus politisée, plus démocratique et donc des listes transnationales.
Selon le texte, les listes transnationales viendraient s’ajouter aux listes nationales actuellement en vigueur, elles seraient élues dans une circonscription européenne commune et devraient respecter la parité femme/homme ainsi qu’un maillage géographique non préjudiciable aux nationaux des petits Etats membres. Les députés élus dans la circonscription européenne auraient à leur disposition 28 sièges à se répartir en fonction des scores obtenus par chaque liste transnationale, un nombre qui bien que proche de celui du nombre d’Etats membres (27) se trouve être totalement aléatoire, fruit d’un consensus comme la technocratie européenne en a le secret. Les têtes de liste seraient déclarées comme candidats à la Présidence de la Commission européenne, permettant aux citoyens de choisir plus directement le ou la futur(e) président de l’UE. Ce mode d’élection permettrait, par la même occasion, au Parlement de tordre la main au Conseil des Chefs d’Etat et de gouvernement -institution qui, aujourd’hui et sans réforme des traités, aura toujours le dernier mot sur le choix de la composition de la Commission- en confrontant une légitimité populaire provenant des urnes à une légitimité institutionnelle et intergouvernementale lors du choix de la présidente de l’exécutif européen. Si le texte est adopté dans les mêmes termes par le Conseil, autre colégislateur européen, les citoyens auront pour les prochaines échéances électorales européennes deux bulletins de votes : un pour élire une liste de députés dans une circonscription nationale, un autre pour élire une liste de députés dans une circonscription européenne et infine la personne qui aura la responsabilité d’être à la tête de l’Union.
De véritables élections européennes, une véritable politique européenne…un véritable demos européen ?
Bien que ces règles d’harmonisation puissent paraître artificielles pour la plupart, elles n’en restent pas moins « historiques » au dire de nombreux eurodéputés comme Brando Benifei (S&D). Et c’est bien le mot, puisqu’aujourd’hui, au regard des règles régissant le scrutin européen, il s’agit bel et bien de 27 élections européennes, une dans chaque Etat de l’UE, avec leurs propres règles et leurs propres débats… On est bien loin d’une élection véritablement européenne. C’est bien ce que compte changer les députés européens, notamment D. Boeselager, pour qui la réforme du système électoral est une nécessité pour l’avènement d’une Europe « politisée ». Les plus fédéralistes tel que Guy Verhofstadt (Renew) ne s’en cachent pas, la création de listes transnationales est le premier pas vers une Europe plus politique et à terme fédérale, rendue inévitable par la naissance d’un « demos européen ». C’est aussi la conviction des rapporteurs de la réforme, selon qui elle permettrait un électrochoc en Europe apportant aux élections européennes ce qui leur manque concrètement pour devenir véritablement « européennes » : un débat politique au niveau européen.
Les listes transnationales auraient en effet pour avantage de pousser les partis politiques européens, ainsi que les eurodéputés, à faire campagne dans toute l’UE, sans considération pour les débats purement nationaux et régionaux et d’élever les débats à un niveau principalement européen. Pour certains, il s’agirait d’un moyen d’éloigner davantage les élus de la population, consacrant dès lors leur déracinement, pour d’autres il s’agirait du meilleur moyen pour concrétiser un véritable débat à l’échelle de l’Union, dans une élection qui, en conséquence de son nom, devrait être vécue comme telle.
Pour le co-fondateur de Volt, premier parti politique pan-européen à siéger au Parlement et parti militant pour une telle réforme électorale, « l’adoption de listes transnationales permettrait aux citoyens de choisir quelle orientation politique ils souhaitent donner à l’Europe, notamment par l’élection de vrais partis politiques européens sur la base d’un vrai débat européen [et par la possibilité qui leur seraient offerte] de choisir le futur président de la Commission européenne ». Bien que ces intentions soient louables et souhaitables, la pratique nous dira si une telle réforme permettra l’émergence d’une Europe politique, ou si au contraire elle transformera les élections européennes en véritable usine à gaz, éloignant encore un peu plus les citoyens des urnes.
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