Harmonisation fiscale : défi de taille à enjeux multiples pour l’Europe

, par Maxime Dupont

Harmonisation fiscale : défi de taille à enjeux multiples pour l'Europe
Harmoniser la fiscalité sur les sociétés, une solution à l’optimisation et à la concurrence fiscales entre les Etats ? Ici, le quartier de la Défense à Paris, l’un des plus grands centres économiques d’Europe. - Cesar Reñones Dominguez (CC/Flickr).

À l’heure des stratégies fiscales des Etats depuis la crise des dettes souveraines en 2008-2009, l’harmonisation fiscale est un des enjeux majeurs du tournant politique que l’on peut souhaiter pour le bon devenir de l’Europe. La tête de l’Union l’a bien compris. Jean-Claude Juncker l’assure, c’est une « nécessité absolue » et une « priorité » de son mandat.

Un environnement fiscal en mutation

Depuis la crise, les Etats membres s’efforcent de renforcer les leviers de compétitivité de leurs entreprises. Nous assistons à une prolifération des règles fiscales et des outils mis en œuvre pour attirer les bases imposables mobiles des circonscriptions voisines. Dans le cadre du marché unique, avec le développement des moyens de communications (internet, réseaux et dématérialisation), les entreprises, comme les capitaux, sont de plus en plus mobiles et de moins en moins dépendants de leur situation géographique. Et de moins en moins faciles à attraper (ou à retenir).

D’une « double imposition » à une « double non-imposition »

Le premier souci pointé du doigt avec l’apparition de la fiscalité d’entreprise au début du siècle dernier concernait la règle de base de calcul : aucun pays n’appliquant la même règle. Les multinationales subissaient à l’époque une « double imposition » dénoncée vigoureusement. Cette « double imposition » a connu des décennies de lobbying, de négociations et des milliers de conventions bilatérales entre Etats qui ont annihilées le moindre cadre de référence pour une fiscalité commune. Et nous sommes aujourd’hui plutôt dans une situation de « double non-imposition ».

On parle surtout de l’impôt sur les sociétés, et plus précisément de l’harmonisation de l’assiette. Il faut faire la différence entre taux et assiette. L’assiette est l’ensemble des règles qui permettent de calculer le bénéfice imposable de l’entreprise auquel on applique un taux de prélèvement.

Depuis quelques années déjà, l’Union tente de contrecarrer les caractères fiscaux agressifs de certains de ses membres. La directive « mère-fille » en 1990 pour pallier les problèmes de « double imposition » en est un exemple. Le projet le plus abouti jusqu’à aujourd’hui demeure la TVA. Deux directives (1977 et 2006) encadrent l’application de la TVA en Europe : un taux minimum de 15% et une liste précise de biens et services, secteurs, produits pouvant bénéficier de taux réduits. Mais il reste encore bien des obstacles au bon fonctionnement du marché unique.

Les conséquences pour les Etats

L’Irlande taxe à hauteur de 12,5% les bénéfices de ses entreprises, environ 15% dans les pays d’Europe de l’Est (anciens pays du bloc soviétique), 25% pour les pays nordiques, et plus de 30% pour la France ou l’Allemagne. Et quand on reprend l’exemple du scandale fiscal dit « LuxLeaks », on se rend compte que même avec un taux d’imposition apparent fort (29,22%), l’optimisation étatique est un sport mondial. C’est justement là qu’il est important de distinguer le taux d’impôt, qui peut sembler haut, et l’assiette, qui permet tous les arrangements possibles. L’entreprise rationnelle cherchant à minimiser son impôt a donc tout intérêt à délocaliser toute ou partie de son bénéfice, on parle alors d’optimisation fiscale, afin de payer moins – voire plus du tout – d’impôts.

Ces optimisations (BEPS – Base Erosion Profit Shifting) sont agressives et causent de gros soucis de recettes fiscales. Elles donnent lieu à des enrichissements privés d’entreprises au détriment d’une « optimalité » du pouvoir public qui n’assure, dès lors, plus un service à la hauteur des besoins de la société. Cela prive les Etats de recettes répondant aux défis de financement de protection sociale, de retraite, de défis climatiques et énergétiques. Cela coûterait entre 2 et 3% de PIB aux Etats membres : environ 15 milliards d’euros de recettes à la France, 40 à 60 milliards d’euros d’assiette imposable. 240 milliards d’euros aux Etats par an selon l’OCDE !

Il devient urgent pour l’Union européenne de s’armer d’un vrai budget européen, appuyé par des impôts européens L’harmonisation est la meilleure réponse aux eurosceptiques, qu’elle soit fiscale, sociale, sur le marché du travail (avec un salaire minimum européen). Une Europe harmonisée est une Europe qui avance et sait répondre aux défis du temps présent.

Les propositions sur la table et axes de réflexion

L’Union européenne a fini l’année 2015 en beauté en adoptant un accord de transparence instaurant l’échange automatique d’informations sur les accords fiscaux passés entre Etats et multinationales.

Avant ça, la Commission a proposé dès 2011 l’ACCIS (Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés). Il s’agît d’admettre que la base imposable doit être consolidée au niveau européen, en fonction des bénéfices réalisés dans tous les Etats membres, sur la même base de calcul, afin d’obtenir un « bénéfice européen ». Il serait ensuite réparti entre les Etats selon une clé de répartition commune et objective. Les Etats garderaient leur souveraineté quant au taux qu’ils appliqueraient. Mais c’est un bon début.

Il faudrait aller plus loin que la seule appliquation de l’ACCIS en l’associant par exemple à un taux plancher d’impôt sur les sociétés constituant un budget européen minimum (imaginons par exemple une Europe qui taxe toutes ses entreprises à 15%), une clé de redistribution gérée par l’Union, une vraie politique sociale européenne. Les Etats pourraient aller au-delà de ce taux plancher, mais il n’y aurait plus de « dumping fiscal » avec un vrai rôle social de l’Union européenne, armée d’un vrai budget.

Un autre sujet important est la nécessité de mettre en place une taxe sur les transactions financières au sein de l’Union européenne, une taxe allouée au budget européen, en harmonisant les règles du secteur bancaire. La Commission a d’ailleurs pris position pour une taxe d’un montant de 0,1% sur les actions et de 0,01% sur les produits dérivés. Elle sera appliquée sur toutes les transactions financières dès lors qu’au moins une des parties est domiciliée dans un pays participant. Pierre Moscovici assurait récemment que « depuis le début de l’année, les négociations se sont intensifiées, la volonté politique est plus forte pour aboutir à un accord ». Elle devait être mise en place au 1er janvier 2016, mais finalement, sa mise en place effective a été décalée. Une dizaine d’Etats devrait s’engager dans ce processus de coopération renforcée.

De son côté l’OCDE a lancé le programme BEPS en 2013 pour lutter contre l’érosion des bases imposables et les transferts de bénéfices. Pascal Saint-Amans, son directeur fiscalité, porte actuellement un projet de 15 propositions, avec notamment un nouveau traité multilatéral de clarification des règles fiscales internationales.

Un dossier qui n’avance plus et qui pose de gros problèmes idéologiques

On entend souvent revenir trois arguments pour expliquer la stagnation du dossier. La première, une atteinte à la souveraineté des Etats, privés de souveraineté financière par l’union monétaire, privés de souveraineté commerciale avec la libre circulation des biens et marchandises, privés de souveraineté encore avec la libre circulation des êtres humains, ils ne voudraient pas perdre en plus leur souveraineté fiscale.

Deuxième problème, celui de la légitimité de l’Union européenne. La fiscalité est un choix politique. C’est le problème récurrent de l’absence d’un vrai gouvernement européen, démocratiquement élu, légitime pour agir en tel sens. La règle de l’unanimité, qui ne permettra jamais d’adopter tel projet est un dernier obstable. C’est un des problèmes posés au moteur d’une Europe qui peine à avancer efficacement et à réagir aux évolutions et aux nécessités de son temps.

L’importance d’un budget européen n’est pas assez portée aux oreilles des citoyens qui ne peuvent pas s’en emparer, le défendre et le porter au centre du débat. Une meilleure « justice fiscale » ne sera possible qu’avec la mobilisation de l’opinion publique. Espérons que Jean-Claude Juncker respecte l’ordre de ses priorités.

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  • Le 6 février 2016 à 10:12, par Jean-Pierre CANOT En réponse à : Harmonisation fiscale : défi de taille à enjeux multiples pour l’Europe

    « Le montant annuel des transactions financières dans le monde représente 60 fois la richesse mondiale. Cela montre bien que l’essentiel des richesses aujourd’hui sont des richesses financières, réparties de manière très inéquitable, et que c’est là que la fiscalité doit peser. » C’est Jean-Pierre JOUYET qui déclarait cela, sans rire, le 14 septembre 2011, au siège de l’UNESCO. Toutes les causes de la crise dans laquelle le monde est à peine entré, de même que les incohérences et ambiguïtés de solutions que d’aucuns prétendent y apporter sont contenues dans cette phrase. L’argent, la monnaie, n’est pas un outil, mais devait servir à financer les outils conduisant à la création de cet argent par le travail, ce qui laisse à penser que vouloir créer de l’argent à partir de l’argent revient à émettre de la fausse monnaie. Or c’est ce qui est prévu avec la fameuse taxe sur les opérations financières.

    Au Paradis terrestre, lors de la création du monde. Le Père éternel dit à Adam (Au nom de l’unité du couple Ève n’a pas encore la parole, Dieu n’ayant pas respecté la théorie du genre.) : « À la sueur de ton front tu mangeras du pain. »

    Adam remercie et demande : « Mon Dieu en attendant la récolte pourrai-je emprunter du blé pour payer les autres biens dont j’aurai besoin ? ».

    Dieu répond : « Oui mais à la condition absolue que tu n’empruntes pas plus que la valeur du blé que tu produiras. ». Adam venait d’inventer la monnaie. Dieu venait d’interdire l’émission de fausse monnaie. À TIRANA, octobre 1991

    La Banque Mondiale cherche à relancer la Banque Agricole de Développement de l’Albanie, de façon à permettre la production de blé qui fait cruellement défaut.

    Elle obtient après des semaines le bilan de la banque moribonde.

    « Qui a souscrit le capital figurant au passif ? C’est l’État pour la totalité. L’unique crédit figurant à l’actif a-t-il été accordé à un producteur de blé ? Mais non ! à l’État pour la totalité. Ah bon ! Mais oui l’État n’ayant pas le moindre blé, pardon le moindre sou, il fallait lui prêter pour souscrire le capital. ».

    Dans la dernière boulangerie de l’ère de l’économie virtuelle et de la fausse monnaie ou la monnaie battue est sans cesse rebattue :

    Le boulanger : « C’est le seul pain qui me reste. ». Le client : « Prêtez le moi pour que je vous le paye. ». Robin des bois : « Je vais prélever une tranche sur le remboursement de ce prêt en monnaie de singe, c’est la taxe sur les transactions financières pour les financements innovants. Ils vont permettre de reproduire le miracle de la multiplication des pains. On pourra ainsi rembourser tous les pains impayés, mais surtout relancer la production de blé pour lutter contre la famine galopante. ». Le banquier : « Merci pour les intérêts ! »

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