Après avoir échoué à outrepasser la procédure parlementaire ordinaire, la loi en réaction à la crise du covid-19 a été adoptée le 30 mars par la majorité Fidesz-KDNP. Elle a fait vivement réagir aux quatre coins de l’Union, les appels se multipliant auprès de la Commission pour qu’elle réagisse : Didier Reynders, le Commissaire en charge de l’État de droit a rapidement indiqué que la Commission allait évaluer les mesures contenues dans cette loi « au regard des droits fondamentaux ». Il faut cependant rappeler que la procédure prévue à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, bien qu’elle y intègre la Commission européenne, est surtout suspendue à la volonté des États membres, qui jusqu’ici ont tranquillement laissé l’État de droit s’éroder en Hongrie, laissant l’exécutif européen les mains liées.
Une carte blanche au gouvernement hongrois [1]
Après avoir déclenché l’état d’urgence, dit « de danger » selon la loi fondamentale hongroise, le gouvernement de Viktor Orbán va dorénavant pouvoir agir en toute latitude. En effet, jusqu’ici la situation exceptionnelle lui permettait de prendre des décrets ayant force de loi, ou permettant d’en suspendre. Ces dispositions étant limitées par le Disaster Relief Act, et devant être renouvelées tous les 15 jours par le Parlement.
La nouvelle disposition hongroise fait disparaître ces deux verrous, puisque désormais le gouvernement pourra lui-même prolonger la durée de ces décrets sans l’accord du Parlement et de façon illimitée. De même, il lui est désormais possible de dépasser les limites prévues par le Disaster Relief Act.
De faux filets de sécurité sont prévues par cette loi : en effet il est indiqué que le Parlement garde la possibilité de suspendre à tout moment l’effet de ces dispositions, et donc de retrouver son pouvoir de décision concernant ces décrets. Cependant le Parlement est dominé par le parti de Viktor Orbán, qui peut croire que les députés iront à l’encontre des choix du dirigeant hongrois ? Un vrai frein à cette intrusion du pouvoir exécutif dans le domaine législatif aurait été une date de péremption à laquelle elle aurait perdu tout effet. C’est d’ailleurs la seule demande du premier parti d’opposition, le Jobbik, qui se demande simplement s’il est « justifié d’autoriser Viktor Orbán à gouverner par décret jusqu’à sa mort ? Si c’est le cas, nous appelons ça un Royaume ».
Un second argument avancé par ses défenseurs est l’existence d’une nouvelle limite : les décrets devront être « nécessaires et proportionnés par rapport à la prévention et à l’élimination de la pandémie ». On peut douter de cette barrière. En effet le Parlement qui, d’ordinaire, est supposé contrôler l’action du gouvernement sera simplement informé des mesures prises, et s’il ne peut se réunir, cela se fera en lien avec les présidents des groupes parlementaires.
La seule vraie garantie est le maintien du contrôle constitutionnel déjà prévu par la loi fondamentale hongroise : la Cour Constitutionnel pourra examiner les dispositions prises s’il est saisi par le quart du Parlement, ce qui est possible sans la supermajorité du Fidesz.
Par ailleurs la loi prévoit de nouvelles mesures pénales qui portent atteinte à la liberté de la presse. En effet toute personne « diffusant de fausses informations avec pour objectif de cacher ou court-circuiter l’effectivité des réponses à la crise pourra être punie de 1 à 5 ans d’emprisonnement ». Cela veut-il dire que toute critique de la réponse gouvernementale sera condamnée ? Un nouveau pas vers la fin du pluralisme médiatique déjà engagé par Viktor Orbán qui s’emploie à mettre des proches à la tête des groupes de presse hongrois.
L’Union européenne doit réagir
L’article 7 a été déclenché contre la Hongrie, mais par le Parlement, la Commission ne se sont pas comportés de la même manière qu’à l’égard de la Pologne. Un début d’explication se trouve dans une question politique : le parti de Viktor Orbán appartient au PPE, parti dont sont issus Jean-Claude Juncker, ancien Président de la Commission européenne, ainsi qu’Ursula von der Leyen, actuellement à la tête de l’exécutif européen. Le PPE qui, bien qu’ayant suspendu provisoirement le Fidesz de toute décision interne, ne l’a toujours pas exclu. Il ne reste qu’à espérer que Donald Tusk, nouveau Président du Parti populaire européen - et ancien Président du Conseil européen - saura enfin prendre ses responsabilités sur cette question.
Il s’agit donc également d’une question de laisser faire des institutions et des États membres, la dérive illibérale en Hongrie n’est pas nouvelle, elle a débuté dès le retour au pouvoir de Viktor Orbán en 2010. L’État de droit étant une valeur fondamentale de l’Union européenne, une réaction est plus que nécessaire, mais on peut cependant en douter alors que les États, seuls habilités à prendre de vraies sanctions dans le cadre de la procédure de l’article 7, s’écharpent déjà depuis février sur la question du budget, puis plus récemment concernant la solidarité financière, laissant le champ libre à toute dérive illibérale.
Au lendemain de l’entrée en vigueur de ces mesures en Hongrie, la Présidente de la Commission européenne s’est contentée d’une déclaration appelant les États membres à ne prendre que des mesures nécessaires et proportionnées. Il ne fait pas de doute que cette déclaration est faite en réaction directe aux décisions de Viktor Orbán, la Commission prend cependant le soin de ne pas mentionner directement la Hongrie...
En France, un nouvel état d’urgence sanitaire
Il est une question d’honnêteté de ne pas oublier ce qui s’est fait en France au début de la crise du Covid-19. Le Parlement a en effet voté la loi dite de « l’état d’urgence sanitaire » qui octroie également au gouvernement de larges prérogatives lui permettant d’investir plusieurs domaines législatifs. En quelques jours a été créé ce nouveau cadre d’exception inspiré de l’état d’urgence sécuritaire qui, après avoir duré deux ans à la suite des attentats de novembre 2015, a été fondu dans le droit commun.
En vigueur pour deux mois, il pourra être prolongé par le Parlement et permet au Premier Ministre et au Ministre de la Santé de prendre des mesures limitant nos libertés individuelles, en premier lieu notre liberté d’aller et venir. Plus largement il habilite le gouvernement à agir par ordonnance, c’est-à-dire dans le domaine législatif - tout comme en Hongrie. C’est notamment le cas concernant le droit du travail avec, par exemple, la possibilité pour certains secteurs de contourner la limite des 35 heures hebdomadaires et aller jusqu’à 60 heures.
Le Parlement continue également sa mission de contrôle puisqu’il devra être informé « sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire ».
L’abandon provisoire de nos libertés nous semble aujourd’hui justifié, il nous faudra cependant, à l’échelle nationale et européenne, être collectivement vigilants à la sortie de cette crise qui pourrait ouvrir ici et là des dérives liberticides.
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