Personnalité clivante mais populaire, Imamoglu renforce son rôle d’opposant
En Turquie, la vie politique réserve souvent bien des surprises et la nouvelle du 23 mars dernier a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel d’Istanbul. L’arrestation, en même temps qu’une dizaine de journalistes et d’hommes d’affaires, du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, 53 ans, a décontenancé tout autant que choqué le microcosme politique turc. Si la menace d’une arrestation de cette figure importante planait depuis plusieurs années, la nouvelle a suscité une vague d’interrogations mais aussi de protestations contre une décision jugée arbitraire.
Personnalité populaire et charismatique avec un discours tranchant pour les uns ou usurpateur de la fonction de maire pour les autres et accusé d’être impliqué dans des affaires de corruption, Imamoğlu ne laisse pas indifférents ni ses adversaires ni ses soutiens. Dans cette optique, la Turquie est partie sur des charbons ardents puisque des manifestations et protestations, de la jeunesse notamment, ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. « Suspendu » derechef de ses fonctions par le Ministère de l’intérieur, Imamoğlu est aujourd’hui incarcéré dans la prison de haute-sécurité de Silivri, à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de la ville et attend désormais son procès qui aura lieu le 16 juin prochain.
Imamoglu dans la ligne de mire du pouvoir depuis 2019
Ce n’est pas pourtant pas le premier caillou dans la chaussure d’Imamoğlu, lui qui a vu son élection à la mairie de 2019 être annulée pour irrégularités peu de temps après le scrutin. Un deuxième tour avait été organisé dans la foulée et conforté le maire d’Istanbul dans sa victoire, avec même une hausse de son avance. En 2024, il est réélu une seconde fois maire de la ville mais depuis, une rancune tenace existe entre Imamoğlu et le parti au pouvoir, l’AKP (le Parti de la justice et du développement) du Président Recep Tayyip Erdoğan. Maire de la ville, lui aussi, entre 1994 et 1998, originaire, comme Imamoğlu de la Mer noire, le Président turc n’a jamais digéré la (re)-prise en main du CHP, Parti républicain du peuple, et d’Imamoğlu sur ce qu’il considère comme sa chasse-gardée : la municipalité d’Istanbul, plus grande ville du pays et poumon économique du pays.
Dès lors, le principal parti d’opposition n’a pas tardé à réagir par la voix de son président, Özgür Özel pour qui « Erdoğan a perpétré un coup d’État contre le prochain président de la Turquie, notre candidat à la présidentielle ». Effectivement, dès le lendemain, le Parti républicain du peuple (CHP) a désigné Imamoğlu comme candidat à la prochaine présidentielle qui aura lieu en 2028, ce qui matérialise davantage sa stature de présidentiable pour ses soutiens.
Imamoglu, un adversaire coriace et combatif malgré tout
Dans tous les cas, l’annulation du diplôme du désormais ancien maire par l’Université d’Istanbul est la preuve que le pouvoir craint malgré tout Imamoğlu. Un acte symbolique mais surtout une condition sine qua non pour tout candidat potentiel aux présidentielles puisqu’il faut obligatoirement être diplômé pour pouvoir se présenter aux élections.
Cependant, malgré toutes ces avanies, l’édile déchu se montre combatif soutenu en cela par son épouse, Dilek, très présente notamment sur les réseaux sociaux pour dénoncer les conditions de l’arrestation de son mari. Si des manifestations se sont également déroulées dans plusieurs villes turques, Imamoğlu peut compter sur des soutiens à l’étranger notamment en France où il a été fait « Citoyen d’Honneur » de la ville de Paris par la municipalité, présidée par Anne Hidalgo.
Dans tous les cas, ce temps long voit poindre le spectre d’une division entre les partisans des deux partis, l’AKP et le CHP, sur fonds d’antagonismes irréversibles tant les deux partis se vouent une haine tenace. Difficile donc, dans ces conditions, de se projeter. D’autant plus que l’actualité internationale, avec le retour notamment de Donald Trump à la Maison-Blanche et les nombreux conflits dans le monde, rejaillissent sur l’économie turque par ricochet. Pour le Président Erdoğan, cette situation peut également être une épine dans le pied puisque le fait d’embastiller un adversaire peut lui valoir des critiques sur la façon de traiter un opposant, élu par les urnes, et des reproches sur la reprise en main de la justice.
Temps judiciaire, contre temps juridique
Sauf en cas de revirement de dernière minute, un procès devrait donc se tenir d’ici quelques mois. Est-ce que ce sera suffisant pour stopper Imamoğlu et sa volonté désormais d’en découdre ? Cela n’est pas certain d’autant que l’horizon 2028 est certes lointaine mais omniprésente dans tous les esprits. Pour Imamoğlu, c’est également une possibilité de montrer l’acharnement du pouvoir en place à son encontre et nul doute qu’il va en profiter pour faire de son procès, une tribune politique, si les débats sont possibles. D’autant que, contrairement à la coutume, tous les responsables de son parti le soutiennent dans son combat. Mais, par-delà les rivalités et les querelles politiques, cette mise sous tutelle met en valeur la profonde division du spectre politique turc.
La mise sous tutelle du CHP est à la fois erronée et impossible.
De plus, certaines rumeurs mettent en avant une possible mise sous tutelle possible du CHP, ce que conteste même Devlet Bahçeli, du MHP, Parti d’action nationaliste, et soutien indéfectible d’Erdoğan. Ce qui démontre bien que ces trois années à venir risquent d’engendrer suspicions et doutes à tous les niveaux. La vie politique turque est un éternel recommencement puisque, pour l’anecdote, la dernière personnalité politique à avoir fait de la prison était Recep Tayyip Erdoğan, en 1998.
De là à avoir une similitude dans les oppositions entre les deux principaux candidats pour 2028, la question risque d’agiter le pays durant les prochaines années. Quoiqu’il advienne toutefois, la date du 23 mars 2025 semble avoir lancé le top départ pour la présidentielle de 2028. Une élection qui risque d’être tout autant un combat sur le terrain des idées qu’un duel entre deux personnalités aussi proches qu’éloignées l’une de l’autre.
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