Une inflation record et la crainte d’une récession économique en Europe
En avril 2022, le taux d’inflation annuel de la zone euro a encore accéléré pour atteindre 7,5%. Dans beaucoup de pays européens, l’inflation touche des taux records. Avec 11,9 % aux Pays-Bas ou encore 9,8% en Espagne, la France paraît presque bien s’en sortir, puisque l’inflation y est mesurée à 4,5%.
Concrètement, l’inflation représente l’augmentation de la masse monétaire, qui fait perdre de la valeur à la monnaie, dont le pouvoir d’achat décroît. L’inflation se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Quand elle est trop forte, elle a pour conséquence de réduire considérablement le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, et est néfaste pour l’économie dans son ensemble.
La hausse de l’inflation fait craindre une récession en Europe. La reprise attendue, qui marquait la fin de la crise Covid, a été chamboulée par la guerre en Ukraine. L’inflation record attendue en 2022, et en particulier le surcoût observé sur les énergies et matières premières (le taux d’inflation annuel de l’énergie se situant à 44,7% en février) va forcément entamer le pouvoir d’achat des ménages et décourager les investissements des entreprises. Cela pourrait amener à un recul de la croissance économique et instaurer une stagflation (l’inflation élevée couplée à une croissance faible ou nulle). A ce jour, la BCE prévoit une hausse de la croissance économique de 3,7% pour 2022, contre les 4,2% qui étaient prévus il y a trois mois.
Le mandat de la BCE : assurer la stabilité des prix
Le mandat primaire de la BCE consiste à maintenir la stabilité des prix au sein de l’Union économique et monétaire. Au titre de son mandat secondaire, la BCE doit tendre à apporter « un soutien aux politiques économiques de l’UE ». A ce titre, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait agir contre l’inflation afin de maintenir la stabilité financière. Le Conseil des gouverneurs (organe de la BCE qui réunit les gouverneurs des banques centrales de la zone euro) a décidé depuis 2003 qu’il visera à maintenir les taux d’inflation à des niveaux proches de 2 %. Ce taux positif d’inflation vise à prévenir tout risque de déflation, considéré trop nocif pour l’économie. Aujourd’hui, les chiffres de l’inflation dépassent largement ce seuil. Que peut donc faire la BCE pour lutter contre l’inflation ?
Une hausse de l’inflation due notamment à l’augmentation des prix sur l’énergie
Les facteurs explicitant la hausse des prix résultent pour partie de décisions politiques. L’inflation apparaît très concentrée, notamment sur les prix de l’énergie, puisque le taux d’inflation annuel de l’énergie se situait à 44,7% en février. La guerre en Ukraine a poussé les dirigeants nationaux et européens à prononcer des sanctions contre les produits russes, notamment le pétrole, ce qui a pour effet de faire grimper les prix. Le prix des énergies est décidé dans le cadre des marchés internationaux et sont impactés par les événements géopolitiques. Dans ce contexte, il paraît compliqué pour la BCE d’intervenir. Toutefois, il existe certains moyens d’action, par des instruments réduisant la masse monétaire arrivant dans l’économie réelle.
Baisser les taux directeurs
Pour comprendre comment la BCE pourrait influer l’inflation, il faut comprendre le fonctionnement du système économique et monétaire de l’Union. Le système européen des banques centrales se compose de toutes les banques centrales nationales de la zone euro, et est dirigé par la BCE, qui donne des orientations économiques. Les banques centrales n’interagissent pas directement avec l’économie réelle, mais ont un intermédiaire : les banques commerciales. Ainsi, la Banque Centrale Européenne fixe des taux d’intérêt, dit les taux directeurs, selon lesquels les banques centrales accordent des prêts à ces banques commerciales. Les taux d’intérêts fixés par la BCE sont ensuite répercutés par les prêts des banques commerciales aux ménages et aux entreprises. Il est donc possible pour la BCE d’influer sur l’économie en faisant fluctuer lesdits taux d’intérêt. En période d’inflation, la BCE peut fixer des taux d’intérêts plus élevés, que les banques commerciales répercutent sur les prêts accordés aux particuliers. Les prêts seront donc plus difficilement accordés, aux établissements de crédit comme aux ménages et aux entreprises, réduisant ainsi la masse monétaire et l’inflation.
Plus précisément, les taux directeurs de la BCE sont au nombre de trois : le taux de refinancement, représentant le taux d’intérêt des liquidités empruntées par les banques commerciales ; les taux de rémunération des dépôts, correspondant aux « réserves obligatoires » des banques commerciales ; et le taux du prêt marginal, qui correspond aux prêts à très court terme de liquidité. Depuis 2011, le taux de dépôt en Europe reste fixé à - 0,5% et zéro pour le taux de refinancement. La BCE, en fixant de tels taux, souhaitait contrer les effets de la crise et agir contre la déflation, encourageant de ce fait les investissements et l’épargne des ménages.
Agir sur les « collatérales »
La BCE peut aussi agir grâce à la liste, régulièrement mise à jour, des « collatérales ». Celles-ci représentent les garanties que doivent présenter les banques commerciales aux banques centrales quand elles souhaitent obtenir un prêt. Si les établissements de crédit n’arrivent pas à rembourser, les banques centrales les gardent. Quand l’inflation est trop élevée, il est possible de réduire la liste des collatérales pour ne garder que les mieux notées, et rendre les prêts plus difficiles pour les banques.
Des situations différentes en Europe et ailleurs
Les banques centrales des Etats-Unis, du Royaume-Uni, et de la Corée du Sud ont déjà commencé à augmenter leurs taux d’intérêts depuis plusieurs semaines. La BCE, n’a pour l’instant pas élevé les siens, mais a envisagé de le faire pour la première fois depuis 2011. Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a encore mentionné le 22 avril qu’il était « fort probable » que l’institution relève ses taux directeurs d’ici à la fin de l’année. L’agence de presse Reuters parle même d’une relève des taux dès juillet.
Mais pourquoi la BCE n’a-t-elle pas encore relevé ses taux ?
La BCE se trouve dans une situation différente par rapport à ses homologues étrangers. Par exemple, aux Etats-Unis, la FED a prévu 5 à 6 hausses des taux jusqu’à la fin de l’année car elle fait face à une économie américaine en surchauffe, où la demande est sur-stimulée par les plans massifs de relance et une forte accélération des salaires. La FED doit avoir une réponse musclée pour calmer l’emballement général sur les prix.
En Europe, la situation est différente. Une phase de reprise était apparue avec la période post-Covid, mais les politiques européennes avaient compensé les pertes seulement et non re-stimulé l’économie comme aux Etats-Unis. Par ailleurs, l’inflation reste très concentrée : la seule hausse sur les prix de l’énergie et de l’alimentation explique la moitié de l’inflation observée.
Des taux directeurs toujours intouchés par la BCE
La BCE se doit donc de réagir, mais également de temporiser. Réagir, car la crédibilité de sa politique monétaire est en jeu, et même la crédibilité de sa monnaie. L’Europe se situe aux portes du conflit en Ukraine, et elle est susceptible d’être la plus affectée économiquement par celui-ci.
Temporiser parce qu’il existe un dilemme entre inflation et croissance. Des mesures de lutte contre l’inflation risquent d’avoir un négatif un effet sur la croissance dans cette période délicate qu’est la relance post-Covid. Ensuite car la BCE décide de la politique monétaire entre 19 États, dont les économies différent. Il ne faudrait pas créer de disparités trop grandes entre celles-ci. Enfin, l’inflation reste un phénomène psychologique. Il ne faudrait donc pas contribuer à l’emballement des marchés.
L’objectif de la BCE est donc d’adopter une politique « progressive », « flexib[le] » et qui « interviendra après la fin des rachats d’actifs » (communiqué de la BCE du 10 mars 2022).
La fin des rachats d’actif par la BCE est avancée
Concernant les rachats d’actifs, la BCE a décidé d’agir plus vite. Le ‘Quantitative easing’, l’assouplissement quantitatif, est un type de politique monétaire par laquelle une banque centrale rachète massivement de la dette publique ou privée afin de stimuler la croissance. C’est l’instrument qu’a privilégié la BCE dès 2015, dans le cadre de la politique du « quoi qu’il en coûte » de Mario Draghi, son ancien directeur. Elle a également été largement utilisée pour répondre à la crise Covid.
Le rachat d’actifs est un sujet sensible au sein de l’Union économique et monétaire. En effet, le rachat d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires par la BCE avait beaucoup fait parler de lui du fait de l’opposition retentissante de plusieurs acteurs, comme la Cour constitutionnelle allemande. Les affaires Gauweiler et Weiss qui concernant les PSPP (‘Public Sector Purchase Programme’), ont par exemple opposé l’UE et les juges allemands sur leurs visions respectives du rôle et mandat de la BCE.
S’il était déjà prévu d’arrêter le programme d’urgence PEPP (‘Pandemic Emergency Purchase Programme’) à la fin du mois, la BCE a également annoncé la fin d’un autre programme d’achat d’actifs, l’ Asset Purchase Programme (APP) au troisième trimestre. Pour certains, cette décision est trop rigide. Pour d’autres, elle représente au contraire un moyen pour lutter contre les risques de stagflation, et (« donne à la banque centrale un maximum de flexibilité et laisse ouverte l’option d’une hausse des taux avant la fin de l’année ») (Carsten Brzeski, analyste chez ING).
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