Mouvement Européen

Interview de Sylvie Goulard (2e partie)

La nouvelle présidente du Mouvement européen-France prend la parole dans le Taurillon

, par Fabien Cazenave

Interview de Sylvie Goulard (2e partie)

Sylvie Goulard, enseignante à Sciences-Po, a été élue présidente du Mouvement européen France le 9 décembre 2006 contre le président sortant Pierre Moscovici. C’est la première fois qu’un président du Mouvement était élu. Le « Taurillon » offre à Sylvie Goulard l’occasion de nous présenter - dans nos colonnes - son point de vue sur son élection, l’association, l’Europe...

Pourquoi les médias parlent-ils si peu (et souvent si mal) d’Europe ?

Sylvie Goulard : Je ne serais pas si négative que vous. Il faut différencier : la presse écrite traite souvent d’Europe : en pages politiques, en pages économiques ; dans l’ensemble, l’information est de qualité. En revanche, la télévision est largement absente ; quelques émissions remarquables sont diffusées tard le soir mais l’information quotidienne, notamment via les journaux de 13 h et 20 h est insuffisante. De nombreux rapports l’ont déjà dénoncé (comme celui du député Herbillon en 2005 par exemple). L’Europe n’est pas non plus très « photogénique » : la paix est moins spectaculaire que la guerre. Et que voulez-vous montrer d’un Conseil européen ? Tant qu’ils se tiendront à huis clos, tant que nous ne verrons que le ballet des voitures amenant les chefs d’État et de gouvernement dans le bâtiment du Justus Lipsius, ce ne sera pas sexy. Enfin, tant que chaque responsable rendra compte à « sa » presse nationale, séparément, nous aurons cet état d’esprit « toréro » : nos dirigeants espèrent encore rentrer chez eux en vendant fièrement l’idée qu’ils ont eu les « oreilles et la queue » des perdants qui ont mordu la poussière…

L’Europe fédérale semble être le projet politique qui peut répondre aux attentes des européens, qu’en pensez-vous ? De quel manière devons-nous la proposer aux citoyens ?

SG : Il faut d’abord parler du fond avant d’en venir aux modalités juridiques.

Dans ses écrits, Paul-Henri Spaak insiste beaucoup sur ce point : il est important de ne pas faire sortir les experts de leur spécialité et surtout de ne pas leur demander de résoudre les problèmes politiques. Confier aux experts ce genre de question, c’est trop souvent, pour les hommes d’État qui n’osent pas prendre leurs responsabilités, chercher un alibi. Les experts, particulièrement les fonctionnaires, ne travaillent bien que lorsqu’ils exécutent les directives données. Laissés à eux-mêmes, ils ont une tendance à compliquer les questions. Ils montrent souvent une dangereuse intransigeance dans la défense de leurs théories. S’ils ne se sentent pas couverts, ils craignent de transiger. Au contraire quand l’objectif à atteindre est clairement indiqué, leur science et leur imagination finissent toujours par trouver les solutions qui sont valables.

Laissons donc de côté les questions techniques pour affronter celles qui sont primordiales. Les Eurobaromètres montrent que, même dans des domaines traditionnellement régaliens comme la politique étrangère, la défense, la sécurité intérieure, des taux importants d’Européens (au-delà de 70 %) demandent des politiques communes. L’euro a prouvé que la terre ne s’arrêtait pas de tourner lorsqu’on exerce ensemble la souveraineté. Et vous connaissez la réaction amusante de la Reine d’Angleterre qui s’est émue, à la lecture du Traité constitutionnel, de l’existence de la primauté du droit communautaire, déjà acquise par voie jurisprudentielle. Le Royaume-Uni la respecte depuis 1973 sans que sa gracieuse Majesté en soit morte, ni l’Angleterre dénaturée…

S’il apparaît qu’une solution fédérale – j’aime bien aussi le mot communautaire – est appropriée pour atteindre un objectif, utilisons la, sans peur ni réserve. Le fédéralisme est un mode d’organisation de la puissance publique intéressant parce qu’il est efficace, démocratique et respectueux des entités qui composent la fédération. Ce n’est cependant pas une fin en soi. Et n’oublions pas que certains s’effarouchent à la seule audition de ce mot. Donc soyons habiles pour parvenir à nos buts.

Pensez-vous que lors de la campagne référendaire de 2005, les hommes politiques pour le Oui ont été bons ?

SG : Non, ils ont été exécrables. D’une manière générale, quand on perd, on a mauvaise grâce à dire qu’on a été bon ou à chercher des boucs émissaires.

Mais cette défaite n’est pas seulement celle des hommes politiques ; elle est aussi la nôtre, à nous tous pro-Européens. C’est parce que je me sentais co-responsable de ce désastre que je me suis lancée dans cette campagne. Les échecs sont intéressants quand ils permettent de se ressaisir. Ce temps est venu. Laurence Parisot disait récemment qu’elle se reprochait aussi l’attitude frileuse du Medef ; c’est bon signe.

Comment amener l’Europe au plus près des citoyens et inversement ?

SG : En redonnant à l’Europe une épaisseur humaine. Nous unissons des hommes disait Monnet. Vous pouvez vendre la directive Reach avec des arguments de technocrates ou expliquer, avec votre cœur, l’importance de limiter les risques de cancer.

En expliquant, en favorisant des réformes accroissant la participation des citoyens à la prise de décision, nous pourrons améliorer l’image de l’Europe. Cela n’a quasiment pas été tenté ; nombre de gouvernements, tout en jouant du violon sur l’air de l’Europe des citoyens, font tout pour garder le contrôle des processus, à l’unanimité : en matière budgétaire, en matière diplomatique ou fiscale.

Je ne crois pas que le malaise européen actuel vienne d’un défaut de « communication ». C’est plus profond. Les Européens veulent décider de leur destin ; au moins par la voie de la démocratie représentative, il faudrait leur permettre de participer aux choix majeurs : du degré de solidarité de nos sociétés, des partenaires amenés à entrer dans l’UE (élargissements), des institutions, des politiques, des allocations de ressources budgétaires.

Quelles sont les grands projets du Mouvement européen dans ce but ?

SG : Tous nos projets iront dans le même sens : humaniser l’Europe, nous ouvrir aux autres (notamment aux nouveaux États membres auxquels, en France, on fait trop souvent, à tort, un mauvais procès) ; faire comprendre la complexité des enjeux (pour éviter les crétineries sur la concurrence par exemple). Redonner le sens de l’intérêt commun.

Lisez-vous le Taurillon de temps en temps ?

SG : En lisant cette question, je me suis dit que ma comparaison avec la corrida était peut-être un peu politiquement incorrecte. Promis ! Je vais prendre le « Taurillon » par les cornes… et vous, ne soyez pas trop vache.

Interview réalisée par Fabien Cazenave

1ère partie de l’interview : ici

- Biographie de Sylvie Goulard :

Formation : École nationale d’administration (promotion 1989) ; diplomée de l’Institut d’études politiques (Paris), titulaire d’une Licence en droit de l’Université d’Aix-en-Provence (1986).

1989 : membre de la Direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères (sur du droit communautaire, du droit international public). Participation à l’équipe française chargée de négocier le traité de réunification de l’Allemagne (ayant abouti au traité de Moscou du 12 septembre 1990, dit Traité « 2 + 4 »).

1993-1996 : membre du Conseil d’État (section du contentieux, section sociale).

1996-1999 : chargée de mission au « Centre d’analyse et de prévision » (CAP) du Ministère des affaires étrangères, en charge des questions européennes et, notamment, de la coopération étroite avec le CAP allemand.

1999-2001 : détachée par le ministère des affaires étrangères comme chercheur au CERI.

2001-2004 : expert délégué à la Commission européenne, membre à ce titre du Groupe des conseillers politiques du Président de la Commission européenne (alors, Romano Prodi), s’occupant notamment du suivi de la Convention européenne.

2005-2006 : professeur à Science-Po Paris sur la thématique "Puissance et influence dans les relations internationales" (double cursus Science-Po/LSE).

2006 : élection à la présidence du Mouvement européen France.

Ses publications : Le Grand Turc et la République de Venise (Fayard, 2004) préfacé par Robert Badinter. Cet ouvrage a été couronné du prix du livre pour l’Europe 2005 et réédité dans une version augmentée ; il a été traduit en allemand et en grec.

- Voir aussi : l’article Wikipedia sur Sylvie Goulard

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie de Mme Sylvie Goulard.

- À consulter :

Le site du Mouvement Européen France.

Le site des Jeunes Européens France.

Vos commentaires
  • Le 20 décembre 2006 à 11:26, par ? En réponse à : Interview de Sylvie Goulard (2e partie)

    je ne crois pas que les hommes politiques aient ete execrables dans la campagne ils n ont pas ete entendus les trois raisons de l echec ont ete : la trahison de fabius l erreur d avoir fat un referendum sur une telle question l erreur d avoir inclus la troisieme parrtie dans le referendum olivier giscard d estaing

  • Le 20 décembre 2006 à 20:21, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Interview de Sylvie Goulard (2e partie)

    Enfin... l’intervention télévisée de Jacques Chirac a été purement catastrophique : on a vu un chef de l’Etat non seulement incapable d’expliquer le traité et de présenter une quelconque vision de l’Europe mais tout simplement déconnecté de la réalité du pays.

    Pour le reste... je suis plutôt d’accord avec vous sauf sur le dernier point : l’erreur c’était d’inclure la troisième partie dans le traité pas de l’avoir inclus dans le référendum.

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