Italie : quand les fonds européens creusent la fracture nord-sud

, par Wiam Bousalham, Le Courrier d’Europe

Italie : quand les fonds européens creusent la fracture nord-sud
Chaque année, près de 120 000 jeunes quittent le sud de l’Italie, selon l’ISTAT (Institut italien de statistique) pour s’installer dans le nord du pays. ©Pixabay

Depuis sa création en 1975, le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) promettait de réduire les inégalités économiques et sociales entre les régions de l’Union européenne. Doté de plus de 200 milliards d’euros pour la période 2014-2020, ce programme promettait de rapprocher les territoires. Pourtant, en pratique, il semble creuser les écarts, notamment entre le nord et le sud de l’Europe mais surtout entre les régions du nord et celles du sud au sein d’un même pays comme l’Italie.

Des milliards investis, mais des écarts persistants

Prenons le cas du Mezzogiorno, le sud de l’Italie. Sur la période 2014-2020, selon la Commission européenne, il aurait bénéficié de 33 milliards d’euros via le programme FEDER. Ces fonds visaient à améliorer les infrastructures et à soutenir l’innovation du sud du pays, caractérisé par une pauvreté persistante. Pourtant, les résultats peinent à convaincre. Certaines zones, comme la Calabre, affichent un taux de chômage frôlant les 20 % et un PIB par habitant souvent inférieur à 20 000 euros, selon l’ISTAT (Institut italien de statistique). Bien que ces défis aient des causes multiples, la corruption profondément enracinée dans le système institutionnel constitue l’un des principaux obstacles à un développement économique durable.

En contraste, la Lombardie et l’Emilie-Romagne, deux des régions les plus riches d’Italie, ont su tirer parti des mêmes fonds pour consolider leur prospérité. En 2020, le PIB par habitant de la Lombardie dépassait les 39 000 euros (ISTAT, 2020), presque deux fois celui de la Calabre. Ces disparités illustrent un paradoxe : loin de réduire les écarts, le FEDER semble parfois renforcer les pôles de richesse existants.

Une jeunesse en exil

Bien que l’Italie consacre une part importante de son PIB à l’éducation (Eurostat, 2022), elle investit moins dans la recherche et le développement, ce qui contribue à la faiblesse de son attractivité internationale. Ce déséquilibre a des conséquences importantes, notamment un manque d’opportunités dans les régions les moins favorisées, ce qui a entraîné un exode des talents. Chaque année, près de 120 000 jeunes quittent le sud de l’Italie, selon l’ISTAT (Institut italien de statistique), et une majorité d’entre eux choisit de s’installer dans le nord du pays ou dans d’autres pays européens, où les perspectives professionnelles et les conditions de vie sont jugées plus favorables.

Le déséquilibre est criant : en 2023, selon Confindustria Veneto, pour chaque jeune travailleur qualifié qui arrive dans le pays, huit autres partent. Ce phénomène est particulièrement marqué dans certaines régions : par exemple, la Calabre perd environ 30 personnes pour chaque travailleur qualifié qui y arrive, tandis que la Lombardie enregistre un ratio de seulement six départs pour un arrivant. Ce déséquilibre régional témoigne de la difficulté de certaines régions italiennes à retenir leurs talents, exacerbée par un manque de perspectives d’avenir et des investissements insuffisants dans l’innovation et le développement économique.

D’un côté, les fonds FEDER en visant à soutenir les régions défavorisées, ont paradoxalement tendance à encourager l’exode des diplômés en exacerbant les déséquilibres régionaux. Ce phénomène prive le pays de capital humain, essentiel au redressement économique. En effet, la fuite des talents entraîne une diminution démographique, avec moins de personnes actives sur le marché du travail, ce qui affecte directement les cotisations pour les retraites et réduit la natalité, donc le nombre de familles. Cela mène à un appauvrissement du capital humain, en particulier des compétences, et limite les perspectives de croissance économique à long terme, notamment en termes d’emplois qualifiés.

De l’autre côté, cette perte pour les pays du Sud se traduit en un gain pour les autres États membres du Nord de l’Europe, qui bénéficient largement de cette dynamique. En attirant des travailleurs qualifiés sans avoir investi dans leur formation initiale, ils profitent d’un avantage compétitif sur le marché, particulièrement dans les secteurs de la santé, de l’ingénierie et des technologies.

Cette dynamique économique accentue également les tensions politiques. En 2017, lors de référendums consultatifs, des régions du nord d’Italie comme la Lombardie et la Vénétie ont voté à plus de 90 % en faveur d’une autonomie fiscale accrue. Les habitants estiment financer des transferts vers le sud sans en voir les bénéfices. Ces revendications ne sont pas isolées et reflètent une frustration croissante dans plusieurs régions européennes prospères.

Comment réformer le FEDER pour plus d’équité ?

Face à ces constats, des réformes sont indispensables. D’abord, il faut garantir une gestion rigoureuse des fonds au niveau national et non plus régional. De cette manière, les pays assurent une correcte application des aides en limitant les disparités.

Ensuite, orienter davantage les investissements vers des projets créateurs d’emplois locaux, comme des incitations à l’entrepreneuriat ou encore des dispositifs pour limiter la fuite des cerveaux, telles que des bourses de recherche conditionnées à une implantation régionale, pourraient également être envisagés.

Enfin, une évaluation régulière des impacts des projets financés pourrait permettre d’ajuster les allocations budgétaires. L’objectif est clair : faire du FEDER un levier véritable de cohésion territoriale, et non un facteur aggravant des déséquilibres régionaux. Le FEDER représente un outil puissant pour bâtir une Europe plus solidaire. Mais sans des ajustements significatifs, il risque de perpétuer une fracture entre les territoires, mettant en péril l’idéal d’une Union européenne unie et prospère.

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