Janusz Korwin-Mikke et la liberté d’expression

, par Théophile Rospars

Janusz Korwin-Mikke et la liberté d'expression
Janusz Korwin-Mikke Piotr Drabik -CC BY 2.0

L’eurodéputé polonais Korwin-Mikke s’est rendu célèbre pour ses frasques répétées au Parlement européen depuis son élection lors des élections europarlemenataires de mai 2014. Les sanctions adoptées par le Parlement à la suite de ses derniers dérapages viennent cependant d’être censurées par le Tribunal de l’Union européenne.

Histoire d’un agitateur chevronné

L’arrivée de cet ancien résistant anticommuniste, passé par Solidarność avant de se tourner vers un étrange mélange ideologique entre positions sociales réactionnaires, voire révisionnistes, et programme économique d’inspiration libérale, n’est pas passée inaperçue au Parlement européen. Déjà pendant sa campagne, il proposait de supprimer le droit de vote des femmes... Un an après son élection il écopait déjà de sa première sanction ! Le Sarah Palin de la politique européenne avait en effet jugé pertinent et intelligent à l’occasion de débats lors de la session plénière de juillet 2015 portant sur la création d’un ticket européen de train de se lever dans l’hémicycle afin d’arborer le salut nazi tout en criant « Ein Reich, ein Volk, ein Ticket » (« Un empire, un peuple, un ticket »). Cette référence au slogan national-socialiste « Ein Reich, ein Volk, ein Führer » lui avait valu sa toute première sanction.

Deux petits mois plus tard, Janusz Korwin-Mikke se faisait de nouveau remarquer en définissant les réfugiés comme étant « des déchets humains » avant d’ajouter le 7 juin 2016 « Le problème ne vient pas du fait que les immigrants nous submergent, mais du fait que ce sont des immigrants inappropriés. […] Rien ne fait entendre raison mieux que la faim. Il faut cesser de leur payer les allocations et tout simplement les forcer à travailler. Et vu que l’exemple, c’est le meilleur enseignant, nous devons leur donner l’exemple et cesser de payer les allocations à nous-mêmes également, car nous démoralisons nos propres gens aussi. » Cette fois-ci le bureau du Parlement a choisi de sortir une des sanctions les plus lourdes dont il dispose : la suspension des activités parlementaires.

Une vision rétrograde de la place de la femme dans la société

Ces prises de positions n’ont cependant pas été suffisantes pour donner son heure de gloire à l’eurodéputé d’extrême droite siégeant parmi les non-inscrits (NI). La célébrité est arrivée l’année dernière grâce à une tirade enflammée de l’homme au nœud papillon lors d’un débat sur la promotion de l’égalité salariale entre femmes et hommes le 1er mars 2017 : « Connaissez-vous le palmarès des femmes lors des Olympiades polonaises de physique théorique ? Quelle était la position de la meilleure femme ou fille ? Je peux vous le dire : 800. Et vous savez combien de femmes se trouvent parmi les cent premiers joueurs d’échecs ? Je vous le dis : pas une. Et bien sûr, les femmes doivent gagner moins que les hommes parce qu’elles sont plus faibles, plus petites et moins intelligentes, elles doivent gagner moins. C’est tout. ».

Cette fois-ci la vague d’indignation médiatique ne se fit pas attendre, l’actualité faisant le tour des rédactions européennes avec des articles tant dans les médias traditionnels comme Le Monde que des publications des médias numériques comme Brut, qui avait diffusé la vidéo absolument délirante de l’intervention de façon massive sur les réseaux sociaux.

Résultat, le président du Parlement, Antonio Tajani, a notamment infligé au parlementaire la suspension temporaire de sa participation à l’ensemble des activités du Parlement pour une période de dix jours consécutifs, sans préjudice de l’exercice du droit de vote en séance plénière et de représenter le Parlement dans une délégation interparlementaire, une conférence interparlementaire ou dans tout autre forum interinstitutionnel pour une période d’un an. Ce qui n’a par ailleurs pas dissuader M. Korwin-Mikke de poursuivre ses propos « déplacés » à l’encontre des femmes peu après, minimisant les violences faites aux femmes en les justifiant par l’existence de violences conjugales contre les hommes...

Passage devant le Tribunal de l’Union européenne

S’estimant injustement attaqué, il a décidé de déposer un recours pour contester les sanctions reçues pour ses propos du 7 juin 2016 et du 1er mars 2017 devant le Tribunal de l’Union européenne, juridiction compétente pour connaître des actes administratifs individuels des institutions de l’UE. Par ses deux arrêts du 31 mai 2018, le Tribunal a donné raison à l’eurodéputé, le règlement du Parlement européen ne permettant strictement que la sanction des comportements troublant de manière exceptionnelle les travaux de l’institution. Aussi la liberté d’expression des eurodéputés doit être préservée à travers une interprétation restrictive de ce texte, ce qui ne permet, dès lors, pas la sanction de propos aussi désobligeants soient-ils.

La question de la liberté d’expression en Europe

Ces arrêts s’inscrivent dans le débat actuel autour de la liberté d’expression en Europe. Après les récents assassinats de journalistes en Slovaquie et à Malte, les intimidations faites par les régimes « illibéraux » à la société civile, la liberté de la presse et de la liberté d’expression plus largement sont aujourd’hui dans une situation fragile. Ces arrêts cependant marquent une lueur d’espoir dans la mesure où ils rappellent les valeurs de la démocratie libérale. La liberté d’expression des parlementaires est un droit indissociable de la mission d’expression des électeurs et doit être protégée comme tel. Bien que stupides et outrancières, de telles opinions doivent pouvoir s’exprimer pour ensuite être réfutées.

En effet, la médiatisation de la tirade sur l’égalité des sexes a aussi permis de diffuser la réponse sanglante adressée par l’eurodéputée socialdémocrate espagnole Iratxe Garcia Perez. Finalement, avec les indignations provoquées par cette prise de position publique, les droits de la femme ont bel et bien été gagnants. A l’heure où l’Assemblée nationale française souhaite décider de ce qui est vrai et de ce qui est faux à travers les débats sur la proposition de loi déposée par le parti La République En Marche, visant à encadrer les fausses informations définies comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable », la défense de la liberté d’expression semble bien malmenée, même dans les pays présentés comme attachés aux valeurs de la démocratie libérale comme la France.

Il est donc grand temps de défendre les valeurs humanistes qui sont la base de nos sociétés et de prendre la parole pour défendre le droit des marginaux à débiter leur bêtises, des sages à les combattre, des journalistes à critiquer les vérités d’Etat sans entrave et des citoyens à parler avec leur cœur sans risquer de sanctions.

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