Jean-Marie Cavada : « L’égalité fiscale et sociale ne progresse pas en Europe »

, par Alessandro Ciolek, Axel Abdelli, Marie Dilou, Ophéline Parpex

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Jean-Marie Cavada : « L'égalité fiscale et sociale ne progresse pas en Europe »
Jean-Marie Cavada au Parlement européen de Strasbourg le 12 avril 2016 © European Union 2016 - Source : EP

Pour Jean-Marie Cavada, Vice-président de la commission des affaires juridiques du Parlement européen et affilié au groupe ALDE, l’Union européenne doit résorber les inégalités fiscales, économiques et sociales si elle veut recréer du lien avec les citoyens.

Comment expliquez-vous que les citoyens ne se sentent pas assez représentés au niveau européen et qu’ils nourrissent le sentiment que l’Europe se décide sans eux ? Est-il nécessaire de réformer les institutions ?

Jean-Marie Cavada : Il est vrai que nous pourrions faire de grands progrès. Il faudrait d’abord que la classe politique française parle d’Europe. Car les niveaux municipal, départemental, régional et national touchent de l’argent européen. Mais vous voyez rarement un bâtiment aménagé grâce à des fonds européens avec un drapeau de l’Europe pour signaler ce financement. Et puis la presse française est extrêmement franchouillarde. Elle ne parle pas assez de la vie de nos voisins européens, des débats et de leurs significations comme si cela était une activité politique étrangère. Il faut cependant prendre en compte que la quasi moitié des lois auxquelles les Français obéissent sont des lois de Strasbourg.

Enfin, l’Éducation nationale ne sensibilise pas les élèves à l’histoire de l’Europe ou à ses principaux enjeux. Les conquêtes napoléoniennes dans les livres d’histoire prennent plusieurs pages, la construction de l’Europe en prend deux. Page de gauche, les dates et page de droite, une carte. C’est insuffisant.

Emmanuel Macron a remis la question européenne dans le débat politique et entend développer « L’Europe qui protège ». Est-ce une bonne idée pour renouer le lien des citoyens avec l’Union européenne ?

JMC : Oui, pour se sentir davantage européen. Au fond, pourquoi il y a de l’extrême gauche et surtout de l’extrême droite en France ? Parce que des questions fondamentales n’ont pas été résolues. Les gens qui votent FN en France ou AFD en Allemagne sont apeurés par la question migratoire et la question de l’inégalité dans l’emploi, c’est-à-dire le fait que des masses importantes de travailleurs venus d’Europe de l’Est, d’une part, et de l’extérieur de l’Europe d’autre part, occupent des emplois. Et ce même si ces emplois ne trouvent pas preneurs en France ou en Allemagne. On n’a pas demandé aux Français et aux Européens ce qu’ils veulent comme politique migratoire en leur offrant des alternatives. Comment doit-on traiter les réfugiés ? De mon point de vue on doit les accueillir. Les réfugiés sont des persécutés qui s’en vont de leur pays pour sauver leur peau et celle de leurs enfants.

Et puis il y a autre chose : l’inégalité économique et sociale avec les grandes sociétés européennes ou extra-européennes qui ne payent pas d’impôts, qui échappent à l’impôt, alors que vous vous payez vos impôts.

La fiscalité est-elle donc un enjeu de démocratie en Europe ?

JMC : Tout à fait, parce qu’il n’y a pas de raison qu’on n’ait pas l’égalité fiscale. Sinon les gens se disent « Si c’est ça l’Europe, alors… ». Or, l’Europe ne s’est pas donnée la puissance de dire qu’elle allait traiter l’égalité fiscale. Sur une distance de 10, 15, 20 ans pourquoi pas. On a mis 25 ans à créer la monnaie unique, entre 1975 et 2000. On peut mettre encore 20 ans à réaliser l’égalité fiscale, ça ne me gêne pas. Par exemple en réduisant petit à petit, progressivement, les disparités entre les pays qui ont la plus haute fiscalité et ceux qui ont la plus basse. Ceci n’a pas été traité.

Autre enjeu, le fait que quand un travailleur arrive chez nous, ou en Allemagne, ou aux Pays-Bas, ou ailleurs, le travailleur national est mieux payé alors que le travailleur immigré, même quand il est Européen, est moins bien payé. Les entreprises préfèrent donc les travailleurs immigrés parce que ça leur coûte moins cher. Il faut y mettre de l’ordre.

Il faudrait également que les pays européens s’engagent à consacrer le même pourcentage de leur PIB à la protection sociale, notamment à la sécurité sociale, à la retraite. Or le chemin de l’égalité fiscale et sociale ne progresse pas.

On voit l’élan identitaire revendiqué par une partie de la Catalogne, est-ce que l’Europe aurait un intérêt à reconnaitre cette volonté d’indépendance et à s’immiscer dans ce conflit ?

JMC : Il y a un conflit très important dont on verra le 21 décembre dans les urnes ce qu’il donne exactement. Aujourd’hui les sondages tendent à montrer que la majorité des voix ira vers les indépendantistes. En tout cas, il y a des divergences très importantes. Les uns pensent qu’il faut réclamer l’indépendance, les autres pensent qu’il faut renégocier plus d’autonomie. C’est très subtil. Comme je suis un Européen de France, dont la famille vient d’Espagne, je suis attaché à l’unité espagnole, parce que le morcellement de l’Europe c’est la mort de l’Europe.

Plus d’Etats en Europe, c’est selon vous moins d’Europe ?

JMC : Oui. Plus il y a d’Etats, plus il est difficile de décider et cela génère des embryons qui n’ont pas une puissance suffisante pour remplir les grandes fonctions régaliennes. L’Espagne unie a une armée, la Catalogne n’aura jamais une armée capable de projeter une force. Ils enverront 5 camions et 10 soldats, mais on ne peut pas construire un système qui se protège avec ça.

Donc être trop nombreux, selon vous, c’est une contrainte pour l’Europe car on n’arrive plus à se parler. Cela pose donc aussi la question de l’ouverture ou non de l’Union européenne.

JMC : Bien sûr. L’Union européenne ne doit plus s’ouvrir aussi longtemps qu’elle n’a pas traité les questions régaliennes. On voit bien que le continent est lié par un destin commun et c’est pour cela que le morcellement crée des difficultés supplémentaires. D’ailleurs, beaucoup de gens ont perdu la sympathie qu’ils avaient pour l’Europe à partir de l’élargissement parce que tout d’un coup le rythme de décision s’est ralenti du fait des divisions, des intérêts de chacun des pays. Il y a une doctrine qui consistait à dire qu’il fallait d’abord approfondir avant d’élargir. Je partage cette idée.

Propos recueillis le 4 décembre 2017 par Marie Dilou, Ophéline Parpex, Axel Abdelli et Alessandro Ciolek à l’Ecole de communication et de journalisme de Paris, IICP. Cet interview s’inscrit dans le cadre d’une intervention « Eurodéputé à l’école » organisée par les Jeunes Européens - France pour sensibiliser les journalistes de demain aux enjeux de l’Union européenne.

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