« La politique étrangère commune de l’Union européenne est une politique intergouvernementale »
A l’occasion de sa visite en Israël, le 13 octobre 2023, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’engageait à nouveau dans une séquence diplomatique extensive par rapport aux compétences déterminées par le Traité de Lisbonne. La femme la plus puissante du monde selon Forbes, adoptait un langage particulièrement fort pour dénoncer l’ampleur des massacres qui avaient été perpétrés par le Hamas. Ursula von der Leyen s’était alors détachée du processus institutionnel de synchronisation intergouvernementale dans le domaine des relations internationales. En ne rappelant pas la nécessité pour Israël de respecter le droit international et le droit humanitaire lors de l’engagement d’une action militaire, la Présidente de la Commission avait globalement heurté les diplomaties des États membres de l’Union, générant ainsi une intense polémique, qui fragilisait une autorité habilement élaborée.
Interrogé en Chine, le 15 octobre, sur les propos d’Ursula von der Leyen, Josep Borrell établissait le pouvoir réel de la Présidente de la Commission, au sein de l’architecture institutionnelle spécifique de l’Union et affirmait sa propre prédominance dans les relations internationales, qui résultait d’une articulation intergouvernementale définie par la version post-Lisbonne du Traité sur l’Union européenne :
Le Haut Représentant, un diplomate d’action
Le cadre politique du Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023, instaurait des axes généraux cohérents, sur lesquels le Haut Représentant pouvait ainsi établir les paramètres d’un processus diplomatique. Josep Borrell définissait deux priorités : « éviter que le conflit ne s’étende à toute la région » et « travailler à une désescalade à Gaza et à une solution humanitaire ». Le Président du Conseil des affaires étrangères énonçait la résolution diplomatique commune des États membres, au-delà des nuances de langage, qui légitimait les initiatives qu’il allait engager au Moyen-Orient :
Josep Borrell balayait ainsi les commentaires qui avaient accompagné certaines de ses déclarations, dont les formulations s’étaient éloignées des subtilités langagièresdes positions officielles du Conseil européen. Le Haut Représentant avait conscience que ces longs processus d’élaboration du langage diplomatique, portaient atteinte à la crédibilité de l’Union sur la scène internationale. Josep Borrell se focalisait sur la structuration de son autorité, en se positionnant comme un diplomate d’action et non de proclamation et avait orienté son mandat sur la progression de la capacité opérationnelle du Haut Représentant, en arbitrant les évolutions délicates d’une unité intergouvernementale instable.
Les politiques étrangères des États membres de l’Union convergeaient ainsi vers une efficience du soutien humanitaire aux civils palestiniens, un traitement opérant de la libération des otages et des avancées diplomatiques afin de progresser vers une configuration ordonnée de la région. Du 16 au 20 novembre 2023, le Haut Représentant se rendait en Israël, en Palestine, à Bahreïn, au Qatar et en Jordanie.
Josep Borrell parcourait ainsi le kibboutz de Be’eri qui avait été attaqué à la frontière avec Gaza. Le Haut Représentant participait également à une réunion, où étaient présentes les familles des otages. Josep Borrell échangeait avec de nombreux dirigeants de la région, comme le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen, le Président de l’État d’Israël Isaac Herzog, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne Mohammad Shtayyeh, le Président de l’État de Palestine Mahmoud Abbas, le ministre palestinien des Affaires étrangères Riyad Al-Maliki, le ministre des Affaires étrangères de l’Arabie Saoudite Faisal bin Farhan Al Saud, le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn Abdullatif bin Rashid Al Zayani, le Premier ministre/ministre des Affaires étrangères du Qatar Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al-Thani et le Roi de Jordanie Abdallah II.
Une extension du pouvoir de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza
Lors de son intervention, au IISS Manama Dialogue 2023, à Bahreïn, le 18 novembre 2023, Josep Borrell affirmait que « le Hamas ne peut plus avoir le contrôle de Gaza. Alors, qui contrôlera Gaza ? […] L’Autorité palestinienne. J’étais à Ramallah, ils m’ont dit qu’ils étaient prêts et disposés à assumer cette responsabilité. » Cette réalité d’un renversement du Hamas et de l’extension du pouvoir de l’Autorité palestinienne sur Gaza, se corrélerait à la création d’un État palestinien réunissant les territoires de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.
Josep Borrell prônait ainsi une organisation de la bande de Gaza, opposée aux conceptions de Benyamin Netanyahou qui avait affirmé le dessein politique d’établir un « contrôle sécuritaire » sous la responsabilité d’Israël à Gaza, contesté la légitimité de l’autorité palestinienne et dressé les contours indéterminés d’une future structuration institutionnelle : « Il faudra autre chose là-bas ». L’évolution de la politique intérieure israélienne après la guerre, contribuera à façonner le futur processus institutionnel israélo-palestinien. Durant son passage en Israël, le Haut Représentant avait également rencontré l’ancien chef d’État-Major de l’armée israélienne, Benny Gantz, qui en tant qu’opposant notable était également un membre éminent du gouvernement d’urgence dirigé par Benyamin Netanyahou.
« Une course contre la montre est évidemment en cours »
Le 20 novembre 2023, Josep Borrell présentait devant les ministres des affaires étrangères de l’Union, le bilan de son déplacement au Moyen-Orient et notamment le contenu des discussions de haut niveau qui avaient été menées en Israël, en Palestine, à Bahreïn, au Qatar et en Jordanie. Le Haut Représentant annonçait concentrer les travaux du Conseil des affaires étrangères sur l’accomplissement d’un processus efficient de stabilisation dans la bande de Gaza et la revitalisation d’une solution politique à deux États. Selon Josep Borrell :« Une course contre la montre est évidemment en cours pour provoquer une désescalade des opérations militaires à Gaza et de la violence en Cisjordanie, faute de quoi le conflit pourrait facilement dégénérer et se propager. »
Un accord pour une trêve humanitaire et la libération des otages, était finalement réalisé entre Israël et le Hamas, sous l’influence puissante des États-Unis, accompagnée des efforts de l’Égypte et de la médiation décisive de la diplomatie qatarie, qui pouvait opérer un rôle de passerelle entre le Hamas, Israël et les Occidentaux. La trêve engagée le 24 novembre 2023, instaurée pour quatre jours et prolongée du 28 ou 30 novembre, a permis d’organiser la libération de 110 otages israéliens et étrangers, et de déployer d’importants moyens humanitaires. Le 1er décembre, les combats reprenaient.
Lors du huitième Forum régional de l’Union pour la Méditerranée (UpM), Josep Borrell, affirmait le rôle de l’Union européenne : « Notre distance du champ de bataille est une pure illusion. Oui, il y a 7 000 kilomètres, mais les conséquences nous atteindront - et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous, les Européens, devons faire partie de la recherche d’une solution avec un engagement fort. »
Établir des connectivités fortes et résilientes
A l’issue du Conseil des affaires étrangères du lundi 11 décembre 2023, Josep Borrell revenait sur l’amplification du soutien de l’Union européenne à l’Ukraine, qui demeure une priorité pour « une écrasante majorité » des Etats membres, et dressait un constat alarmant en dénonçant une « situation catastrophique » et « apocalyptique » dans la bande de Gaza, « avec un nombre incroyable de victimes civiles. » Le Haut Représentant ajoutait que « la souffrance humaine constitue un défi sans précédent pour la communauté internationale. Les victimes civiles représentent entre 60% et 70% du total des décès. »
Josep Borrell alertait sur « l’importance de la destruction des bâtiments à Gaza qui est plus ou moins - voire plus grande - que la destruction subie par les villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. » Le Haut Représentant réaffirmait le soutien financier de l’Union à l’Autorité palestinienne, annonçait l’engagement de nouvelles mesures restrictives contre le Hamas et mentionnait un projet de sanctions à l’encontre des colons extrémistes en Cisjordanie.
Dans le premier tome de ses Mémoires [« Une terre promise » Barack Obama, Une terre promise, « Septième partie : Sur la corde raide », Chapitre 25, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2020, p.1177 ], Barack Obama avait relevé l’excès de théâtralisation durant des cycles de négociation, qui se caractérisaient par une implication de forme des acteurs, sans parvenir à structurer un mécanisme de progression vers une solution à deux États. Une action diplomatique occidentale ne pourra s’engager, qu’à la condition d’être en capacité d’assurer un processus diplomatique influent, dépouillé des apparats inopérants et polarisé sur l’objectif d’établir des connectivités fortes et résilientes, entre Israël, la Palestine et l’ensemble de leurs voisins.
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