Karima Delli : « Le train de nuit aujourd’hui, avec la question du dérèglement climatique, devient prioritaire. »

Une personnalité, un entretien en long format : découvrez l’interview mensuelle du Taurillon

, par Jérôme Flury

Karima Delli : « Le train de nuit aujourd'hui, avec la question du dérèglement climatique, devient prioritaire. »
La Française est la présidente de la Commission des Transports et du Tourisme au Parlement européen. Crédit photo : European Union

La député européenne Karima Delli, élue pour un troisième mandat le 26 mai 2019, a accepté de répondre à la demande d’interview du Taurillon. Au cours de cet entretien, la présidente de la Commission des Transports et du Tourisme est revenue sur l’enjeu majeur que constitue la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du transport. Une question d’autant plus importante qu’après une pandémie qui a complètement bouleversé le domaine ainsi que celui du tourisme, les objectifs portés par les institutions européennes dans le cadre du Green Deal restent élevés.

Le Taurillon : Quels seront les transports dans l’Union dans les années à venir ? La réponse à cette question, qui se pose à la fois en termes de public comme en termes d’échanges commerciaux, semble difficile après la pandémie qui a frappé la planète.

Pour penser les années à venir, il faut regarder le confinement. Nous avons vu qu’avec la crise du coronavirus, notre mobilité a été bouleversée. Nous avons même inventé des mots ! Il y a eu une nouvelle apparition du vélo, nous avons parlé de “coronapistes”, de nombreux projets de pistes cyclables se sont soudainement développés.

Une étude a également montré que ce développement du vélo permet aussi une économie de 3 milliards de dollars pour la santé en Europe. Demain, il n’y aura pas un seul type de mobilité, mais une pluralité de solutions. Des solutions adaptées aux usages, toujours dans une perspective durable. Ce qui me semble important, c’est l’intermodalité, comment en sortant d’un train, on prend un vélo, un bus. En tout cas, la mobilité verte passe par la réduction de la part de la voiture. Demain, nous allons passer de la possession au partage de la voiture. Le moyen le plus rapide, c’est l’utilisation du transport public.

Vous abordez la question des transports en commun. Ces derniers se sont retrouvés à l’arrêt complet et ne retrouvent pas aujourd’hui la clientèle qu’ils avaient avant la pandémie. Êtes-vous inquiète à ce sujet ?

J’ai une véritable inquiétude oui. Le secteur a besoin d’être soutenu pour répondre à cette crise. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à ce que les transports publics soient l’épine dorsale de la politique mobilité menée en Europe.

Ils ont eu un rôle à jouer pendant la crise du coronavirus, on peut regretter qu’ils ne soient pas une priorité des plans de relance. Il est nécessaire de les soutenir par un effort financier à très court terme. Demain, la situation à laquelle ils feront face est contradictoire. D’un côté, ils doivent fournir le meilleur niveau de service possible, avec peut-être plus de garanties qu’avant la pandémie mais en même temps, ils accusent une baisse spectaculaire des aides. On a un véritable enjeu si on veut décarboniser les transports en communs. Les investissements européens comme nationaux ne doivent pas oublier les transports publics. Il va falloir développer de nouveaux services, créer de nouvelles lignes, moderniser les services de transports publics. Ils ont un rôle environnemental à jouer dans les années à venir et il faut s’attaquer à la mobilité du quotidien.

Concernant le fret ferroviaire : Qu’est ce qui freine encore son développement selon vous ? Comment motiver les Etats européens à prendre des initiatives en la matière ?

Quand on regarde la part du fret en France, elle est tombée à 9 % du transport des marchandises contre 14% en Italie ou 18% en Allemagne. Ce mode de transport est beaucoup plus écologique que le fret routier. Dans le Grenelle de l’environnement, en 2007, on disait déjà que la France devrait atteindre 14 %, avec un transfert de 25% des trafics de la route vers le rail d’ici à 2020.

J’ai fait une proposition au gouvernement pour un plan de relance en la matière. Je veux inscrire au niveau de la Commission que chaque Etat membre atteigne d’ici 2030 au minimum 30 % de fret ferroviaire. Il faut énormément travailler sur les remorques de transport combiné. Il faut rénover.

Il y a des choses que je ne comprends pas. En France, tous les ports sont équipés d’une ligne de train. On a plein de belles choses. Cela crée aussi de nouveaux métiers, qu’est ce qu’on attend ? Le sous-investissement chronique dans le secteur rend les prix du fret ferroviaire encore trop peu compétitif. Il reste le parent pauvre alors que l’automobile a été aidée très vite.

Nous n’avons pas de levier d’action. Les secteurs du rail et de la route font face à des coûts et des concurrences de différentes natures. C’est pourquoi je prône une taxe poids lourds, dont une partie des recettes irait à la relance du fret ferroviaire. Le ferroviaire est un secteur clé et continuera à être essentiel. On a des besoins économiques. Il faut rendre le fret plus écologique, plus responsable mais en faire une priorité avec une volonté de sauvegarde des emplois.

Toujours sur la question ferroviaire, mais à propos de la relance du train de nuit, une cause qui vous tient à cœur, les choses semblent changer, mais peut-être pas assez vite ? Que pensez-vous des annonces du président français en la matière ?

J’en ai fait ma priorité depuis plus de quatre ans. On s’est moqué de moi au début. Le train de nuit n’est pas une niche. C’est une offre de services qui, aujourd’hui avec la question du dérèglement climatique, devient prioritaire. Nous le voyons avec la jeunesse notamment, le développement du flygskam, la “honte de prendre l’avion”, les gens demandent des alternatives.

J’ai entendu le président de la République dire “je souhaite relancer notamment le train de nuit”. La déclaration de Macron, j’ai dit chiche, allez-y ! Mais on nous explique ensuite qu’on va relancer deux lignes de train de nuit. J’ai un problème de fond : les choses ne vont pas assez vite. En France, dans les années 1980, 550 gares étaient encore desservies par un train de nuit. Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux, la prise de conscience et les objectifs en la matière sont inverses.

Regardez le Paris-Nice, il a été fermé en 2016. Pourquoi là, il est annoncé qu’il va falloir deux ans pour rouvrir une ligne fermée depuis aussi peu de temps ? Ce n’est pas sérieux. On a tout pour gagner et être des leaders en Europe. Prenez par exemple, Alstom qui va racheter Bombardier. Aujourd’hui, le matériel roulant est chez les Autrichiens. Dans le train de nuit, il existe toute une politique industrielle à lancer. La demande sera là ! Et ensuite il faut prendre une mesure, pour tous les avions qui peuvent être remplacés par un train, il faut réfléchir à des alternatives.

De véritables initiatives sont à signaler : un jeune Autrichien, Elias Bohun, monte sa propre agence de voyages, spécialisée dans les grands trajets en train, cherchant comment faire pour relier de grandes villes européennes de nuit : un casse-tête mais une demande du public. Est-ce une preuve de sa nécessité pour vous ? Et serait-il possible d’harmoniser certaines règles au niveau européen ?

La demande des citoyens est très, très forte et elle n’est pas catégorisée sur une cible particulière de gens. Le train de nuit vous permet de gagner une nuit d’hôtel. Il y a des citoyens qui se mobilisent, le collectif pour le retour du train de nuit par exemple. Rien qu’en France ils ont obtenu 180 000 signatures sur une pétition ! C’est pour ça que je me suis battue pour faire de l’année prochaine, l’année européenne du train. Nous allons faire de la promotion, pousser toutes les régions, tous les Etats à investir concrètement.

Par ailleurs, nous sommes en train de dessiner la première carte qui relierait en train, de capitale à capitale, l’Union européenne. L’année du train, c’est une première victoire, mais elle ne restera pas sans lendemain. Investir sur le train c’est garantir l’emploi et sauver le climat, c’est gagnant-gagnant. Je pense qu’on a tout pour bien faire, il ne faut pas seulement du courage politique, il faut comprendre que c’est une priorité. La mobilité, c’est la vie de tous les citoyens. Le train, c’est une question fondamentale. 90 % des Français vivaient encore récemment à proximité d’une gare, rappelons-le !

Parlons d’automobile également. Peu à peu, nous nous rendons compte que les batteries ne sont peut-être pas si vertes : les véhicules hybrides rechargeables notamment semblent finalement poser des difficultés. Alors nous pouvons nous interroger : quelle solution existe-t-il ?

J’ai mis en place le forum européen de la transformation de l’industrie automobile, qui regroupe des décideurs, des représentants, des syndicats. L’industrie automobile va être bouleversée et doit comprendre que les usages vont complètement changer. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas ouvert le marché de la réhabilitation. Nous pouvons changer un diesel ou une essence en électrique, qu’est ce qu’on attend ? Demain, il va falloir tout recycler dans une voiture. Seul Tesla sait le faire pour l’instant. Les métaux précieux dans les voitures, c’est un point très important. Et ensuite, il faut arrêter de penser que l’électrique c’est l’alpha et l’oméga. C’est une bêtise de tout miser dessus. L’électrique, pour que cela soit efficace en termes écologiques, il faut que le véhicule fasse 50 000 kilomètres annuellement. S’il y a des choses à faire en électrique, je préfère miser dans un premier temps dans des structures qui roulent comme les taxis ou les bus.

Dire qu’il faut faire de la voiture électrique partout et tout le temps... Tout le monde ne pourra pas en avoir, c’est impossible, d’un point de vue industriel. Et de nombreuses questions se posent. Ces batteries vont avoir une durée de vie limitée. Il va falloir s’interroger sur le type de mobilité vers lequel nous nous dirigeons. Il va falloir que le marché automobile ouvre la porte à une nouvelle politique industrielle. Nous allons être plus dans le partage que la propriété automobile.

J’ai écrit sur l’affaire des hybrides où on voit, Transport et Environnement l’a montré, qu’ils dépassent les valeurs officielles d’émissions, ce qui est problématique. Par ailleurs, il faut faire comprendre aussi aux constructeurs que les SUV ne sont pas la clé de l’avenir. C’est un danger pour la santé, les villes commencent à les bannir progressivement. On a fait un premier pas avec un bonus/malus sur les poids des véhicules, mais il faut aller plus loin. Je suis en faveur d’une interdiction de la publicité pour les SUV.

Passons au tourisme. Il est, du moins sa massification, vous l’avez reconnu, un vecteur important de pollution. Et en même temps, “le tourisme est la première victime économique de la crise du COVID-19” représentant en Europe “12 % de l’emploi et plus de 27,5 millions de salarié(e)s”. Comment le faire évoluer ?

À l’heure où la circulation est complètement suspendue, la période offre une pause pour la planète et nous donne l’occasion de remettre en question nos habitudes de voyages et ces désirs exotiques d’immédiat. Nous devons nous questionner sur cet ailleurs, le low cost s’échine à traduire nos envies de paysages, qui sont devenues des envies de galeries instagram, le monde est lui-même une sorte de scratch map. Il existe une boulimie d’exotisme.

Je crois qu’il faut se concentrer sur la découverte du dépaysement. Comme le disait Proust, “Le seul véritable voyage, (...) ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux”. Demain, nous aurons un tourisme local, durable. De l’exotisme en bas de chez soi ! Cette année, nous avons redécouvert des territoires qu’on ne connaissait pas. Je crois que notre plus belle victoire sera de réenchanter le tourisme. Je crois qu’il faut mettre de la volonté pour regarder ce qui se passe autour de nous.

Nous sommes en train de réfléchir afin de mettre des critères et des indicateurs pour définir le tourisme de masse. Ensuite, il faudra y mettre un véritable budget, puis aider les professionnels qui sont en grand besoin. Au-delà de la question même de l’emploi, ils font vivre des paysages, des cultures. C’est toute une histoire, le tourisme.

Plus globalement, vous êtes déjà dans votre troisième mandat en tant que député européenne, vous avez certainement eu le temps de voir des choses évoluer au sein des institutions continentales, quel regard portez-vous sur la coopération entre celles-ci ?

Je pense que le Parlement fait entendre sa voix de manière plus importante. Cela était visible dans le choix des commissaires européens. Maintenant, le véritable problème que nous avons encore, c’est que les questions européennes ne sont pas à leur juste valeur dans le paysage médiatique. Je suis dans une commission où nous ne faisons que du législatif. Pourtant, très peu de gens en ont conscience finalement.

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