Les couleurs panslaves comme identité
Comme de nombreux autres pays d’Europe c’est au cours du XIXe siècle, précisément lors du Printemps des peuples, que des réflexions autour d’un drapeau tchèque émergent. À cette époque, les volontés nationalistes au sein d’un empire d’Autriche de plus en plus pluriethnique et centralisateur se font pressantes de la part des peuples slaves qui composent celui-ci. Les Croates, les Tchèques, les Serbes et les Slovaques majoritairement, commencent à demander des droits ainsi que la reconnaissance de leurs identités nationales. C’est dans ce contexte que les couleurs panslaves vont faire leur grand retour en force. Lors du Congrès panslave de 1848, point d’acmé du mouvement panslaviste, en plein soulèvement de Prague, le choix d’un drapeau tricolore bleu-blanc-rouge pour la Bohème et les autres peuples slaves d’Europe centrale est fait. Sur les barricades praguoises, le soulèvement autonomiste tchèque est finalement écrasé par les troupes autrichiennes.
Sous la domination du Saint-Empire puis de l’Autriche, la Bohême et la Moravie ont chacune leur drapeau. Celui de la Bohême est blanc et rouge comme l’est actuellement celui de la Pologne tandis que celui de la Moravie est bleu avec un aigle à damier rouge et blanc en son centre. Ces couleurs, traditionnelles des nations slaves fusionnent dans le drapeau tchèque d’aujourd’hui : le blanc et rouge du drapeau de Bohême fait une place en son coin gauche au bleu de la Moravie. Unifiées ces trois couleurs sont celles du panslavisme, elles reprennent celle de la Russie - cœur du monde slave et orthodoxe depuis la chute de Constantinople en 1453 - vers lequel se tournent les peuples slaves opprimés d’Europe centrale. Ces couleurs inscrivent donc la Tchéquie dans un monde slave soumis et menacé d’assimilation forcée au monde germanique ou magyar au XIXe siècle. L’identification à des couleurs communes permet à la lutte autonomiste puis indépendantiste des slaves d’Europe centrale de s’inscrire dans un ensemble plus large et puissant car guidé par la Russie.
Des couleurs tchécoslovaques aux couleurs tchèques
En 1918, la défaite austro-hongroise lors de la Première Guerre mondiale et l’incapacité de l’Empire à se réformer vers un modèle fédéral ou confédéral entraîne la naissance de la Tchécoslovaquie : État panslave regroupant majoritairement Tchèques et Slovaques. Un drapeau est adopté, celui de la Tchéquie actuelle. Il se compose de deux bandes horizontales blanches et rouges - les couleurs de la Bohème et d’un triangle bleu au coin gauche symbolisant la Slovaquie.
Le grand paradoxe du drapeau de la Tchécoslovaquie résulte dans le fait qu’il soit devenu celui de la République Tchèque à la suite de la dislocation tchécoslovaque. En effet, les accords de séparation prévoyaient que le drapeau tchèque comme le drapeau slovaque devaient différer du drapeau tchécoslovaque et ne pouvaient pas s’approprier les symboles de l’ancien État. Pourtant, en 1993, le drapeau tchécoslovaque devient le drapeau de la Tchéquie alors même que la Slovaquie en adopte un nouveau reprenant cependant les couleurs panslaves : bleu, blanc, rouge. La nouvelle République tchèque se pose donc en héritière de la Tchécoslovaquie témoignant de la marginalisation ou du moins du postulat tchèque de supériorité sur l’élément slovaque qui existait dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Les couleurs du drapeau tchèque sont néanmoins réinterprétées. Si le blanc et le rouge demeurent le symbole de la Bohême, le bleu devient la couleur de la Moravie faisant fi de la Slovaquie.
Le drapeau tchèque fait donc état de l’histoire mouvementée d’une nation qui se cherche. Tour à tour drapeau du panslavisme, de la Tchécoslovaquie et de la République tchèque, il témoigne de la recherche d’une identité et d’une nation tchèque à travers le XIXe et le XXe siècle. L’interprétation des couleurs du drapeau sont donc fluctuantes, interprétées selon ce qui est constitutif ou non de la Tchéquie. Finalement, une question se pose, résumée par le titre de l’hymne tchèque : « Kde domov můj ? » (Où est ma patrie ?)
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