L’abandon du taux plancher suisse envers l’euro

Conséquence du déséquilibre économique entre la zone euro et les Etats-Unis

, par André S. Berne

L'abandon du taux plancher suisse envers l'euro
Le siège historique de la Banque Nationale Suisse (BNS ; à gauche) se situe à Berne, sur la Bundesplatz à côté du Parlement (à droite). - Guido Gloor Modjib Swiss National Bank - Guido Gloor Modjib

Avec la suppression du taux plancher envers l’euro, la Banque Nationale Suisse (BNS) a changé sa politique monétaire de façon tout à fait inattendue. Cette mesure s’explique par la disparité croissante entre les grands blocs monétaires.

Jeudi 15 janvier 2015 en matinée, l’information de la Banque Nationale Suisse (BNS) annonçant l’abolition du taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro avec effet immédiat et la suppression d’achats de devises afin de faire prévaloir ce taux fixe a provoqué un coup d’éclat au sein du secteur financier mondial.

L’introduction de ce taux plancher eut lieu en septembre 2011 dans une période d’extrême surévaluation du franc suisse et de très forte incertitude sur les marchés financiers. A la suite de la crise de l’euro à partir de février 2010, les marchés financiers ont investi dans le franc suisse qui devint fortement surévalué. En quelques mois seulement, le taux de change euro au franc suisse tomba de 1,47 franc suisse pour 1 euro à un taux proche de la parité déclenchant ainsi des conséquences problématiques pour l’industrie suisse fortement dépendante de ses exportations en Europe et pour le secteur touristique helvétique.

En septembre 2011, la BNS annonça alors un taux plancher de 1,20 franc suisse pour 1 euro afin de garantir une stabilité des prix en Suisse, ce qu’elle a par la suite sans cesse réaffirmé. La BNS s’accrocha désespérément à ce taux fixe et travestit le franc suisse en un quasi-euro, car chaque mesure de politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) à Francfort se voyait accompagnée d’une action homologue de la BNS en Suisse. En intervenant à plusieurs reprises sur le marché des devises, la banque centrale suisse s’est donc soustraite à l’économie du libre-marché.

En conséquence, les stocks de devises de la BNS ont enflé à plus de 525 milliards de franc suisse triplant ainsi son total de bilan par rapport à 2008. Mais c’est surtout à la lumière des changements fondamentaux dans la politique monétaire internationale que le taux plancher de la BNS s’est vu exposé à une forte pression comme le décrit bien l’économiste Peter A. Fischer dans la NZZ le lendemain de cette surprenante annonce. Pendant la crise financière qui ravagea les deux blocs monétaires principaux, c’est-à-dire la zone euro et celle de l’US-dollar, les banques centrales réciproques s’étaient focalisées sur une politique de crise visant à sauvegarder leurs systèmes financiers paralysés par l’effondrement en les approvisionnant de liquidités.

Par contre, ces derniers mois, une tension croissante s’est manifestée entre Francfort et Washington. Alors qu’aux Etats-Unis l’économie s’est rétablie, la banque centrale, la Réserve Fédérale américaine (Fed), met peu à peu un terme à sa politique monétaire non-conventionnelle et expansive, renforçant ainsi le dollar, tandis que la zone euro combat toujours ses difficultés structurelles. La BCE a par ailleurs déjà annoncé qu’elle utiliserait tous les moyens disponibles afin d’équiper les marchés avec de l’argent bon marché et qu’elle planifie même à grande échelle d’acheter des emprunts d’Etats ce qui affaiblirait encore davantage l’euro.

En conséquence de ce déséquilibre de conjoncture et de politique monétaire, l’euro s’est affaibli envers le dollar entrainant avec lui, dû au taux plancher, aussi le franc suisse alors que la bonne situation conjoncturelle en Suisse ne justifiait pas ce développement. La décision d’abandonner le taux plancher signifie alors en premier lieu que la BNS ne souhaite pas transformer le franc suisse en petit frère de l’euro mais qu’elle souhaite retourner à une politique monétaire autonome avec des taux de change flottants.

Cette disparité pourrait s’accroitre en raison de la nouvelle mesure de la BCE, annoncée le 22 janvier, celle du Quantitative Easing (QE, ou « assouplissement quantitatif ») qui est un plan de rachat massif de dette publique. Par cette intervention, la BCE rachète pour la première fois des obligations directement émises par les États de la zone euro. Comme il ne s’agit que de chiffres comptables, cela revient à créer de l’argent sans faire tourner la planche à billet. La conclusion de l’avocat général à la Cour de Justice de l’Union européenne, Cruz Villalón, du 14 janvier 2015 selon laquelle le programme des « opérations monétaires sur titres » de la BCE est en principe compatible avec le TFUE était donc probablement la goutte qui a fait déborder le vase, car la BNS, alarmée, n’a pas été en mesure de retenir la pression qui pèse sur le franc suisse dans l’optique de l’acquisition sur les marchés primaires et secondaires de titres de dette publique émis par les États de la zone euro par la BCE.

Le lendemain de la publication de la conclusion, la BNS a définitivement capitulé devant les mesures prévisibles de la BCE et devant les marchés des devises. Les réactions étaient fortes : en quelques minutes le taux de change de franc suisse tomba de 1,20 à 0,86 euro avant de se sauver à la parité où il demeure toujours. L’indice directeur suisse, le Swiss Market Index (SMI), est tombé de 14% dans le même laps de temps.

Même si une suppression du taux plancher de la BNS avait déjà fait l’objet de suppositions durant les derniers mois, la radicalité de son abandon a surpris les observateurs qui en majorité s’attendaient à un retrait échelonné. A l’égard des représentants des médias, le président de la BNS Jordan souligne que la mesure en cause aurait seulement pu être mise à son terme de manière surprenante, car toute autre méthode aurait été une invitation à des opérations d’initiés ou encore à augmenter la pression sur la BNS.

Afin de minimiser l’attractivité du franc suisse, la BNS a également augmenté ses taux d’intérêts négatifs de 0,5% à 0,75% ce qui résulte d’une perte pour toute personne qui stockerait des francs suisses. À terme moyen, le franc suisse ne devrait donc pas se renforcer de manière générale d’après certains experts, mais plutôt dans son rapport à l’euro. Du point de vue de la politique monétaire, cela signifierait que les prix d’importations en Suisse se réduiraient, mais que les exportations helvétiques deviendraient plus chères, ce qui frapperait l’économie exportatrice et aurait éventuellement des effets négatifs sur la croissance économique nationale. D’après des calculs de la fédération des entreprises suisse Économie suisse, un taux de 1,15 semblerait encore être supportable. En revanche, si le taux se maintient à sa parité actuelle, différents secteurs économiques en Suisse pourraient se voir confrontés à des pertes ou des précarités d’emplois ainsi que des investissements réduits.

Par contre, pour Heinz Karrer, président d’Économie suisse, tous les secteurs exportateurs seront plus ou moins touchés. Une augmentation subite des coûts de 15% à 20% porterait atteinte à chaque entreprise, surtout dans les activités à faible rentabilité et pour des entreprises suisses en concurrence directe avec leurs homologues de la zone euro.

La politique suisse doit dorénavant renforcer le site économique suisse envers la concurrence européenne en assurant de manière plus poussée la viabilité des accords bilatéraux avec l’Union européenne. L’année 2015 s’annonce donc riche en ce qui concerne les relations économiques et politiques entre les deux partis.

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