L’aérien européen coupé en plein vol ?

, par Jérôme Flury

L'aérien européen coupé en plein vol ?
Légende : La compagnie irlandaise Ryanair, ici un de ses avions à Berlin, va cesser toute activité. Pour une période limitée ? Photo by Sangga Rima Roman Selia on Unsplash

S’il est un domaine hautement concerné par la pandémie de Covid-19, c’est bien celui des transports. Et pour l’aérien, déjà fragilisé avant la crise sanitaire, le ralentissement de l’activité constitue une inquiétude majeure pour les compagnies européennes. Les aides annoncées pourraient ne pas suffire.

Des dizaines d’avions cloués au sol. Des escalators et des ascenseurs à l’arrêt. Et des terminaux vides. L’aéroport d’Orly s’est arrêté mardi 31 mars, une décision « hors norme », comme le souligne Le Figaro, mais qui s’est imposée à cause de la pandémie de Covid-19.

Un constat alarmant

Alors que l’aviation a certainement largement contribué à propager le virus, le secteur est désormais durement frappé par les conséquences des décisions politiques prises à l’échelle mondiale. La fermeture des frontières, notamment de l’espace Schengen, les annulations, la restriction des vols ont causé un effondrement de l’activité des aéroports. Le Monde illustre le cas français par un graphique clair : De 1257 vols au 15 mars, le nombre chute à 91 vols 14 jours plus tard.

Et la situation n’est pas meilleure dans les autres États européens, comme en Belgique. Le quotidien belge L’Echo l’affirme, « il y a urgence, à la fois pour les compagnies aériennes qui auront besoin de 200 millions d’euros (Brussels Airlines) et 150 millions (TUI) ; pour les sociétés de manutention, pour la maintenance (…) ». Le risque pour les transporteurs est très clair : le dépôt de bilan se rapproche.

La crash est rapide. Le Centre for aviation (CAPA) a publié un rapport le 17 mars, annonçant que d’ici fin mai, la plupart des compagnies seront en faillite. Dans un autre communiqué, l’institution annonce que les conséquences seront plus importantes pour les compagnies asiatiques et européennes, qui seront les plus touchées par la baisse du volume de passagers. « Il est indispensable, si l’on veut éviter la catastrophe, que les États et le secteur agissent, dès maintenant, de manière coordonnée », indique le CAPA. En mars 2020, le nombre de passagers était 60% inférieur à celui établi un an plus tôt pour l’Europe, contre une baisse de “seulement” 45% concernant les États-Unis.

Un besoin d’action

Les premières à réagir ont été les compagnies elles-mêmes, appliquant des mesures parfois drastiques pour diminuer les coûts. Les low-cost Ryanair et Easyjet ont rapidement envisagé la suspension de l’ensemble de leurs vols. Air France – KLM a réduit son offre de 70 % à 90 % pour deux mois, en mettant une grande partie du personnel en chômage partiel, tandis que Lufthansa a amputé jusqu’à 90 % de ses capacités de vol long-courriers. Des compagnies pourraient être amenées à s’associer.

La question se pose désormais à propos des États et de l’Union européenne qui a communiqué sur le sujet. La Commission a ainsi instauré un cadre temporaire qui permet aux États de soutenir davantage leurs économies. L’UE suspend aussi jusqu’au 24 octobre 2020 les règles en matière de créneaux horaires aéroportuaires qui obligent les compagnies aériennes à utiliser au moins 80 % de leurs créneaux de décollage et d’atterrissage pour pouvoir les conserver l’année suivante. La dérogation adoptée par le Conseil a été pensée pour aider les transporteurs aériens à faire face à la chute brutale du trafic. Les avions n’ont plus besoin de « voler à vide ».

Les États ne devraient pas tarder à prendre des décisions fortes. « Aujourd’hui, l’hypothèse de la faillite semble partout exclue. Elle est inenvisageable pour Air France, dont l’État est actionnaire », affirme Bertille Bayart du Figaro. Le secrétaire d’État chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, interrogé sur sur Radio J dimanche 26 mars, n’a par exemple pas exclu la possibilité de nationaliser la compagnie aérienne Air France-KLM, dont L’État est actionnaire à hauteur de 14 %, une fois la crise liée au coronavirus passée :

« C’est une hypothèse parmi d’autres que nous n’écartons pas. Dans des moments de crise, il faut disposer de tous les moyens, de tous les outils d’intervention publique, y compris celle-là. Nous ne l’écartons pas a priori. » Le gouvernement a par ailleurs décidé mercredi 1er avril de reporter plusieurs taxes et redevances aéronautiques.

Une image déjà défavorable de l’avion

La situation est fragile. Les compagnies disposent seulement de réserves d’argent leur permettant de tenir environ deux mois et tous les acteurs pâtissent de la situation. Ainsi, comme le révèle Le Figaro, si la société Aéroports de Paris (ADP) ne rend pas public l’impact financier de la fermeture d’Orly, « le groupe a évalué les conséquences de la chute du trafic aérien sur l’ensemble de ses aéroports dans le monde à 1 milliard de manque à gagner sur le chiffre d’affaires de 2020 ». Sur les marchés boursiers, les valeurs des compagnies sont en chute libre.

L’Association Internationale du Transport Aérien, qui regroupe 290 compagnies aériennes, établissait début mars que le coût de cette crise pour le secteur pourrait aller jusqu’à 113 milliards de dollars. Sans compter les pertes du transport de fret. Comme le rapporte France Info, le scénario le plus pessimiste envisage une baisse de 19 % des revenus mondiaux du transport aérien de passagers, qui rapportait en 2019, 838 milliards de dollars. Et le 26 mars, l’AITA avait déjà revu ses prévisions, annonçant un risque de perte allant jusqu’à 252 milliards au lieu des 113 précédemment évoqués !

Et les difficultés préexistaient à cette crise. Dans un rapport, établi en juillet 2013, le commissariat général à la stratégie et à la prospective en France se posait la question suivante : « Les compagnies aériennes européennes sont-elles mortelles ? » Les grands défis posés à l’aérien continental étaient alors mis en avant, de la mutation de l’environnement institutionnel, au développement de la concurrence en passant par l’intégration des externalités environnementales dans les prix et surtout les besoins de financement.

Toutefois, les compagnies, l’Irlandais Ryanair en tête qui prédit un « retour assez rapide à la normale », espèrent un scénario similaire à la situation de 2003. Après l’épidémie de SRAS, le trafic avait lourdement chuté avant de repartir et de se rétablir à la normale après six mois. Cela sera-t-il le cas cette année aussi ? Comme le souligne The Economist, « la plus grande incertitude vient peut-être d’un éventuel changement d’attitude quant aux voyages professionnels et touristiques. Si les entreprises découvrent qu’elles peuvent fonctionner en envoyant moins de cadres à travers la planète et que les particuliers prennent goût aux vacances à la maison ou au train, cet effet, s’ajoutant à la ‘honte de prendre l’avion’ pourrait poser problème aux compagnies habituées depuis trente ans à voir leur volume de passagers doubler tous les quinze ans ».

En effet, le Flygskam, la “honte de prendre l’avion”, un phénomène né en Suède, dans la contrée de Greta Thunberg, a pris de l’ampleur. Il pourrait avoir de sérieuses conséquences à long terme pour le secteur. Dans son éditorial du 17 janvier dernier, The Guardian revenait sur cette décision prise par des individus mais qui pourrait faire l’objet d’une véritable politique : « la vie doit changer » concluait le quotidien britannique. La pandémie de Covid-19 s’est sans doute chargée de le faire.

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