L’Arctique parle-t-il européen ?

, par Paul Brachet, Suzie Holt

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L'Arctique parle-t-il européen ?
Illustration réalisée par Paul Brachet

La région arctique a gagné en popularité quand le nouveau président américain Donald Trump a émis le souhait d’annexer le Groenland pour « la sécurité économique [et] nationale ». Alors que tous les regards sont tournés vers l’Arctique et le Groenland, il ne faut pas oublier que, malgré le fait qu’elle soit associée à Copenhague, l’île ne fait pas partie de l’Union européenne… du moins pour l’instant. C’est une question qu’il faut poser à la région dans son ensemble, qui est modifiée par de nouveaux vents géopolitiques.

Le Groenland : danois mais pas européen… ou l’inverse ?

Le Groenland fait partie du territoire danois depuis la paix de Kriel en 1814. Après que la Norvège a fusionné avec la Suède, ses territoires ultramarins incluant l’Islande et le Groenland ont été cédés au Danemark. Ensuite, le Groenland et son peuple ont vu leur territoire gouverné par les colons danois. En 1979, après des années de domination coloniale et de combat pour l’auto-détermination, les représentants groenlandais et le gouvernement danois se sont mis d’accord sur un statut d’autonomie pour l’île. Depuis, on a attribué le statut de Home Rule au Groenland, autorisant le gouvernement de Nuuk à déterminer ses politiques dans tous les domaines à l’exception des affaires étrangères et militaires. Après son autonomie nouvellement gagnée, le Groenland a organisé un référendum pour sortir de l’UE en 1982.

Après cela, de plus en plus de Groenlandais ont souhaité l’indépendance de leur pays vis-à-vis du Danemark. Depuis 2021, les indépendantistes ont représenté la majorité au parlement Nuuk et ont ainsi gouverné l’île, dirigée par le Premier ministre Mute Bourup Egede. Récemment, dans la perspective des élections générales groenlandaises de 2025, il a annoncé la tenue d’un référendum d’indépendance. Avec une majorité grandissante en faveur de l’indépendance et la promesse d’un référendum, l’indépendance du Groenland paraît inarrêtable, du moins c’est ce que pensent les grandes puissances mondiales. Celles-ci voient aussi le Groenland comme un atout stratégique, comme l’ont montré les déclarations de Trump. L’UE a depuis commencé à développer une stratégie pour accueillir le territoire-un plan qui semble payer. Dans un sondage de 2024, autour de 60% des Groenlandais étaient en faveur de l’accession du Groenland à l’UE. Pour l’instant, diriger le pays au travers de l’UE est vu comme secondaire par la politique groenlandaise. Pourtant, si le pays obtient son indépendance, être membre de l’UE peut être un rempart face aux appétits des grandes puissances, et dans le même temps, assurer l’égalité de l’île avec les autres États membres, y compris le Danemark. Le futur du pays est entre les mains du peuple, et il semblerait selon les sondages et le paysage politique de l’île Arctique, que le futur du Groenland soit fait d’indépendance et d’adhésion à l’UE.

Féroé : un choix pour demain

Un autre territoire du Danemark souhaite tracer son chemin vers l’indépendance vis-à-vis de Copenhague. Cette « nation autonome sous la souveraineté externe du royaume du Danemark » couvre un archipel au large de l’Écosse entre les mers arctique et du Nord. Comme le Groenland, les îles Féroé ont émis leur souhait d’organiser un référendum d’indépendance ; cependant, l’archipel essaie de trouver le meilleur moment pour l’acter.

Le statut de Home Rule a été attribué aux îles Féroé après la Seconde guerre mondiale, à la suite de l’invasion du Danemark par l’Allemagne et son référendum d’indépendance en 1946. Ce référendum a mené à une faible majorité en faveur de l’indépendance, tellement faible que Copenhague a refusé de reconnaître les résultats et a déclenché la tenue d’élections générales à Féroé. Malgré le fait qu’elles n’aient pas obtenu leur indépendance, les îles Féroé ont obtenu le statut de Home Rule. Ce statut anticipé d’autonomie permet aux îles Féroé de refuser l’adhésion à l’UE avec le Danemark en 1973.

Depuis, le gouvernement de Féroé, mené par le Premier ministre unioniste et social-démocrate Aksel Johannesen a attendu la meilleure opportunité pour proposer le référendum d’indépendance qui avait été décidé en 2017. Pourquoi est-ce seulement une décision sur le papier, même après huit ans ? C’est simplement à cause du manque de consensus politique sur le texte constitutionnel proposé par le référendum. Les trois principales factions politiques - les sociaux-démocrates, les conservateurs et les républicains - ne sont pas d’accord sur ce que doit inclure cette réforme constitutionnelle. La principale inquiétude ne semble être rien d’autre que la possibilité pour les Féroïens de voter pour leur indépendance. Selon les sondages, la volonté d’indépendance semble demeurer très forte : 60% des Féroïens aimeraient que leur archipel devienne indépendant. Si le soutien pour l’indépendance reste constant, leur statut d’État membre de l’UE risque d’évoluer. Malgré un faible taux, avec une proportion de Féroïens souhaitant que leur pays rejoigne l’UE oscillant quelque part entre 25 et 30%, le souhait de devenir membre de l’UE ne fait qu’augmenter. Les récents sondages et déclarations politiques montrent une perception changeante de l’UE avec des Féroïens souhaitant construire des liens plus étroits avec l’UE, pas devenir des États membres mais établir une « coopération plus étroite ».

Islande : un référendum d’ici 2027

Un territoire arctique est allé au-delà de l’idée d’une « coopération plus étroite » avec l’UE. L’ancien territoire danois d’Islande, indépendant depuis 1945, a déjà essayé de rejoindre l’UE. C’est après la crise économique et financière de 2008 que l’UE et l’accès à la zone euro représentent une forme de stabilité suite à un tourment mondial. Cependant, les changements politiques au sein du gouvernement islandais et une nouvelle vague de stabilité du marché ont convaincu l’Islande de geler et ensuite de cesser son processus d’adhésion à l’UE ; cependant, un nouveau changement politique et la crise géopolitique pourraient avoir convaincu le pays de reconsidérer son approche. Le parti social-démocrate a remporté les élections générales de 2024 et formé une majorité avec les libéraux du Parti de la réforme et le Parti de gauche populaire. L’idée d’organiser un nouveau référendum d’adhésion à l’UE d’ici 2027 a émané de cette coalition.

L’île fait déjà partie de l’OTAN et de l’espace Schengen, confirmant son rôle déjà important pour la géopolitique européenne. De plus, l’Islande souhaite adopter l’euro comme monnaie nationale. Une meilleure intégration au continent européen est considérée comme vitale par l’Islande, l’état géopolitique du monde semblant se détériorer de façon accélérée. Le moment politique actuel, avec la guerre russe en Ukraine et la victoire de Trump aux élections américaines de 2024, poussent les Islandais à choisir la stabilité au sein de l’UE. Ainsi, les sondages montrent un soutien puissant et grandissant pour l’adhésion à l’UE dans le pays avec 53% en faveur et 27% opposés à l’idée.

Norvège : l’impossible peut-il devenir possible ?

Du côté de la quête de stabilité et d’intégration européenne plus profonde, les Norvégiens ne sont pas si différents des Islandais. Comme l’Islande, la Norvège a candidaté à l’adhésion à l’UE, deux fois. À deux reprises, le peuple norvégien a refusé cette adhésion par référendum : la première en 1972 et à nouveau en 1994. Les discours sur l’adhésion à l’UE ont réémergé en 2008 avec la crise économique et le gouvernement pro-européen. Mais comme en Islande, le débat s’est arrêté avec un nouveau changement politique et la stabilisation de l’économie norvégienne.

La situation géopolitique actuelle du monde et la nouvelle situation politique en Norvège ont ramené le débat européen sur le devant de la scène. En 2024, environ 35% des sondés sont en faveur de l’adhésion de la Norvège à l’UE, le soutien le plus important depuis 2009. Comme dans le reste de la région, le soutien à l’UE grandit et pourrait mener à un nouveau référendum en Norvège. Pour l’instant, le débat reste cantonné au Parlement et à une petite partie de la société civile ; cependant, les élections générales de 2025 pourraient projeter le débat à travers le spectre politique norvégien et rouvrir le débat.

Le référendum islandais sur l’adhésion à l’UE pourrait changer les choses. Tandis que certaines personnalités politiques norvégiennes pensent que les discussions sur l’adhésion à l’UE ne sont que temporaires comme en 1972, en 1994 ou en 2009, certains experts voient les circonstances actuelles différemment. Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur les relations entre la Norvège et l’UE. Ces relations sont régies par l’accord EEE-UE qui autorise les États membres de l’Espace économique européen (EEE), comme la Norvège et l’Islande, à bénéficier du marché commun en mettant en place des standards européens dans leurs économies. Négocier à nouveau avec l’UE, et sans le soutien de l’EEE a toujours été un argument fort contre un nouveau référendum d’adhésion à l’UE ; cependant, si l’Islande décidait de rouvrir les négociations d’adhésion à l’UE, cela mettrait un terme à l’EEE, laissant la Norvège et le Liechtenstein comme seuls États membres. La Norvège devrait renégocier ses relations avec l’UE et serait abandonnée par l’Islande sur le thème délicat de l’industrie de la pêche. La pêche est une compétence de l’UE, ce qui oblige les États membres à partager leurs eaux territoriales - une mesure que la Norvège et l’Islande ont toujours refusé jusqu’à présent, empêchant toute négociation d’adhésion à l’UE. Une Islande membre de l’UE laisserait la Norvège seule sur cette question.

De plus, la Norvège fait face à une dépréciation de sa monnaie, la couronne. Comme en Suède et au Danemark, la couronne norvégienne fait face à un manque d’investissement et de confiance qui affaiblit la devise. Si le Danemark refuse toujours d’adopter l’euro, la Suède et la Norvège pourraient reconsidérer leur plan d’introduire l’euro comme monnaie nationale pour renforcer leur système monétaire. Pour la Norvège, il s’agit seulement d’une potentielle seconde étape, après un référendum déjà peu probable.

« Nous devons respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté du Groenland. »

Kaja Kallas, Haute représentante de l’UE

Comme l’UE commence à développer sa politique étrangère et faire ses premiers pas pour la défense de ses intérêts sans les imposer, il semblerait qu’elle soit de plus en plus intéressée par la région arctique. Elle lutte contre les États-Unis dirigés par Trump, la Russie de Vladimir Poutine et même la Chine menée par Xi Jinping. De manière surprenante, il semblerait que la région arctique s’intéresse de plus en plus à l’UE et sa promesse de respect, d’égalité et de stabilité. On dirait que l’Arctique et l’UE commencent à parler la même langue.

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