L’élargissement de l’Union européenne : à quel prix ?

, par Paul Gelabert Y Nuez

L'élargissement de l'Union européenne : à quel prix ?
Sandro Gozi lors de la session plénière du 21 octobre © European Union 2025 - Source : EP

Le 21 octobre dernier, les députés se sont réunis pour débattre du rapport Gozi qui interroge l’essence même du projet européen. Il fait état de la nécessité pour l’Union européenne de se réformer de l’intérieur afin de pouvoir accueillir plus d’États membres.

Aujourd’hui, la liste officielle de candidats à l’adhésion compte neuf États : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Moldavie,le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Serbie, la Turquie, l’Ukraine. Tout l’enjeu des débats tient donc à savoir si l’Union européenne est aujourd’hui capable de maintenir son efficacité tout en s’élargissant.

Ce rapport est fort de propositions de réformes tant sur le plan du fonctionnement même des institutions de l’Union que sur la création de nouvelles politiques communes. Cependant, ces propositions sont loin de faire l’unanimité et les fractures idéologiques des différentes sensibilités politiques présentes au sein de l’hémicycle sont à nouveau mises en exergue.

Réformer pour survivre : l’Union européenne face à l’immobilisme institutionnel ?

La première prise de parole revient évidemment à Sandro Gozi, rapporteur et député européen pour le groupe Renew Europe. Il s’attache à défendre que “la réforme n’est plus un choix ; c’est une nécessité. L’unification continentale et la réforme doivent aller de pair.”

Ses objectifs seraient “triples” : la sauvegarde de la démocratie, l’influence de l’Union sur la scène internationale, et enfin, l’efficacité. C’est davantage ce dernier objectif qui éveillera les ardeurs au sein de l’hémicycle.

En effet, le rapport associe l’efficacité à l’extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil de l’Union européenne. Aujourd’hui, de nombreuses décisions de cette institution se font à l’unanimité. Mais dans certaines situations, l’unanimité est impossible à rassembler et provoque donc une paralysie, un immobilisme chronique. À titre d’exemple, l’article 7 du TUE indique des sanctions fortes lorsqu’un État membre ne respecte pas les droits fondamentaux ou la démocratie. Or, pour appliquer ces sanctions, l’unanimité du Conseil est nécessaire : certains États membres se protègent entre eux, les sanctions prévues les plus fortes n’ont jamais été appliquées.

Outre les réformes structurelles, le rapport évoque aussi la création de nouvelles politiques communes, notamment en matière de défense. Il évoque également la nécessité de créer une “intégration différenciée” pour permettre de respecter la volonté de chaque État, en permettant uniquement à ceux qui le souhaitent d’approfondir et d’accélérer leur coopération.

Une coopération plus efficace : entre volonté de réformer et craintes pour la souveraineté

Les fractures idéologiques au sein de l’hémicycle se sont exprimées. Les débats sont tiraillés entre la volonté de créer une Europe plus forte, prête à accueillir de nouveaux membres sans perdre en efficacité, et la crainte des partis nationalistes de perdre “encore plus” en souveraineté. Lorsque la gauche et le centre font l’éloge de ces propositions, les groupes nationalistes de droite accusent une nouvelle fois “la bureaucratie bruxelloise” de vouloir s’accaparer davantage de pouvoir aux dépens de “la souveraineté des nations”.

L’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D) s’est exprimée notamment par la voix de l’eurodéputé luxembourgeois Marc Angel. S’il estime que “l’élargissement est un phare d’espoir” pour l’Union européenne et qu’“accueillir davantage d’États membres est une nécessité pour perpétuer la success story européenne”, la nécessité de réformes profondes est également évoquée. L’Union européenne n’est pas viable sans une modification des traités qui permettrait de sortir de la paralysie de l’unanimité provoquée par la prise d’otage d’un seul veto au Conseil de l’Union européenne.

Ce constat est également partagé par le groupe des Verts/Alliance libre européenne lorsque l’eurodéputé Reinier Van Lanschot rappelle que l’Union “est la plus grande réussite politique de l’histoire” mais qu’une réforme est nécessaire pour sortir de “la vétocratie dans laquelle nous vivons aujourd’hui”.

Mais à la droite de l’hémicycle, comme à l’accoutumée, la critique est vive, tant sur la nécessité même de s’élargir, que sur les réformes proposées.

L’eurodéputé roumain Gheorghe Piperea du Groupe des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) n’a pas hésité à attaquer violemment l’Union européenne et ses institutions. L’UE ne serait qu’“une entité centralisée, de type soviétique, peu enviable, envahie par la corruption”. L’élargissement n’aurait alors pas sa place dans les débats, puisque l’Union ne peut pas “accueillir de nouveaux colocataires avant de faire le ménage devant sa porte”. En plus des critiques faites aux institutions en tant que telles, il n’épargne pas non plus les politiques progressistes portées. En effet, selon lui, “Les thèmes marginaux de la bureaucratie européenne, comme l’identité de genre (..) masquent les véritables problèmes de l’Union”.

Cette position est évidemment soutenue par le groupe des Patriotes pour l’Europe (PfE). Lorsque l’eurodéputé français Fabrice Leggeri prend la parole, il enjoint au débat un sujet primordial pour les nationalistes : la souveraineté stricte des nations. Selon lui “la Commission poursuit un objectif politique : centraliser le pouvoir, affaiblir la voix des nations et diluer leur souveraineté dans un ensemble sans légitimité populaire.” Il fait ici la critique de la proposition quant à l’unanimité du Conseil de l’Union européenne qui servirait uniquement à retirer du pouvoir aux États membres et à faire de la Commission l’unique organe exécutif de l’Union.

Plus d’États, mais pour quelle Union ?

L’élargissement de l’Union européenne soulève en réalité des questions bien plus profondes. Durant ces débats, il n’était pas tant question de savoir si l’Union devait accueillir ou non davantage d’États membres, mais plutôt de savoir comment le faire. Le nombre fait la force, mais complique aussi le processus décisionnel. Cette question fait rejaillir des désaccords fondamentaux sur la définition même de l’Union. Doit-elle être une simple alliance entre États qui coopèrent, ou aller plus loin vers la centralisation des compétences ? Pour être réellement efficace et peser sur la scène internationale, l’Union doit se réformer et garder à l’esprit ce pourquoi elle a été fondée : conserver la paix, défendre les droits de l’Homme et la démocratie sur le vieux continent, trop longtemps victime de lui-même.

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