L’élection américaine : L’Europe a la croisée des chemins ?

, par Aristide Emery

L'élection américaine : L'Europe a la croisée des chemins ?

Le 6 novembre 2024, l’Amérique choisit à nouveau Donald Trump. Cette réélection historique bouleverse les équilibres mondiaux et place l’Europe dans une position inconfortable. Entre union sacrée et fissures internes, le Vieux Continent voit son destin peser plus lourdement dans ses propres mains, à l’ombre d’un allié devenu imprévisible.

Le spectre d’une guerre tarifaire

Le retour de Trump redéfinit immédiatement le cadre économique mondial. Fidèle à sa rhétorique protectionniste, le président impose des barrières douanières : 60 % sur les importations chinoises, 20 % sur les produits européens. Si ces chiffres ne sont encore que des promesses, leur impact serait catastrophique pour l’Europe. Une perte estimée à 150 milliards d’euros, soit près de 1 % de son PIB, mettrait à mal les économies les plus industrialisées. L’Allemagne, pilier de l’Union, et la Finlande, dépendante de ses exportations, figureraient parmi les premières victimes d’une telle politique.

Mais au-delà de l’effet direct de ces taxes, un scénario encore plus inquiétant se dessine. La Chine, écartée du marché américain, déverserait ses surplus en Europe. Une opportunité à double tranchant : si cela permettrait à l’UE de renforcer son pouvoir d’achat à court terme, elle deviendrait rapidement dépendante d’un partenaire stratégique imprévisible. Pékin, face à l’hostilité américaine, chercherait un soutien dans une Europe affaiblie et divisée. Dans ce contexte, Trump voit dans l’Union une "mini-Chine", reprochant à ses partenaires européens un déficit commercial croissant sans contrepartie équitable.

Le terrain technologique ne fait qu’exacerber ces tensions. Dominée par les géants américains que sont les GAFAM, l’Europe peine à imposer ses propres régulations. Face à un second mandat Trump, hostile aux normes européennes, l’espoir d’une souveraineté numérique s’éloigne. Les fragiles discussions sur la coopération technologique risquent de s’enliser dans un climat d’incompréhension mutuelle.

L’Union Européenne, prise en tenaille entre Trump et Poutine

Le retour de Donald Trump à la présidence américaine exacerbe une situation déjà explosive pour l’Union européenne. Alors que le conflit en Ukraine s’intensifie, l’Europe se retrouve dans une position délicate, à la croisée des chemins entre ses idéaux démocratiques et les impératifs géopolitiques.

À l’Est, la guerre en Ukraine atteint un tournant critique. Les combats s’intensifient alors que l’éventualité d’une médiation américaine plane. Donald Trump, avec sa volonté de "régler" le conflit, laisse entrevoir une paix qui pourrait donner raison à Vladimir Poutine. Une telle issue inquiète profondément les Européens, car la sécurité de l’Ukraine est indissociable de celle de l’Europe. Si l’Ukraine venait à céder, Poutine pourrait poursuivre son entreprise de déstabilisation en direction de la Géorgie, de la Roumanie ou d’autres États fragiles de la région. La Biélorussie, déjà sous la coupe du Kremlin, illustre ce danger croissant.

Sur le plan intérieur, l’Europe est loin d’être unie face à ces défis. En Hongrie, Viktor Orbán, allié traditionnel de Trump et Poutine, fragilise l’unité européenne. En Roumanie, une montée des sentiments nationalistes et impérialistes complique encore davantage les efforts communs. Cette fracture idéologique est alimentée par une extrême droite grandissante en Slovaquie et en Roumanie, opposée au soutien militaire européen apporté à l’Ukraine. Deux Europe se dessinent : l’une, incarnée par la France et l’Allemagne, qui prône la solidarité et la résilience face à Moscou ; l’autre, marquée par des gouvernements populistes, tentée par une entente avec Poutine et Trump. Ainsi appelé « cheval de Troie » par la député européenne Renew Valérie Hayer.

Le symbole le plus fort de cette lutte pour l’unité européenne est sans doute la visite de Kaja Kallas, nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, à Kyiv dès son premier jour en poste. Ce geste montre une volonté de maintenir un soutien ferme à l’Ukraine malgré les vents contraires. Mais le défi est immense : maintenir une solidarité sans faille entre les 27 États membres tout en répondant aux menaces d’un désengagement américain.

La réélection de Trump pourrait en effet marquer un tournant décisif pour l’Europe. Avec des Etats-Unis cherchant à réduire leur rôle en Ukraine et à recentrer leurs priorités ailleurs, les Européens devront combler le vide laissé par Washington. L’aide militaire à l’Ukraine, déjà évaluée à 120 milliards d’euros, repose en grande partie sur les épaules des Européens. Cette responsabilité grandissante suscite un sentiment de lassitude dans certaines capitales, mais, comme le rappelle Valérie Hayer, députée européenne, "l’aide à l’Ukraine n’est pas un choix, mais une nécessité".

En parallèle, le spectre d’une guerre commerciale transatlantique complique la situation. Si Trump venait à imposer des droits de douane à l’Europe, les 27 pourraient être tentés de répondre avec des mesures similaires. Mais ce scénario, bien que séduisant dans sa fermeté, mettrait en danger l’économie allemande, déjà fragilisée par une crise industrielle latente. La dépendance européenne à l’égard des exportations américaines rend toute riposte risquée et pourrait alimenter davantage les divisions au sein de l’Union.

Face à ces défis, l’Union européenne n’a jamais eu autant besoin de renforcer son autonomie stratégique. Si l’élection de Donald Trump est un « électrochoc » (V. Hayer), elle pourrait aussi être l’occasion pour l’Europe de se réinventer. Une défense commune, une souveraineté technologique et une économie plus résiliente ne sont plus des options, mais des impératifs. Le temps est venu pour les 27 de se rassembler autour d’un projet commun, ou de risquer une désunion qui, face aux ambitions de Trump et Poutine, serait fatale.

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