L’électrification des transports, une vraie bonne idée (insuffisante)

, par Quentin Weber-Seban

L'électrification des transports, une vraie bonne idée (insuffisante)

Récemment dans Le Taurillon, un article s’est fait l’écho du scepticisme des gros constructeurs automobiles (notamment de Carlos Tavares, patron du géant Stellantis) vis-à-vis des véhicules électriques. Cette attaque s’inscrit dans le contexte de remise en cause des avancées écologiques de la dernière mandature européenne, considérant que l’on irait trop loin trop vite. Pourtant, comme le rappelaient les experts du GIEC avec un haut niveau de confiance, « Les véhicules électriques offrent le plus grand potentiel de décarbonation pour le transport terrestre.  » [1]

La voiture électrique est déjà plus écologique que la voiture à motorisation thermique

En effet, il faut manifestement le rappeler : sur l’ensemble du cycle de vie, un véhicule électrique sera toujours moins émetteur de gaz à effet de serre que son équivalent à motorisation thermique. [2] C’est vrai bien évidemment en France, c’est vrai dans tous les pays d’Europe, et c’est même vrai quasiment partout. [3] Pour l’Europe, il me semble qu’il y a un contresens sur l’étude de l’ONG Transport & Environnement citée dans l’article : dès le titre, il est bien annoncé que « les voitures électriques émettent moins de CO2 sur leur cycle de vie que les diesel même avec l’électricité la moins propre ». La baisse d’émissions de 25% pour un véhicule électrique polonais concerne bien l’ensemble du cycle de vie.

Ce fait incontestable s’explique aisément à chaque étape du cycle de vie d’une voiture. La fabrication d’une voiture électrique est plus polluante que celle d’une voiture thermique – selon les études, de 20% à 100% d’émissions en plus. Cependant, la fabrication d’une voiture ne représente que peu d’émissions, en valeur absolue, par rapport à l’extraction et au raffinage du pétrole (également plus consommateur de cobalt que la production de batteries électriques), son transport, et sa combustion dans le moteur thermique. Par ailleurs, un moteur électrique étant 3 fois plus efficace qu’un moteur thermique, l’énergie nécessaire au déplacement d’un véhicule électrique est sensiblement inférieure à celle des moteurs thermiques. Même dans un scénario de passage massif à l’électrique, la hausse de la consommation d’électricité induite ne dépasserait pas 10% de la consommation actuelle. [4]

Enfin, l’électrification des transports apporte d’autres avantages : en termes de santé, si de gros efforts ont été réalisés sur les particules fines (ce qui explique que, désormais, la majorité sont émises lors du freinage), les véhicules thermiques continuent d’émettre des oxydes d’azote et des composés organiques volatils, au contraire des véhicules électriques. Même sur les particules fines, le poids plus important est compensé par le freinage régénératif (qui permet de récupérer l’énergie du freinage pour recharger la batterie). [5] La première étude en conditions réelles confirme ainsi les avantages de la voiture électrique en matière de santé. [6]

La voiture électrique, un choix pour l’avenir

Au-delà de la situation actuelle, le choix du passage progressif au tout électrique vient valider une vision dynamique et innovante du secteur automobile. Le sujet des batteries, qui en rebute beaucoup, est amené à évoluer massivement dans les 10 ans qui viennent. Déjà actuellement, le recyclage d’une batterie n’est pas un problème – au contraire, le fait que les batteries durent plus longtemps que prévu à l’origine pose un problème aux secteurs, comme ceux des énergies renouvelables, qui misent sur les anciennes batteries de voiture pour stocker de l’électricité. Pendant leur durée de vie, on voit déjà apparaître de premiers modèles permettant de réinjecter de l’électricité dans le réseau lors des périodes de pointe. [7] Les voitures électriques vont ainsi devenir un élément du pilotage durable de la consommation d’électricité.

De la même manière, en Europe comme dans le reste du monde, la production d’électricité va massivement se décarboner. La combustion de pétrole sera toujours aussi polluante. Les émissions de CO2 liées à la production d’électricité, en revanche, ont déjà baissé et vont continuer à le faire – aidées en cela, on l’a vu, par les innovations liées à la voiture électrique. Poussés par les prix des matières premières, les constructeurs automobiles et leurs sous-traitants expérimentent de nouvelles batteries ou de nouveaux modes de production, pour améliorer leur bilan carbone.

Ces innovations vont contribuer à faire baisser le prix d’une voiture électrique. Sur sa durée de vie, le prix d’un véhicule électrique est en fait déjà inférieur à celui d’un véhicule thermique comparable. [8] La parité à l’achat devrait être atteinte dans les prochaines années, d’ici 2030 selon le gabarit. [9] Déjà, le prix des batteries a baissé de 85% entre 2010 et 2019. [10] Outre ces baisses de prix liées à l’innovation, la hausse des ventes de véhicules électriques entraîne des économies d’échelle qui sont également bénéfiques pour contenir le coût. C’est aussi pour cela que la fin de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035 est aussi importante, elle envoie un signal clair à tout l’écosystème : il faut passer à la production de véhicules électriques.

Des alternatives non satisfaisantes

Cela explique donc pourquoi la législation européenne se concentre sur l’électrique (pour les voitures particulières) : il serait extrêmement inefficace et coûteux de mettre en place deux infrastructures distinctes, voire d’en garder une troisième ! Mais au-delà de ça, chacune des solutions alternatives comporte des défauts rédhibitoires. D’une part, l’on ne comprend pas bien les avantages des véhicules hybrides, au-delà d’une période de transition où ils ont permis de faire avancer les motorisations électriques et leur acceptation dans la population. Avec les véhicules hybrides, on a à la fois le pire élément des voitures électriques en matière d’écologie les batteries des voitures à moteur thermique – et l’émission continue de gaz à effet de serre quand elles roulent. En effet, une étude en conditions réelles de la Commission Européenne a récemment rappelé que, notamment du fait de la conduite des propriétaires de véhicules hybrides, ceux-ci fonctionnent la plupart du temps avec leur motorisation thermique. [11] En réalité, ces véhicules émettent en moyenne 3,5 fois plus que ce qu’indiquent les données de laboratoire.

D’autre part, les inconvénients des biocarburants sont connus : ceux-ci ne sont pas viables à grande échelle (c’est d’ailleurs pour cela que, bien que poussés de manière réglementaire, il n’a jamais été question de les déployer massivement). Ils introduisent une concurrence avec l’usage alimentaire de l’agriculture. Ils demandent de l’énergie (fossile) pour leur culture, leur récolte, leur transformation … et, dans une moindre mesure, leur combustion. Si les biocarburants constituent probablement l’alternative la moins injustifiée, ils ne permettent pas d’envisager de remplacer l’électrification des voitures individuelles.

Enfin, les opposants à l’électrification des voitures avancent généralement l’hydrogène, qui serait injustement négligé. Là encore, il y a de bonnes raisons à cela. En premier lieu, il faut rappeler que les voitures à hydrogène sont un type de voitures électriques à la technologie bien moins mature. Alors, pourquoi ne pas soutenir et investir dans la recherche justement ? En tant que véhicules électriques, les véhicules à hydrogène ne seront pas interdits en 2035. Cependant, ils semblent moins appelés à se développer parce que leur principe est extrêmement inefficace.

Dans une voiture électrique classique, on produit de l’électricité pour charger la batterie. 75% environ de cette énergie produite fera avancer le moteur de la voiture. Avec les véhicules à hydrogène, on produit de l’électricité (en grand nombre) pour produire de l’hydrogène par électrolyse, puis on le transporte – potentiellement sur de très longues distances – jusqu’à la pile (électrique, donc) à combustion qui alimente le moteur et en bout de chaîne, l’hydrogène est retransformé en électricité. Ces nombreuses étapes font que l’on revient à un rendement de moteur thermique - dans le meilleur des cas. Sans parler des sources d’électricité utilisées pour produire l’hydrogène (bien plus carbonées que la production d’électricité pour charger une voiture directement), de son coût, et de la plus grande difficulté à mettre en place une infrastructure de recharge, déjà que cet élément est un des principaux défis au déploiement des voitures électriques. [12]

… mais la voiture électrique n’est pas suffisante

Pour autant, il est clair que les véhicules électriques ne sont pas la panacée. À moins d’une percée technologique majeure, pour les véhicules électriques encore plus que pour les autres véhicules, la question du gabarit est déterminante. Plus le véhicule est gros, plus il faudra une batterie imposante, ce qui démultiplie son coût et son impact environnemental. Au-delà du débat SUV vs voitures à la taille plus raisonnable, pour les véhicules utilitaires voire à l’avenir les poids lourds, l’hydrogène commence à devenir un vecteur plus intéressant - c’est dans ce domaine que les experts voient sa pertinence.

Pour les particuliers, il faudra donc dans la mesure du possible privilégier les véhicules légers, voire développer des véhicules « hybrides », non pas dans leur motorisation mais dans leur « aspect » - par exemple, un mélange entre une voiture et un deux-roues, ou une voiture avec un moteur électrique mais aussi à pédale ! Là où c’est pertinent – par exemple dans les villes, qui rassemblent quand même près de 80% des Français [13] – il faudra continuer de réduire la place des voitures et développer les transports en commun. Il faudra continuer à rechercher des alternatives viables au transport routier de marchandises. Et il est important de poursuivre la recherche pour améliorer les véhicules électriques, y compris d’un point de vue environnemental.

Au final, il reste un non-dit : Les véhicules des particuliers représentent dans les pays européens autour de 15% des émissions de gaz à effet de serre. [14] Pourra-t-on relever les défis climatiques sans remettre en cause massivement le modèle de la voiture particulière, où chaque ménage possède une voire deux voitures dont il ne peut se passer car il vit loin de son lieu de travail et des différentes commodités ? C’est là que la question de l’acceptabilité sociale va se poser de manière aiguë. Il est possible, dans ce domaine, que les véhicules autonomes apportent une partie de la solution : ils permettraient des petits transports réguliers, notamment dans les zones rurales.

En conclusion, les voitures électriques sont plus écologiques que les voitures à moteur thermique et même que les voitures hybrides. Leur adoption porte des défis certains, notamment en bousculant les rentes établies de nombreux acteurs. Ainsi des constructeurs européens, qui devraient repenser une stratégie d’entreprise basée sur la vente de SUV – annihilant ainsi les efforts de baisse des émissions des autres secteurs. Mais il faut le faire, et vite, car l’alternative est de prendre du retard dans la transition écologique, d’y perdre en souveraineté et d’atteindre des points de non-retour dans le changement climatique.

Notes

[9Transport & Environnement, Hitting the EV Inflection Point, mai 2021

[13Centre d’observation de la société, La part de la population vivant en ville plafonne, 18 septembre 2023

[14Parlement européen, Émissions de CO2 des voitures : faits et chiffres, 17 février 2023

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom