L’ère Juncker

, par Jean-Pierre Gouzy

L'ère Juncker

La désignation de Jean-Claude Juncker, citoyen grand-ducal, comme Président de la Commission européenne est, sous réserve de la confirmation des eurodéputés votant à bulletin secret le 16 juillet, lourde de signification pour l’avenir de l’Union. Le Parti populaire européen dont, en la circonstance, le Luxembourgeois se présente comme tête de file, venant en tête des suffrages exprimés au mois de mai dernier, avec 221 élus devait tout d’abord s’assurer d’une majorité parlementaire large, d’autant que dans ses propres rangs, certains droitiers de choc comme le hongrois Viktor Orban lui sont ouvertement ou sournoisement hostiles. Un accord interpartis entre PPE, socialistes et libéraux est intervenu à ce propos dès le 26 juin.

• C’est un évènement, dans la mesure où jusqu’ici le président de l’institution chargée de promouvoir l’intérêt général européen était nommé d’un commun accord par les seuls gouvernements des Etats membres de l’Union, le Parlement européen étant en quelque sorte prié de ratifier leur décision. Désormais, le Conseil européen est appelé à se prononcer à la majorité qualifiée sur la candidature retenue en fonction du résultat des élections avant d’obtenir l’accord de la majorité des membres du Parlement européen. Et non, sur la base des seuls suffrages exprimés.

• C’est un évènement, parce que -pour la première fois- un lien démocratique existe en vertu d’un acte juridique (article 17 du Traité de Lisbonne) et les élections européennes appelées à légitimer l’exécutif pour cinq ans. Et ce malgré la montée en puissance des forces eurosceptiques décidées à remettre en cause plus d’un demi-siècle d’acquis communautaire.

• C’est un évènement, parce que J.-C. J. est l’un des hommes de gouvernement qui s’est le plus impliqué dans la bataille de l’euro, un des plus fins connaisseurs des arcanes de la vie communautaire, un européen de conviction dans la droite ligne tracée par cet autre enfant de la Lotharingie industrielle qu’était Robert Schuman. C’est pourquoi Cameron n’en voulait à aucun prix à la tête de la Commission. Le pire reproche qu’il puisse proférer était l’appartenance du candidat à la mouvance fédéraliste, objet de détestation de tout sujet britannique qui se respecte, surtout quand il peut se targuer de sortir d’Eton et d’Oxford. Mais, ne nous attardons pas aux causes psychanalytiques de l’acharnement cameronesque et revenons à J.-C. J. On serait fort surpris, en effet, qu’il accepte de jouer le rôle de Secrétaire général du Conseil. En toute hypothèse, d’ailleurs, il n’aurait pas la rondeur naturelle d’un Barroso pour exceller dans le style voulu. Nous attendons simplement de lui qu’il soit le meneur de jeu tenace et vigilant du processus d’intégration. Face à Cameron qui ne va pas lui simplifier l’existence, d’autant que la perspective des élections britanniques se rapproche avec l’inévitable confrontation des Tories et les tenants de l’United Kingdom Party, champions de toutes les ruptures avec « Bruxelles », J.-C. J. devra faire face aux pressions les plus contradictoires. Celles d’Angel Merkel, très soucieuse d’éviter un clash avec le Royaume uni, celles des partisans et adversaires (de plus en plus éloquents) du Pacte dit de « croissance et de stabilité », et celle de Matteo Renzi, président de l’Union européenne pour le second semestre de cette année 2014, qui n’entend pas limiter son rôle à celui du « Florentin de charme ». Sans parler d’un Parlement européen qui s’annonce plus remuant que le précédent avec les supporters de la « bleuette Marine » et ceux de l’ultrabritish Nigel Farrage associé au farceur transalpin de service, Beppe Grillo, tandis que les poids lourds d’Alternative für Deutschland feront cause commune anti-euro avec les Tories de stricte obédience. Pour ne citer que ceux-là ! Ou encore en contrepoint, l’espagnol Pablo Iglesias (Podemos) et le grec Alexis Tsipras (Syriza).

Bref, la Commission Juncker n’a de chance de s’imposer et, plus encore, de durer qu’en s’appuyant sur un Parlement européen qui reflète enfin les aspirations et les contradictions réelles de la société. C’est là qu’intervient le rôle primordial du Président des eurodéputés. En l’occurrence, Martin Schulz, leader actuellement incontournable des socialistes et sociaux-démocrates qui constituent la deuxième force siégeant dans les hémicycles européens. Schulz appartient, lui aussi, à la mouvance fédéraliste par le biais de l’Europa Union Deutschland. Il faut le savoir et éventuellement le rappeler. Les grandes options européennes de Martin Schulz et de Jean-Claude Juncker se complètent à bien des égards. Le premier appartient au SPD qui dirige aujourd’hui l’Allemagne, de concert avec les Chrétiens démocrates d’Angela Merkel. Le second est un Chrétien-social et non comme le ressassent bêtement nos médias hexagonaux un « conservateur ». Il a gouverné de longues années durant de concert avec les socialistes luxembourgeois. Récemment encore, à titre d’exemple, il s’est montré favorable à une mutualisation de la dette publique en Europe.

Nous ne sommes pas -on le voit !- dans le cas de figure de la « gauche » et de la « droite » à la française. Juncker et Schulz, comme c’était d’ailleurs le cas de Cohn-Bendit, lorsqu’il vitupérait à Strasbourg et Bruxelles, sont sur la même longueur d’onde quand il s’agit de s’opposer aux termites de la dislocation européenne. Rien n’est gagné certes, dans le vaste remue-ménage qui s’amorce (également avec les successeurs de Lady Ashton et d’Herman van Rompuy, ainsi que de l’ensemble du Collège des Commissaires), mais les fédéralistes, pour autant, auraient tort de faire la moue. Ils ont encore de bonnes cartes à jouer pour peu qu’ils sachent s’en servir !

Vidéo déjà paru dans le numéro 164 de fédéchose

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