Une brève histoire de la politique espagnole marquée par le bipartisme
Depuis les premières élections législatives espagnoles, la vie politique nationale a été marquée par un fort bipartisme résultant de l’alternance entre le Partido socialista obrero español (PSOE) – dont les composantes vont de la social-démocratie libérale à la gauche interventionniste nationaliste – et le Partido Popular (PP) – dont les courants vont du centre libéral à la droite la plus conservatrice et héritière du franquisme. Depuis les élections de 1982, considérées comme les premières véritables élections de la démocratie, le pays a vu se succéder gouvernements socialistes et populaires.
Or, la culture du bipartisme, a porté au pouvoir des majorités absolues, et à l’occasion relatives. Et même si pour certains gouvernements, le parti en tête avait dû s’ouvrir à quelques partis nationalistes comme entre 1996 et 2000 lorsque le PP avait eu besoin du soutien du Partido Nacionalista Vasco (PNV) pour former un gouvernement majoritaire au Congrès des Députés, cela n’était que dans le but de gagner une dizaine de voix supplémentaires pour obtenir la majorité absolue, en échange d’un ou deux ministères bien choisis pour le parti qui acceptait de le soutenir au Congrès. Cependant, aujourd’hui, cette tradition politique n’est plus d’actualité face à l’apparition de nouveaux partis qui confortent leurs positions sur l’échiquier politique en entrant massivement dans la chambre basse.
La disparition de la majorité absolue pourrait changer durablement la politique espagnole
Depuis l’arrivée en 2016 au Congrès de nouvelles forces comme Podemos (gauche radicale d’inspiration bolivarienne) ou Ciudadanos (centre modéré et libéral), la donne a complètement changé. On est passé du bipartisme au multipartisme. Dès lors, la tradition de la majorité absolue – ou relative qui ne nécessitait qu’une dizaine de voix supplémentaires pour l’obtenir – qui avait contribué à l’absence de dialogue et d’une culture du pacte parlementaire pour former un gouvernement, est mise à mal, car aucun des partis historiques n’est plus en mesure d’obtenir la majorité absolue.
Cette situation inédite est apparue lors des élections législatives du 13 janvier dernier, lorsque les nouveaux partis (créés il y a moins de dix ans) se sont imposés : ainsi le PP en tête à 123 sièges, PSOE à 90 sièges, 69 pour Podemos et ses alliés politiques, 40 pour Ciudadanos, 28 pour différents partis régionalistes ou indépendantistes catalans, basques, ou canariens. Dès lors que le constat qu’un gouvernement ne pourra pas se former sans alliance entre trois des quatre grands partis afin d’asseoir la majorité absolue au Congrès des Députés, les avis divergent et les positions se crispent. Si la tentative d’une alliance entre PSOE et Ciudadanos s’est bien concrétisée dans un accord de gouvernement conjoint, cette union appelait le nouveau parti Podemos à la soutenir afin de créer une alternative de changement face au PP, soutien qui leur a été refusé. Une autre alliance a finalement fait l’objet d’un accord du gouvernement entre Ciudadanos et le PP, afin de constituer une « union face à l’extrémisme et au communisme » , mais surtout pour parer à toute tentative de démantèlement de l’Espagne, auquel se prêterait Podemos en soutenant les référendums d’auto-détermination.
Face à des partis incapables de négocier, d’inutiles troisièmes élections ?
Ce blocage politique et l’incapacité des coalitions à former un gouvernement a conduit à la dissolution, pour la première fois en plus de quarante ans de législature, amenant de nouveau les Espagnols au bureau de vote. Et le résultat des nouvelles élections législatives du 19 juillet dernier a été, à une dizaine de sièges près, le même… Le PP, déjà en tête, prenait une dizaine de sièges supplémentaires (137), principalement à Ciudadanos qui en perdait tout autant (32) alors qu’à gauche le PSOE se stabilisait (85) face à Podemos uni entre temps à la gauche communiste traditionnelle d’Izquierda Unida sous le nom d’Unidos Podemos, stratégie qui ne lui a permis de gagner que deux sièges supplémentaires (71), les autres partis régionalistes ou indépendantistes ne récoltant plus que 25 sièges.
La participation électorale est quant à elle passée de 69,7% à 66,5% en octobre 2015. Ces élections ont par ailleurs fortement dégradé l’image de la démocratie espagnole aux yeux des électeurs, les deux partis traditionnels et les deux émergents ayant payé leur refus de négocier sur les grands points de préoccupation des Espagnols que sont la relance de l’économie, la question de l’indépendance catalane et la lutte nationale contre la corruption qui gangrène le pays depuis plus d’une vingtaine d’années. Or les positions restent les mêmes et, face à la peur d’être contraints à de troisièmes élections pour lesquelles la participation électorale risquerait de ne pas dépasser les 50%, le dimanche 23 octobre 2016, le comité fédéral du PSOE a décidé de s’abstenir au second tour. Offrant ainsi l’opportunité au président sortant Mariano Rajoy de constituer un nouveau gouvernement, le PSOE paie cher cette décision. En effet, plus de 30.000 militants ont décidé de rendre leurs cartes d’adhérents dès le lendemain.
L’issue de cette crise paraît incertaine et marque un tournant dans l’histoire politique espagnole : jusqu’à présent, un parti disposant de la majorité absolue ou relative pouvait gouverner sans contre-pouvoirs. Désormais, le parti arrivé en tête, faute de disposer de majorité suffisante devra obligatoirement faire des concessions sur son programme politique. Reste à savoir si à l’avenir, le dialogue et la culture du pacte gouvernemental prendront le pas sur l’intransigeance et l’égoïsme politique de certains partis politiques. Si l’on en croit Mariano Rajoy, cette nouvelle étape peut être « une chance pour l’Espagne », puisqu’aucune réforme d’importance ne pourra se faire sans l’approbation d’une partie de l’opposition.
A suivre, donc.
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