Imaginez 34 millions de personnes à travers le monde, les yeux rivés sur leurs écrans, en train de regarder une bande de malfrats en combinaisons rouges braquant la banque d’Espagne, masques de Salvador Dali vissés sur le visage. C’est ce qui se passa la première semaine de diffusion de la partie 3 de La Casa de Papel, en avril 2020. Ce phénomène mondial a été le catalyseur de la plus grande machine à succès pour l’audiovisuel espagnol. Depuis, les triomphes s’enchaînent, les applaudissements fusent et les stars, fraîchement découvertes, pleuvent par dizaines : Elite, Las chicas del cable (alias Les demoiselles du téléphone), Alguien tiene que morir (alias Quelqu’un doit mourir) et plus récemment El desorden que dejas (alias Après toi, le chaos) cumule à chaque sortie plusieurs millions de téléspectateurs sur tous les continents. Mais qu’est ce qui explique ce phénomène si soudain ?
Si l’on prenait la peine d’ouvrir nos poussiéreux livres d’histoire, on se rendrait compte de l’impact des soixante-dix dernières années sur la manière de produire des séries dans ce pays du sud de l’Europe. Après avoir été restreinte pendant toute la période franquiste à des thèmes liés à la famille et à la grandeur de l’Espagne, ce n’est que dans les années 80 que la mise en concurrence des chaînes de télévision, devenues désormais privés, publiques ou régionales, permettent aux scénaristes de se réinventer et de prendre des risques. Face à des séries américaines à gros budgets, les Espagnols prennent alors le parti de développer des programmes avec une mécanique bien huilée et efficace, couplée à des personnages bien exploités, des acteurs charismatiques et une bande originale délicieuse pour les oreilles. Les années 2000 avaient déjà été pionnières dans le domaine, en exportant en Europe des séries à succès comme Un, Dos, Tres ou encore Grand Hôtel.
Alors l’Espagne peut-elle être considérée aujourd’hui comme ambassadrice du soft power européen à l’international ou se cantonne-t-elle à développer davantage notre amour inconditionnel pour le pays des tapas ? La réponse n’est pas si simple. D’un côté, cet essor très notable des séries ibériques mettent en avant le savoir européen dans un domaine où l’Europe n’était jusqu’alors que peu représenté. On peut considérer que ces programmes permettent de diffuser en toile de fond un mode de vie à l’européenne et une certaine vision de notre culture européenne : attachement à la liberté sous toutes ses formes, female empowerment (tous les personnages féminins d’Elite), tempérament révolutionnaire (le personnage de Tokyo dans la Casa de Papel), importance des symboles culturels (la musique italienne Bella Ciao dans la Casa de Papel), etc. D’un autre côté, les spectateurs retiennent surtout le caractère très hispanique de ces programmes, qui met largement en avant l’Espagne en tant que nation, avec ses symboles, sa langue, ses villes et, bien sûr, sa culture. Ce pays en ressort donc grand gagnant dans cette compétition acharnée pour diffuser de manière la plus pénétrante possible son soft power à l’international. Notre Union européenne en retire tout de même des bénéfices, moindre certes, mais c’est toujours ça de pris.
Le développement de séries à succès dans d’autres pays européens comme Peaky Blinders (Royaume-Uni), Dark (Allemagne), le Bureau des Légendes (France) ou encore Borgen (Danemark) permettront peut-être l’essor prochain de l’Europe en tant de nouveau pôle de créations des séries internationales de demain.
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