Itinéraire de l’épisode 2 du voyage d’Hippolyte et Maxime
La caravane passe sa première frontière
« Hippolyte, mets-toi en selle, on se met en route pour l’Italie ! ». Maxime sort de sa lente convalescence, l’œil encore engourdi par deux journées plongées dans le noir complet. Le jour se lève et après quelques minutes, notre cortège fait ses premiers tours de roues en Italie. Les panneaux de signalisation rompent la continuité du paysage et ce sont les premiers noms des villages qui signalent le passage imminent à la Dolce Vita italienne.
Avant que les odeurs du marché aux poissons ne chatouillent nos narines, Maxime suit l’itinéraire construit à la hâte au réveil vers Imperia. Au rythme des cris des marchands, la caravane fonce à toute allure dans les dédales de la vieille ville jusqu’à ce que le pilote ordonne son arrêt d’urgence. Le pneu avant s’affaisse contre la première marche d’un escalier interminable. J’avais pourtant prévenu Maxime que rien ne vaut une carte topographique, suivre aveuglément une application gratuite ne nous permettrait pas de faire le tour du monde.
Néanmoins, l’épreuve ne semble pas décourager Maxime. En quelques secondes, il saute par-dessus le cadre de la monture et s’empresse de hisser à bout de bras notre chargement de plus de 45kg. La scène est splendide : du haut de mon trône - le pelage au vent - je domine la ville et contemple les eaux turquoise de la mer Méditerranée. Seulement, le rêve s’arrête net et après 5 marches gravies, je sens la musculature de mon porteur s’affaisser et me retrouve projeté au sol. Je reprends mes esprits, tandis que Maxime propose un itinéraire alternatif pour contourner l’obstacle. Les rues s’animent, des mains se tendent, puis de plus en plus de voix s’élèvent « Congratulazioni » « forza », « corragio ».
Nous connaissions la ferveur italienne pour le cyclisme mais nous ne nous imaginions pas l’engouement que pourrait créer nos mines de voyageurs en quête de grande aventure. Alors que je m’efforce de bomber le torse, Maxime garde les yeux fixés vers la prochaine intersection : « Hippolyte, ces gens sont des supporters de football, ils attendent pour regarder le match. Regarde ! On arrive au Stade Nino Ciccione ». Nous n’étions pas déçus de notre propre spectacle - l’attelage resta bloqué pendant 1 heure au milieu de passionnés. Plusieurs Italiens essaient même de conduire la caravane, qui passe dans les quelques mains disponibles, la majorité étant davantage préoccupée à vider les bouteilles de Peroni, qui finissent par progressivement joncher le sol.
De moins en moins de pistes cyclables sécurisent nos déplacements et nous nous embarquons sur des routes chargées d’automobilistes. L’itinéraire nous fait visiter Gênes, véritable amphithéâtre moderne encadré par les montagnes. Quelques années auparavant, un pont autoroutier a cédé, entraînant 43 personnes dans le vide. A quelques centaines de mètres de l’antique Via Amelia Scaura qui transporte les voyageurs depuis -107 av JC, le contraste avec notre modernité harassante nous laissa songeurs.
Passé la périphérie et ses grandes demeures côtières, la route se réduit et notre convoi s’engage le long des villages de pêcheurs sur la route des cinq terres.
Côte de la Riviera du Levant
Se nourrir est un art
Nous avons quitté depuis un petit peu plus d’un mois notre vie sédentaire et nos habitudes parisiennes nous paraissent de plus en plus lointaines. Je laisse les corvées de cuisine à Maxime sans avoir jugé utile de l’inscrire à une formation aux rudiments du réchaud. Chaque soir, j’ai le sentiment qu’il prend un malin plaisir à répéter le même menu : salades froides, accompagnées de quelques morceaux de fromage sur du pain trop souvent rassis par l’air chaud. Un soir, je confie mes états d’âme au cuisinier : « J’ai pas signé pour un voyage frugal, si ça te faisait plaisir on pouvait s’imposer une retraite monacale en quelques minutes de RER depuis Paris… ». Maxime dormait déjà et la seule réponse que j’obtins fut le léger bruit de la toile de tente sous le grouillement de quelques insectes ayant réussi à s’y introduire malgré toutes nos précautions.
Contrebas du massif des Alpes Apuanes
Heureusement, l’hospitalité toscane me donne raison. Progressivement, je parviens même à convaincre Maxime de profiter des tables bon marché des quartiers populaires italiens. Nous dégustons des pennes à l’arrabiata, des raviolis, des gnocchis sur le chemin de Rome, nous trempons les morceaux de mozzarella di bufala dans des bolets d’huile d’olive, et trompons le goût du pain sans sel par de longues lampées de Chianti.
Florence, depuis la Villa Bardini
Voyager dans le temps
L’Italie ressemble à un énorme musée à ciel ouvert. Maxime s’étonne de se réconcilier avec ses souvenirs d’enfance dans lesquels sa mère aimait le traîner dans les musées. Le long des journées, notre caravane croise les ruines de la Rome antique. Et en arrivant dans la capitale, nous faisons la connaissance de l’Arc de Constantin, du Colysée et des colonnes de Trajan et de Marc-Aurèle, puis remontons le temps au monument à la gloire de Victor-Emmanuel II. La construction du métro est un chantier pharaonique à Rome : les ingénieurs font chaque jour de nouvelles découvertes archéologiques, le projet a plus de dix ans de retard et son prix a été multiplié par 25.
C’est la première fois que nous visitons la ville éternelle et nous décidons d’y séjourner pour profiter des richesses de la capitale. Maxime choisit une petite auberge de jeunesse, la literie premier prix suffit à éloigner les souvenirs des courtes nuits passées sous la tente, tandis que moi, je veille sur la caravane dans la cour de notre maison éphémère.
Piazza della Rotonda, Rome
Quatre jours plus tard, Maxime chevauche la caravane à nouveau et nous quittons la capitale par la Via Roma, Première route de l’Histoire. Moment émotion pour les passionnés de la mobilité, souvenir plus douloureux pour nos articulations et les roues de la caravane qui heurtent chaque pierre composant le chemin millénaire. Nous longeons la côte où les pauses sont une occasion de se baigner et de jouer avec l’écume des vagues. La route nous conduit quelques jours plus tard vers Naples. Entre le Latium et la Campanie, seul un pont en très mauvais état sépare les deux régions. Immédiatement, l’air chargé de poussière chatouille mes narines.
Les infrastructures deviennent vétustes, la végétation moins contrôlée et alors que la nuit tombe, des enfants jouent dans les rues au milieu de chiens affamés. Maxime a l’air d’apprécier la spontanéité et la simplicité de la vie ici, moi je me dis que quand même, c’est assez surprenant de voir un enfant s’amuser avec un pneu en plein milieu de la nuit.
Le lendemain, Maxime aperçoit un homme faisant la même chose que nous : pédaler au milieu des chauffards et tenter de se frayer une route jusqu’à Naples. Nous ne sommes finalement pas seuls ! Un peu désorienté par la circulation, Hubert, vendéen septuagénaire, souhaite nous suivre pour sortir de ce capharnaüm. Maxime accepte… Pendant 4 jours !
Je sens mon pilote valorisé par notre nouveau compagnon de route, à tel point que je commence à me trouver un peu isolé à l’avant de la machine d’acier. Un après-midi, alors que je préférais maugréer seul et profiter de la fraicheur et de l’ombre d’une chambre à Naples, Hubert et Maxime décident de partir en promenade sur leur vélo. En rentrant, Maxime court me rejoindre et s’exclame : « Quelle leçon de vie ! Nous sommes montés en haut du Vésuve avec Hubert. 73 ans et plus de 1 000 mètres de dénivelés dans l’après-midi. C’est pas toi qui ferait ça ! ». Non, mais pendant ce temps-là, je m’occupais de laver et plier le linge, qui commençait à trop sentir la vie en extérieur et l’absence d’eau savonneuse.
Arrivée en bateau à Capri depuis Naples
Avis de tempête en haute montagne
Après ces 4 jours de colocation en plein air, nos chemins se séparent et nous faisons nos adieux à Hubert. Nous prenons la direction des montagnes intérieures pour rejoindre les Pouilles. Les premiers sommets du sud des Apennins se dévoilent timidement derrière un épais manteau brumeux, balayé par des pluies diluviennes. Chaque kilomètre s’arrache au prix de longs efforts auréolés par l’humidité extérieure et intérieure de nos imperméables.
Les ponts sont nos caravansérails de fortune où nous nous arrêtons pour manger et chaque station essence qui ponctue la route désertée devient une oasis de courte durée, où nous pouvons profiter d’un abri. Ces quelques jours mettent notre patience à rude épreuve et paraissent une éternité.
Station essence, région du Basilicate
Nous découvrons les meutes agressives de chiens errants et montons des stratagèmes pour nous frayer un chemin, bien que les duels avec les molosses se concluent généralement par une course-poursuite. Notre odorat est continuellement en alerte. Régulièrement, la décomposition - parfois avancée - de cadavres d’animaux le long des routes soulève notre estomac. Les montagnes découvrent enfin leur véritable visage, plus menaçantes qu’étaient les douces traversées des plages italiennes. Les films de Fellini sont loin.
Enfin, à l’approche de Bari, Maxime rate un embranchement. Notre caravane s’embarque sur le périphérique de la capitale des Pouilles. Je cache mes yeux durant les trois prochains kilomètres jusqu’à l’arrivée dans le centre de la ville. Nos aventures se concluent sur quelques notes de jazz accompagnées d’Aperol Spritz. Les terrasses sont animées, tandis que de vieilles femmes roulent des pâtes fraîches profitant des derniers rayons de soleil.
Nous reprenons nos esprits en regardant la mer Adriatique. Maxime se tourne alors vers moi « Ce que tu vois au loin, c’est la Grèce ! C’est le prochain terrain de jeu ». Ce que Maxime oublia de me dire, c’est qu’il n’avait pas la moindre idée de comment acheminer la caravane de l’autre côté de la mer.
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