Passer la sublime porte et entrer en Turquie
L’Orient se dévoile, tandis que notre cortège continue sa route. En entrant dans le pays, nous découvrons un territoire organisé de manière pragmatique. De très larges routes nationales quadrillent la campagne, relient les petites villes et convergent vers Istanbul. La nature est marquée par les températures et le soleil brûle régulièrement les récoltes. En passant par les premiers villages habités, les chants des muezzins nous captivent. Les mots sont difficilement compréhensibles mais les mélodies sont envoûtantes. Depuis notre arrivée, thé et tabac nous sont systématiquement offerts. Servi avec son marc, le café se mange. Pour le reste, nous changeons les quelques euros en poche contre la devise locale, la Livre turque.
Notre alimentation s’adapte aux produits proposés et à la cuisine orientale. La journée, la chaleur empêche de se nourrir correctement et nous nous contentons de descendre les gourdes - parfois jusqu’à 8 litres d’eau. Les sources publiques deviennent notre principale préoccupation. L’astuce de Maxime est de se gaver d’Ayran, un lait fermenté à base de yaourt très populaire au Moyen-Orient ou en Asie centrale. Il adopte certaines coutumes et commence l’entretien d’une moustache, à faire rougir le plus fier des Turcs. Le long des routes de nombreux vendeurs de fruits et de légumes ambulants braillent après les voitures. Parfois, nous nous arrêtons et repartons les sacoches pleines. Les soirées sont souvent l’occasion de se rattraper et de profiter des douceurs de la cuisine ottomane : soupe de lentilles, Menemen (omelette de poivrons, oignons, tomates et de saucisses turques) ou Güveç (ragout de viande ou de poisson).
La Turquie est à bien des égards une originalité. Le pays est partagé par plusieurs courants de pensée et la petite partie occidentale que nous traversons reste la plus familière à notre monde. Alors que la laïcité de l’Etat est un principe constitutionnel depuis 1937, des courants traditionnels refont surface au sein de la population, plus particulièrement celle des campagnes, notamment dans l’est du pays. Ici, tout est prétexte pour afficher le portrait de Mustafa Kemal Atatürk, père de la nation moderne, de Recep Tayyip Erdoğan, actuel président ou simplement de pavoiser le drapeau rouge et blanc. Ils trônent dans les rues, s’immiscent dans l’intimité des chambres et se glissent parfois même jusqu’aux toilettes. Bienvenue en Démocrature ! L’histoire évolue, les normes sociales aussi : aujourd’hui, la presse est fermement encadrée, l’homosexualité y est mal vue et globalement, la femme est plutôt marginalisée dans l’espace public. Pour autant, Maxime continue à questionner les habitants sur leurs modes de vie, sur leur perception de leur société. Les interrogés prennent plaisir à répondre et nous embarquent dans des discussions fleuve. Les avis divergent, la démocratie respire encore !
Au bout du chemin de croix, Istanbul
Petit à petit, nous nous habituons à la circulation infernale et anticipons le comportement des locaux. Nous gagnons un axe rectiligne, composé d’une voie d’autoroute, d’une nationale et d’un bord de route, que nous nous résignons à partager avec les conducteurs de bus, les scooters, les pousseurs de chariot remplis de détritus et d’autres engins bricolés par des mécaniciens experts du système « D ».
Initialement, Maxime n’envisageait pas de pousser jusqu’à Istanbul. L’idée était venue un matin, au seul prétexte que l’objectif paraissait accessible. Les premières indications étaient fléchées et avec Simon, ils commencèrent à l’envisager dès leurs premières discussions en Grèce.
50 kilomètres nous séparent de la ville et la densité de la banlieue devient déjà étouffante. Istanbul se rapproche, nous continuons. Puis un jour, passé les Dardanelles, nous dormons sur une plage, face à la mer de Marmara. Le lendemain, nous passons les portes de la ville.
D’une rive à l’autre
Quelle claque ! Istanbul est avant tout une position géographique. Le premier réflexe en dépassant les portes de la vieille ville est de mener nos caravanes jusqu’au Bosphore : « Simon, on l’a fait ! On y est arrivé ! ». A nouveau, les larmes de joie dégoulinent du visage des deux conducteurs.
Istanbul est la seule ville à pouvoir se targuer d’être sur deux continents et de former le point de rencontre entre l’Orient et l’Occident. La ville est marquée par une histoire fascinante : elle fut la Byzance des Grecs, la Constantinople des Romains, l’éphémère espoir d’empire latin formé par les croisés, puis la capitale des sultans de l’Empire ottoman pour devenir la mégalopole cosmopolite que nous allions découvrir. Il est aisé de comprendre pourquoi les ancêtres des Turcs déployèrent tant d’effort et de temps pour s’emparer de cette merveille.
Nous trouvons une auberge dans le centre historique de la ville où poser notre paquetage, puis décidons de profiter des dernières lueurs de la journée sur le toit du bâtiment. Le lieu est parfait pour s’immerger dans une succession de sites archéologiques et religieux, de palais magnifiques, de rues et de quartiers pittoresques. Finalement, le contraste avec les campagnes est frappant : les mœurs semblent plus libérales et le poids du religieux moins omniprésent. Le lendemain, nous quittons Simon avec l’espoir de nous revoir. Istanbul constitue l’objectif final de son voyage, il rentrera ensuite à Paris.
Nous utilisons un ferry pour rallier l’autre rive de la ville. Alors que le bateau reste calme, Maxime peine à cacher son excitation : « pour le prix d’un ticket de métro, je vais mettre le premier pied en Asie de ma vie ! ». L’enthousiasme retombe rapidement. D’une rive à l’autre, l’ambiance et l’agitation sont plus ou moins les mêmes.
Bouillonnement stambouliote
Le Grand Bazar d’Istanbul est le plus grand marché couvert d’Orient : une véritable caverne d’Ali Baba ! Des milliers d’échoppes sont réparties dans un labyrinthe de galeries marchandes, rues et passages. Les commerçants trouvent sans difficulté les mots en anglais, mais aussi en français, espagnol, arabe, russe pour séduire les futurs acheteurs. Nous prenons plaisir à assister aux numéros éprouvés et aux parades des vendeurs. On y trouve tapis, épices, bijoux, lampes, vêtements, instruments de musique, etc. Nous repartons avec quelques portions de thé en prévision de nos prochains bivouacs - sans regret – Maxime a déjà des difficultés pour fermer les sacoches de la caravane.
Dans les dédales des rues, Maxime se prend de plaisir à me présenter des métiers, dont seuls les anciens se remémorent en France : vendeurs ambulants, cireurs, rempailleurs, vendeurs d’eau, de fruits, de nourriture, pâtisseries ou friandises, vendeurs à la criée, kiosques, pourvoyeur de guides touristiques.
Au fil de notre promenade, d’imposantes mosquées sortent de terre. Les édifices sont recouverts de décoration d’une rare finesse. A l’intérieur, seule l’odeur des pieds des visiteurs perturbe les prières des fidèles. Le port de la chaussure est formellement prohibé dans les mosquées. Leur quiétude rompt brutalement avec l’agitation des rues. Dehors, le trafic incessant des voitures, bus, tramways, habitants, travailleurs et visiteurs submerge la cité de l’aube au crépuscule.
Mettre le cap vers la mer Noire et les Balkans
Après une petite semaine passée, nous ne pouvons continuer à ignorer l’appel de la route. La suite est programmée autour d’un dernier thé : nous retournons en Europe et remonterons en direction des Balkans, de l’Europe centrale et du Nord.
L’alternative iranienne revêt trop d’incertitudes (notamment pour obtenir un visa, délivré par l’ambassade d’Ankara). Quelques mois plus tard, nous apprendrons qu’une vague d’instabilité frappe l’Iran - un vent de liberté, insufflé par les femmes, dont les cheveux volent au vent devant les bazars de Téhéran.
Alors que les averses calment l’effervescence stambouliote, Maxime appuie sur le klaxon de la caravane à nouveau chargée et sonne notre départ. Emus par ce premier pas sur le continent asiatique, nous reprenons la route vers l’Europe - les Balkans dans le viseur - l’âme brûlante.
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