« L’Europe au cœur de l’élection présidentielle »

Compte-rendu de la conférence du 2 février 2017 organisée par Sorbonne Communication en partenariat avec Le Taurillon

, par Louise Guillot

« L'Europe au cœur de l'élection présidentielle »

La conférence « L’Europe au cœur de l’élection présidentielle » organisée par Sorbonne Communication en partenariat avec le Taurillon, Toute l’Europe, le Parlement européen et la Représentation de la Commission européenne en France, portait sur la place de l’Europe dans la campagne présidentielle française. Partant du constat qu’elle avait été très peu évoquée pendant la Primaire de la Droite et du Centre et à peine plus au cours de la Primaire de la Belle Alliance Populaire (gauche), les intervenants ont avancé des pistes de réflexion.

Pourquoi l’Europe est délaissée dans la campagne présidentielle

Selon Edouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne en France pour les questions commerciales, il y a ici un réel paradoxe car l’Europe est pourtant bel et bien au cœur des préoccupations des citoyens. Alors que les principaux débats de la campagne présidentielle s’articulent autour de sujets européens (sécurité, migration, économie, etc.), les candidats ne sont que rarement interrogés par les journalistes sur la place qu’ils souhaitent donner à l’Europe pour répondre à ces défis.

Philippe Juvin, deuxième invité de cette conférence et député Les Républicains (LR) / Parti Populaire Européen (PPE) au Parlement européen, s’est attaché quant à lui à souligner la complexité de l’Union européenne, qui rend la son fonctionnement quasiment incompréhensible. Afin d’illustrer son propos, le député prend l’exemple de certains discours selon lui trop technocratiques prononcés par certains de ses collègues du Parlement ou par des journalistes. Il critique également « les discours euro-béats qui rendent l’Union illisible ». Cependant, le député nuance son intervention en reconnaissant que l’Europe est souvent utilisée comme bouc émissaire, montrant l’ambiguïté du personnel politique qui ne loue l’Union que quand elle sert son propos. Selon Philippe Juvin, ce n’est pas parce que les institutions fonctionnent mal qu’il faut arrêter de croire dans le projet européen : l’Europe est un moteur de puissance pour les « petits » États (entendus à l’échelle des grandes puissances mondiales), justifiant la nécessité d’œuvrer à la perpétuation de la puissance européenne « Il faut que les vieux États européens continuent d’éclairer le monde ».

Henri Weber, ancien député européen du Parti Socialiste (PS) / Socialistes & Démocrates (S&D), rétorque que dire que l’Europe marche mal c’est ne pas assumer, voire cacher, qu’il y a une différence entre le discours que les responsables politiques tiennent devant les médias et ce qu’ils vont réellement négocier à Bruxelles. Pour lui l’Europe est tout à fait présente dans la campagne : il y a ceux qui sont pour une sortie de l’Union et qui prônent un nationalisme de repli (à l’extrême droite ou à l’extrême gauche), et d’autres qui considèrent que pour faire face aux « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) et aux puissances continentales, il faut rassembler les Européens pour affirmer notre souveraineté à l’échelle mondiale. En ce sens, le moteur franco-allemand doit, selon lui, continuer à jouer ou rejouer un rôle moteur comme il l’a été à travers l’histoire de la construction européenne.

Rendre l’Europe plus politique

Antoine Vauchez, quatrième et dernier invité de cette conférence, Directeur de recherche au CNRS au Centre européen de sociologie et de science politique (Université Paris 1-Sorbonne-EHESS), remarque que l’Europe n’est pas traitée en tant que telle (comme objet ou comme projet politique) mais plutôt comme un instrument dont on peut choisir de se servir ou pas. Elle est donc présente dans les programmes, mais il n’y a pas de méthode : comment fait-on de la politique européenne ? Comment réoriente-t-on le projet européen ? Comment repense-t-on le tandem franco-allemand ? Antoine Vauchez souligne ici qu’aucun programme présenté à ce jour ne commence par un diagnostic sur l’Europe. Les candidats ne posent pas la question de la gouvernance de l’Union et du comment ils proposent d’exercer cette gouvernance une fois élus.

Philippe Juvin réagit à ces propos en disant que l’Union est un objet institutionnel et non politique, et encore moins un objet politique de puissance. La gouvernance serait trop diluée avec 28 Commissaires et un Parlement européen qui ne possède pas de majorité absolue. Pour lui, la France n’occupe pas une place assez forte sur la scène européenne et il est nécessaire d’augmenter sa présence dans les institutions et l’administration européenne. [1] Antoine Vauchez rebondit sur le problème qui est évoqué ici en disant qu’il y a effectivement une responsabilité des élites et des médias qui font de l’Europe un objet ennuyeux, mais elle n’est pas toujours maltraitée. En profitant pour citer Jacques Delors, qui fut président de la Commission européenne de 1985 à 1995 : « On ne tombe pas amoureux du Marché unique ». L’enjeu réside dans la façon dont on parle de l’Europe et dont on la montre.

On touche ici un problème récurrent : le manque d’information et de connaissance de l’Union européenne et surtout de ses politiques. Pourtant, l’échelle européenne est parfois la plus pertinente pour promouvoir certaines positions par les États sur la scène internationale. Etienne Bourcieu nomme alors l’exemple des indications géographiques protégées fortement défendues par la France et dont la notion a été reprise dans l’accord commercial entre l’Union Européenne et le Canada (le CETA).

Les Européens doivent aussi impérativement se rassembler pour faire face aux nouveaux défis (numérique, biotechnologies, économie circulaire, etc.), mais également pour élaborer « une politique continentale de sécurité et de défense pour lutter contre le djihadisme ou la puissance russe ». Henri Weber est convaincu que c’est en proposant et en mettant en œuvre une stratégie de politique européenne concrète que les candidats pourront reconquérir l’opinion publique sur ces sujets.

Les européens doivent être fiers de l’Union Européenne

Philippe Juvin pointe du doigt le fait que l’un des problèmes majeurs réside dans le fait que les Européens ne sont pas collectivement fiers de l’Union européenne. C’est pourquoi il propose qu’une histoire européenne commune soit enseignée à l’école dès le plus jeune âge. Mais les États étant vite rattrapés par leur égoïsme, il paraît difficile de mettre ce type de politique éducative en place à l’échelle européenne.

Edouard Bourcieu, constate quant à lui un problème d’incarnation et d’appropriation de l’Europe au travers de figures politiques par les citoyens. Le système des « Spitzenkandidaten » tente bien de répondre à ce problème en insufflant une nouvelle dynamique, mais le véritable test se fera aux élections européennes en 2019.

Antoine Vauchez va plus loin en disant que l’Europe est dépeinte comme un objet négatif, or « cette thématisation critique de l’Europe s’est transnationalisée » et c’est peut-être cela le plus inquiétant finalement. Un certain nombre d’organisations nationales telles que des partis politiques, des syndicats ou des associations refusent de prendre le parti de l’Europe et de participer à la construction d’identités européennes, car ils jugent que cette dernière ne produit pas les résultats attendus. Etienne Bourcieu intervient alors pour dire qu’il est indéniable que des gagnants mais aussi des perdants de la mondialisation existent, mais que c’est bien en se rassemblant que les Européens pourront les accompagner et remédier à ce problème.

Enfin, les questions avec la salle furent nombreuses mais essentiellement orientées sur les aspects économiques de l’Union Européenne et les difficultés qui les accompagnent. Il y a aujourd’hui en effet une asymétrie entre la facilité à construire des marchés et la grande difficulté à les réguler. L’Union est donc accusée de tous les maux, mais Henri Weber rappelle que sans la volonté des États Membres rien ne peut changer, et de terminer par ces mots : « l’Union européenne c’est avant tout l’adhésion à un système de valeurs dont il faut se pénétrer » et tendre vers une fédération d’États-nations.

En savoir plus sur Sorbonne Communication : http://www.sorbonnecommunication.fr

Notes

[1Le parti Les Républicains propose une Europe à deux vitesses composée d’un premier cercle intégré (les pays de la zone Euro) et un deuxième cercle moins intégré (celui du Marché unique).

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