Deux femmes à la tête d’instance européennes. L’an dernier, Ursula von der Leyen est devenue la première femme présidente de la Commission européenne tandis que Christine Lagarde devenait la première à occuper la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Mais mis à part ces faits symboliques et le constat que plusieurs pays membres de l’UE se classent parmi les plus avancés du monde en matière d’égalité des genres, il reste beaucoup à faire. Les débats actuels sur le harcèlement, les féminicides, les publicités sexistes ou encore les inégalités salariales le prouvent.
Lors de la dernière session plénière du Parlement européen à Strasbourg, les droits des femmes et l’égalité des genres étaient un sujet majeur. Jeudi 13 février, les députés ont justement débattu et voté sur les priorités de l’Union européenne pour la 64e session de la commission de la condition de la femme des Nations Unies (UNCSW64), qui se tiendra à New York en mars. Et le lendemain, la commissaire pour l’Égalité, Helena Dalli, a présenté son plan pour l’égalité entre hommes et femmes en plénière.
Une nouvelle stratégie
Après avoir souligné le triste constat de la persistance de différences salariales entre les genres et rappelé qu’une femme sur trois dans l’UE a subi de la violence ou du harcèlement sexuel au cours de sa vie, la commissaire a annoncé sa « stratégie ambitieuse » comme le « sujet clé » du travail de la nouvelle Commission.
Elle propose d’inclure l’aspect du genre dans tout le travail législatif de la Commission ainsi que l’instauration de mesures concrètes. La stratégie inclut de combattre les stéréotypes de genre, d’améliorer la transparence quant aux différences salariales ainsi que la représentation des femmes dans les conseils d’administration d’entreprises, et d’assurer une meilleure aide pour les femmes victimes de violence conjugales ou sexuelles.
Dalli définit l’objectif de la stratégie comme celui d’« une Europe où les femmes et les hommes, les filles et les garçons, dans toute leur diversité, sont libérés des violences sur la base du genre et des stéréotypes à ce sujet, où ils ont l’opportunité de réussir sur le marché de travail, de diriger nos entreprises, de faire de la politique et de participer de manière égale dans tous les secteurs d’activités. »
L’engagement d’Helena Dalli
La Maltaise, membre du parti travailliste (Malta Labour Party) et donc du parti socialiste européen (PSE), semble la personne idéale pour s’occuper du dossier de l’égalité entre les genres. En effet, avant de succéder à la Tchèque Vera Jourova à ce poste en septembre dernier, elle était en charge des droits civiques, puis des affaires européennes et de l’Égalité auprès du gouvernement de son pays.
Son parcours est unique. Née en 1962, elle a représenté son pays au concours Miss World à Londres en 1979 avant de poursuivre des études de sociologie politique qu’elle a terminé par un doctorat à l’université de Nottingham en Grande-Bretagne. Quand elle est entrée pour la première fois au parlement maltais en 1996, elle faisait alors partie des cinq femmes à y siéger parmi les 69 députés.
La petite île de Malte en Méditerranée, très fortement ancrée dans le catholicisme, a dû rattraper un certain retard au sujet des droits des femmes. Par exemple, c’est seulement en 2011 que le divorce y a été légalisé. Dans le Global Gender Gap Report, publié chaque année par le Forum Économique Mondial, qui mesure les différences persistantes entre hommes et femmes, le pays arrive au 69e rang et il se positionne à la 24e place parmi les 27 membres de l’UE.
C’est en partie grâce à Mme Dalli que du progrès s’est fait sentir au cours des dernières années. En tant que ministre des Affaires européennes et de l’Égalité dans le cabinet du premier-ministre Joseph Muscat, elle a obtenu plusieurs succès comme une loi contre la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle ou l’introduction d’une caisse pour les congés maternité financée par l’État, empêchant que les employeurs évitent d’embaucher des femmes pour ne pas devoir la financer.
Des objectifs soutenus par le Parlement
Au sein de l’hémicycle strasbourgeois, tous les groupes parlementaires sauf l’Extrême-Droite ont salué et soutenu l’initiative présentée par la Commission. Pour le PPE, la Néerlandaise Cindy Franssen a affirmé vouloir davantage travailler sur les inégalités de revenus salariaux et des retraites entre les hommes et les femmes.
L’Allemande Maria Noichl, membre de la S&D, a demandé que la question de l’égalité des genres englobe tous les domaines sur lesquels travaille la nouvelle Commission et que les pays membres qui ne respectent pas les normes sur cette égalité soient privés des fonds européens. Elle a également évoqué une possible relation entre la montée des nationalismes et des régressions sur les droits des femmes.
S’exprimant au sein du groupe des libéraux de Renew, la Française Irène Tolleret a mis l’accent sur l’accès à l’avortement qui n’est pas garanti dans nombre de pays de l’Union, ainsi que sur l’égalité de carrière et de salaire en rappelant les exploits scientifiques de Marie Curie.
Du côté des Verts, la députée suédoise Alice Kuhnke a souligné que les femmes sont davantage touchées par les conséquences du changement climatique et que cet aspect est encore absent de la stratégie pour l’égalité hommes-femmes ainsi que des projets en matière de lutte pour le climat.
Prises de parole féminines
Finalement, c’est seulement au sein du groupe Identité et Démocratie, que les critiques négatives se sont réellement faites sentir. L’Allemande Christine Anderson a ainsi affirmé que la stratégie de la Commission représente une « expérience sociétale » inadmissible. Elle a appelé à ne pas « forcer » les femmes à aller travailler et de ne pas essayer de changer les rôles de genre établis. D’après elle, les relations entre les genres devraient être gérés par les familles, les entreprises et les États-membres sans intervention de la part des institutions européennes.
De l’autre côté de l’hémicycle, la Portugaise Sandra Pereira (GUE/GVN) a clamé que l’égalité des genres est liée à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion ainsi qu’à l’accès aux services publics. L’Italienne Isabella Adinolfi (NI) a pour sa part insisté notamment sur la souffrance des femmes victimes de la traite des êtres humains et de l’exploitation sexuelle.
A l’issue de ces déclarations des groupes parlementaires - tous symboliquement représentés par des femmes pour l’occasion - plusieurs eurodéputés ont ajouté des propositions et des remarques personnelles. Parmi les plus touchantes, on retrouve sans doute la contribution de l’Hongroise Katalin Cseh qui a évoqué le destin tragique de sa compatriote Bernadett Orosz. Brandissant sa photo, elle a rappelé que l’aide médicale a été refusée à cette femme ainsi qu’une protection efficace de la police après avoir été violée par son ancien conjoint.
Continuer les efforts
La députée verte allemande Terry Reintke a également scandé que l’Union européenne est un « phare d’espoir et de liberté » pour les mouvements féministes du monde entier vu le nombre de gouvernements autoritaires qui attaquent ces droits des femmes.
Plusieurs oratrices ont aussi déploré que la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe signée en 2011 n’a pas encore été ratifiée par certains Etats membres de l’UE et ont demandé une approche alternative pour l’Union. Cette convention prévoit une lutte intensifiée contre les violences faites à l’égard des femmes et contre la violence domestique – et Helena Dalli avait annoncé vouloir la signer pour l’Union européenne dans son discours. Maximilian Krah, représentant de l’Extrême-Droite allemande, par contre, voit dans la stratégie de la Commission une initiative « socialiste » et « totalitaire » pour déformer les relations intimes et détruire les familles.
La Commission Von der Leyen annonce une stratégie très ambitieuse et fait de l’égalité des genres une de ses priorités. Une grande majorité des députés s’est montrée favorable à l’initiative et il semble qu’au sein de l’hémicycle, hormis une partie de l’Extrême-Droite, tout le monde reconnaît l’importance du sujet. Cependant, en y regardant de plus près, on constate que souvent dans certains pays membres, comme ceux qui refusent de signer le traité d’Istanbul, les paroles prononcées à Strasbourg ne sont pas encore suivies par des actes.
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