L’Europe en danger : la menace de l’escalade thermonucléaire

, par Florian Brunner

L'Europe en danger : la menace de l'escalade thermonucléaire
(Source : Wikipedia Commons)

OPINION. Au cœur de l’Europe, comme lors des deux guerres mondiales du XXème siècle, le destin du monde est en train d’être scellé. Ou l’Occident parviendra à contrer la menace et à repousser l’affirmation de la volonté de guerre du Kremlin, inscrite dans le concept de la guerre nouvelle génération du Général Valery Gerasimov, chef de l’État-major général des Forces armées de la Fédération de Russie et premier vice-ministre russe de la Défense. Ou la troisième guerre mondiale sera enclenchée et le monde occidental comme russe finiront détruits dans une déflagration nucléaire totale. L’Europe est en danger et pour sauver son avenir, elle doit combattre Vladimir Poutine dans ses plans.

Vladimir Poutine, l’homme le plus dangereux du monde

Vladimir Poutine a lancé ses troupes sur l’Ukraine et a imposé à l’Occident le défi le plus important de ce début de XXIème siècle. Rémus a engagé le combat face à Romulus. L’invasion de l’Ukraine représente un choc stratégique majeur, aux portes de l’Union européenne. Une bataille fondamentale fait rage, pour l’avenir de la gouvernance mondiale et le destin du monde. La colère de Némésis peut dépasser tous les acteurs et les entraîner, dans un mouvement furieux, vers l’Apocalypse nucléaire. Le danger est immédiat et immense. Romulus devra vaincre Rémus, au terme d’un combat féroce et impitoyable, mêlant les offensives hybrides et le maniement du hard power. Jamais au XXIème siècle, l’humanité n’avait fait face à une menace aussi puissante. Les attentats du 11 septembre 2001 ont représenté un impact considérable, mais depuis qu’il a brandi la puissance nucléaire de son pays, le 27 février 2022, en annonçant la mise en alerte des « forces de dissuasion de l’Armée russe », Vladimir Poutine est devenu bien plus menaçant que ne l’a jamais été Oussama Ben Laden. Vladimir Poutine est désormais l’homme le plus dangereux du monde et l’un des hommes les plus dangereux de l’Histoire. L’engagement d’une attaque thermonucléaire aboutirait à une destruction réciproque de tous les acteurs. L’arsenal nucléaire russe pourrait être activé en premier et détruire les États-Unis et tous les États membres de l’OTAN. Les sous-marins américains, français et britanniques suivraient le protocole établi et lanceraient leurs missiles sur la Russie qui serait rayée de la carte. Les pertes humaines seraient colossales et les environnements complètement dévastés et irradiés.

L’invasion de l’Ukraine, une déclaration de guerre à La Fin de l’Histoire

L’avenir de la civilisation humaine, se décidera dans cette lutte résolue entre deux jumeaux que tout oppose. D’un côté la Russie, empire déchu et traumatisé. De l’autre, la puissance occidentale, résiliente et transformée, toujours prédominante dans les Relations internationales. L’espoir des Occidentaux des années 1990, celui d’un avènement définitif et fulgurant d’une Fin de l’Histoire, théorisée par Francis Fukuyama, d’une propagation irrésistible du modèle occidental, est définitivement brisé. Romulus devra encore mener d’autres combats, avant de fonder Rome et d’engager la planète vers un futur pacifié et consacré au génie humain. Vladimir Poutine est un adversaire déterminé de la Fin de l’Histoire. Ce despote incarne un pouvoir autoritaire, qui puise sa légitimité dans les opérations et les conquêtes militaires. La dictature et la guerre, l’antagonique de la Fin de l’Histoire, sa genèse violente et sauvage, qui atteindra le paroxysme de deux guerres mondiales, au XXème siècle. Vladimir Poutine frappe au cœur du projet occidental, en portant la guerre aux frontières de l’Union européenne, qui est perçue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme un modèle de paix et de construction politique supranationale. Désormais l’Union n’est plus cette réalité isolée des tourments du monde, elle est devenue avec l’OTAN, le rempart qui fait face à l’offensive armée d’un autocrate impitoyable. La Russie de Vladimir Poutine suit l’évolution de la Corée du Nord : un régime autoritaire enfermé sur lui-même, une économie en autarcie et l’affirmation d’une capacité nucléaire, afin de maintenir ses rivaux à distance.

Combattre l’ennemi dans ses plans

Le 12 novembre 2021, dans un article présentant le projet de Boussole stratégique, le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell, avait émis un avertissement très direct, avant même que les hostilités guerrières ne soient enclenchées en Ukraine :

« Notre analyse des menaces globales montre clairement que l’Europe est en danger. L’UE risque ce que j’ai appelé un "rétrécissement stratégique" ».

La capacité nucléaire russe menace de destruction une Europe qui se croyait à l’abri de la violence guerrière, réservée à d’autres régions du monde. Il n’y a plus d’options alternatives pour l’Union européenne à l’impératif de combattre l’ennemi dans ses plans, dont Sun Tzu a posé les fondations dans l’Art de la Guerre : « Le mieux, à la guerre, consiste à attaquer les plans de l’ennemi ». L’enjeu dans ce moment de rupture entre deux univers stratégiques, est de cerner les desseins de Vladimir Poutine, de manière à paralyser ses offensives. Le modèle fondé sur la dissuasion issu de la guerre froide, ainsi que le processus de stabilisation et de pacification de l’espace européen depuis la chute de l’URSS, sont aujourd’hui directement attaqués. Nous n’entrons pas dans une nouvelle guerre froide, mais nous abordons une époque inédite, où la perspective de belligérances inconnues en Europe et d’une bataille nucléaire à grande échelle est devenue possible.

Le modèle de guerre américain et le néoconservatisme russe

Valery Gerasimov, chef de l’État-major général des Forces armées de la Fédération de Russie et premier vice-ministre russe de la Défense, a particulièrement étudié les interventions militaires américaines en Afghanistan et en Irak, pour la conceptualisation de la guerre nouvelle génération. Inspirés par la démonstration de force des États-Unis, qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001, les stratèges russes ont reproduit ce modèle de guerre, et ont voulu opérer une campagne éclair, démontrant la puissance du hard power russe et aboutissant à un changement de régime en Ukraine. En 2003, la Russie s’était opposée à l’invasion de l’Irak par les États-Unis, en se joignant aux positions française et allemande. Pourtant par son agression de l’Ukraine, Vladimir Poutine confirme l’affirmation d’un néoconservatisme russe, dont il est le principal architecte, tout en déplaçant encore plus loin les limites de la manipulation de masse. La première phase de la guerre en Ukraine n’a cependant pas abouti au succès que Moscou espérait. Les forces russes se sont enlisées, après un Blitzkrieg raté. Le prédateur n’est pas parvenu à saisir sa proie. L’affirmation avancée par Vladimir Poutine, le 3 mars 2022, selon laquelle « des opérations spéciales ont lieu et le plan continue. Rien n’est fait par hasard et pour l’instant, tout se passe comme prévu », avait pour objectif de rassurer la population russe, mais ne faisait pas illusion dans le reste du monde. La sous-performance des armées russes tranche avec l’efficacité américaine, dont les stratèges russes se sont inspirés. La guerre en Ukraine est déjà un semi-échec pour les Russes, qui manquent de maîtrise opérationnelle, contrairement aux États-Unis, à la France ou à Israël.

Sous-estimer l’adversaire : une tendance structurelle des néoconservateurs

Pour le Général Vincent Desportes, Vladimir Poutine a « commis la pire erreur stratégique, qui puisse exister, c’est-à-dire mépriser l’autre et ne pas penser qu’il est suffisamment intelligent pour se défendre et qu’il a des intérêts qui sont vitaux pour lui et qu’il va défendre. C’est-à-dire, comme les Américains l’avaient fait au Vietnam d’ailleurs, ne pas mesurer ce que l’autre est prêt à payer pour défendre ses propres intérêts ». Le Général britannique Richard Shirreff, ancien commandant adjoint de l’OTAN, auteur de l’ouvrage War with Russia, estimait que « Poutine a sous-estimé son ennemi, sous-estimé le leadership de l’Ukraine et sous-estimé la réponse de l’Occident ». Un constat qui renvoie à la règle de Sun Tzu : « Qui connaît l’autre et se connaît ne sera point défait ». Sous-estimer l’adversaire est aussi une tendance des néoconservateurs, qui croient volontiers en la suprématie efficiente du hard power de leur pays. Il existe une différence majeure entre les néoconservatismes américain et russe : la finalité de ces processus. L’Administration de George W. Bush voulait instaurer la démocratie au Moyen-Orient. Vladimir Poutine et Valery Gerasimov détournent le modèle de guerre américain, vers un objectif inverse : faire tomber des démocraties et répandre des régimes autocratiques.

Sur le modèle d’Hiroshima, une ville ukrainienne pourrait être frappée avec l’arme nucléaire

L’OTAN est un bouclier qui dissuade la Russie d’attaquer ses États membres. Vladimir Poutine a choisi de se concentrer sur un État de son voisinage, militairement plus faible et non membre de l’OTAN. De même, la capacité de frappe nucléaire russe empêche toute intervention de l’OTAN dans le conflit ukrainien. L’escalade thermonucléaire et la destruction absolue des acteurs doivent être évitées. Engagé dans une fuite en avant, acculé par les sanctions économiques et la faiblesse de ses forces conventionnelles, Vladimir Poutine revendique sa capacité nucléaire. Si les difficultés militaires se maintiennent, le dirigeant russe pourrait en outre, décider de frapper l’Ukraine avec l’arme nucléaire, dans une perspective tactique, de manière à accélérer un processus dont la lenteur porte atteinte à sa crédibilité de chef militaire et politique. Sur le modèle d’Hiroshima, une ville ukrainienne pourrait être frappée. Vladimir Poutine serait alors définitivement isolé et condamné, mais il pourrait être disposé à payer ce prix, pour réaliser son ambition conquérante. Jusqu’où le Maître du Kremlin est-il prêt à aller, afin de briser l’univers stratégique issu de la fin de la guerre froide ?

Lors d’une Conférence de presse en ligne, le 3 mars 2022, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, avait été interpellé sur l’usage d’armes de destruction massive et avait déroulé une démonstration occultant les déclarations initiales de Vladimir Poutine, en prétendant que les dirigeants occidentaux étaient ceux qui s’exprimaient le plus sur la menace d’une guerre nucléaire. Pour appuyer ses propos, Sergueï Lavrov avait mentionné un cadre doctrinal russe sur cet enjeu :

« Nous n’avons pas des fous chez nous, nous avons une doctrine militaire, qui décrit des paramètres et des conditions, du recours à l’arme nucléaire. […] Donc j’attire votre attention sur le fait que la guerre nucléaire est bien dans la tête des Occidentaux et pas dans la tête des Russes. Je vous assure que nous ne permettrons pas toutes ces provocations, nous ne permettrons pas de nous déstabiliser et si nous ne voulons pas de guerre nucléaire, dans ce cas-là, il faut y réfléchir. »

La doctrine militaire russe et le recours à des armes nucléaires tactiques

Le Général Valery Gerasimov a conçu depuis 2013, une guerre nouvelle génération, incluant la guerre non-linéaire qui explore une zone intermédiaire entre hard et soft power, en réponse à l’Hybrid Warfare ou à la guerre hybride développée par l’OTAN et l’Union européenne, dans une relation du faible au fort. Les principes de ces stratégies indirectes ont été posés en 1999, dans l’ouvrage chinois La guerre hors limites, de Qiao Liang et Wang Xiangsui. Le cœur de la réflexion de Valery Gerasimov se focalise sur les opérations de haute intensité, dans la profondeur adverse, en mobilisant un outil militaire conventionnel infovalorisé. La construction doctrinale russe s’est orientée autour de l’enjeu d’une guerre majeure, opérée par des actions déterminantes, en profondeur. La possibilité de recourir à l’arme nucléaire dans une action offensive, et non plus exclusivement dissuasive, représente une direction fondamentale de la doctrine militaire russe.

En effet, dans la perspective d’un conflit de haute intensité, l’usage d’armes de destruction massive est envisagé, notamment par la potentialité d’une frappe nucléaire tactique, qui serait engagée initialement afin de contrer une menace conventionnelle élevée. Dans ce scénario, si l’OTAN et la Russie sont en guerre et que les forces conventionnelles russes se retrouvent fortement diminuées, Moscou pourra recourir à des armes nucléaires tactiques, de moindre puissance, en capacité de détruire des villes. Les américains répondront en conséquence, de manière proportionnelle, en annihilant d’autres espaces urbains russes. Nous rentrerons alors dans une bataille nucléaire. L’escalade thermonucléaire pourrait intervenir à terme et entraîner la disparition des États-Unis, du Canada, de l’Europe et de la Russie. Que ce soit par un engagement nucléaire tactique ou stratégique, le risque final reste la désintégration mutuelle et totale.

Une mise en œuvre précipitée et prématurée de la doctrine Gerasimov

Contrairement aux affirmations de Sergueï Lavrov, la doctrine du Général Valery Gerasimov n’est pas respectée, notamment dans la chronologie du dispositif. Valery Gerasimov avait établi un processus d’évolution pour les capacités militaires russes à horizon 2030-2040. Une décision politique, de Vladimir Poutine et de son entourage, a entraîné une précipitation stratégique et l’invasion de l’Ukraine, sans que le cycle envisagé ne soit parvenu à son terme. Une évolution qui contraste avec la culture stratégique de la Chine, inscrite dans le temps long. Les armées russes en cours de modernisation, n’ont ainsi pas l’armature nécessaire, et sont pénalisées par un manque criant d’expérience opérationnelle. Le schéma Gerasimov n’est pas opérant. Loin d’une guerre éclair ultra-technologique et puissante, l’intervention militaire de Moscou en Ukraine, épuise l’outil militaire russe, entraîne des pertes lourdes en matériel, conduira à un exercice de redéfinition doctrinale et retardera de manière significative le projet de Valery Gerasimov. L’ombre du désastre russe en Afghanistan des années 1979-1989, plane sur Vladimir Poutine.

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