L’Europe face aux migrants à la frontière grecque

, par Eric Drevon-Mollard

L'Europe face aux migrants à la frontière grecque
Crédit : Wikimédia Commons

Suite à une offensive du régime syrien, épaulé par les forces russes, l’armée turque a perdu une dizaine d’hommes en Syrie, et se retrouve en difficulté sur le terrain. En guise de contre-attaque, Erdogan opte pour la pression maximale sur l’Union Européenne afin qu’elle l’aide contre la Russie, en prétextant son non-respect d’un accord visant à contenir les immigrants illégaux : il cesse de les retenir, et demande même à ses policiers de leur prêter assistance dans leur tentative de franchir la frontière grecque. Heureusement, retenant la leçon de 2015, les dirigeants européens comme la population se mobilisent pour défendre nos frontières !

L’arrivée massive de migrants à la frontière grecque est la conséquence de la guerre en Syrie et de l’incapacité de l’Union Européenne à protéger elle-même ses frontières extérieures. Les rapports de force entre les factions en lice au Levant, Turquie, Syrie, Russie, Iran, Kurdes, sunnites proches de l’État Islamique, ont créé une situation délétère qui pousse les populations civiles à fuir les zones de combats et les territoires conquis par leurs ennemis.

Comme elles n’ont pas été arrêtées à la frontière, elles ont massivement migré en Turquie. On parle au bas mot de 4 millions de personnes.

L’Union Européenne n’ayant pas voulu protéger elle-même ses frontières, elle rémunère son voisin du sud-est pour maintenir chez lui les candidats à l’exil. Mais la situation géopolitique et militaire entre la Turquie, la Syrie et la Russie a rebattu les cartes, mettant les Européens face à leurs insuffisances et leurs contradictions.

Le détonateur : défaite militaire et isolement diplomatique de la Turquie

Tout a commencé par l’offensive des forces terrestres de Bachar al-Assad sur Idlib, épaulées par l’aviation russe, le 28 février, entraînant la mort de 33 soldats turcs, qui aidaient les opposants au régime syrien. Le rapprochement d’Erdogan avec Poutine lors des accords d’Astana, qui avait courroucé ses partenaires de l’OTAN, ne lui avait servi à rien. Isolé sur le plan géopolitique, en difficulté sur le plan intérieur face à une opinion publique lassée de l’accueil des Syriens fuyant les combats, il décide alors de mettre la pression sur l’Union Européenne.

Cette stratégie redore son blason en politique intérieure : s’il y a tous ces migrants en Turquie, c’est parce que les Européens n’en veulent pas.

En politique étrangère, l’objectif principal est de mettre la Russie sous pression : acculés par la gestion laxiste et désordonnée de leurs frontières, qu’ils ont lâchement sous-traitée à la Turquie, les Européens seront obligés de forcer le régime de Poutine à cesser d’appuyer l’armée syrienne contre les forces turques. Sans compter les moyens de pression dont il dispose désormais vis-à-vis de l’Europe.

Comment l’Union Européenne s’est-elle mise en situation de faiblesse face à la Turquie ?

Une première vague de migration de masse s’était déjà produite en 2015, toujours à cause de la guerre en Syrie. Aux Syriens fuyant les combats s’étaient joints des Afghans, des Africains et des Maghrébins qui se sont engouffrés dans la brèche. Merkel décida unilatéralement d’en accueillir un million en Allemagne, pendant que les pays d’Europe de l’est refusèrent de se prêter à son jeu.

Résultat : la chancelière est politiquement morte, le parti conservateur eurosceptique PiS remporte les élections en Pologne, une coalition anti-système remporte les élections en Italie, et le Rassemblement National profite de la crise en France.

Comprenant que l’Union Européenne comme les partis politiques modérés jouaient leur survie, le Conseil européen, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron et Angela Merkel, décidèrent de renforcer le contrôle des frontières extérieures, mais en catimini, sans l’assumer. Améliorer très sérieusement Frontex et l’assister d’un contingent militaire aurait fait trop de vagues chez les éditorialistes autorisés et mécontenté certains lobbies. Ils ont donc préféré sous-traiter le travail à la Turquie, en échange de (beaucoup) d’espèces sonnantes et trébuchantes. Six milliards d’euros. Et encore, « Pour chaque Syrien renvoyé vers la Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien est réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne, dans la limite de 72 000 personnes maximum. Si le nombre de retours devait dépasser les chiffres prévus ci-dessus ».

Pour un tel prix, les citoyens européens se seraient attendus à des conditions un peu plus drastiques...

Cependant, la Turquie s’acquitta assez bien de sa tâche jusqu’à ce début d’année 2020, date à laquelle elle s’est retrouvée militairement en difficulté face à la coalition Syrie-Russie. Pour preuve, l’immigration par cette voie a considérablement baissé suite à cet accord.

Sa réaction de chantage était pourtant assez prévisible, un autocrate comme Erdogan n’étant pas de nature à se priver d’user de quelque avantage qu’on a la faiblesse de lui laisser.

Désormais, trois voies s’offrent à nous : accueillir à bras ouverts ceux qui arrivent en Grèce et les répartir dans toute l’Union Européenne ; laisser pourrir la situation en cédant au chantage d’Erdogan et en lui donnant encore plus d’argent pour tenter de l’amadouer temporairement ; ou créer une véritable coopération européenne pour protéger les frontières extérieures de l’Union, s’appuyant sur Frontex, les armées des états-membres, et des corps de citoyens volontaires.

La première option, ce serait à coup sûr la destruction de l’Union Européenne par ses citoyens, qui refusent d’accueillir plus de migrants, et voteraient donc encore plus pour des partis souverainistes et extrémistes aux prochaines élections.

Céder au chantage d’Erdogan est la solution envisagée par la Commission von der Leyen : une rallonge de 500 millions d’euros, qui s’ajoutent aux 6 milliards déjà versés, apaiseront peut-être temporairement le tyran, jusqu’à ce qu’il trouve un nouveau prétexte pour en demander encore plus. Ou pire, nous pourrions devoir céder lorsque nous devrons défendre nos intérêts dans une négociation internationale, par exemple sur les limites territoriales de champs gaziers.

La solidarité européenne se construit progressivement sur le terrain

Heureusement, la troisième solution, une coalition militaire d’états européens et une mobilisation citoyenne en faveur de la défense de nos frontières, est en train de naître grâce à la bonne volonté d’hommes et de femmes défendant concrètement l’Europe.

D’abord, le gouvernement grec du conservateur Kyriakos Mitsotakis mobilise son armée à Lesbos comme à Kastanies (sur le continent) pour contenir les migrants qui tentent de franchir la frontière, et réparer les clôtures de barbelés endommagées. Les valeureux, épaulés par le corps de garde-frontières européen Frontex, doivent faire face dans le même temps à la police et aux soldats anti-émeutes turcs, armés de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Les forces de l’ordre d’Erdogan cherchent en effet par tous les moyens à empêcher la Grèce de repousser les migrants.

Devant cette menace, le gouvernement grec demanda de l’aide à ses homologues européens. Les gouvernements allemand, portugais, hongrois et polonais ont notamment répondu à son appel à l’aide, envoyant plus de 600 garde-frontières ainsi que des véhicules militaires et de police. Euronews rapporte que la population est touchée par cette solidarité européenne : "Ils comprennent maintenant que le problème n’est pas seulement grec, mais européen, dit cet homme, Frontex était déjà là mais maintenant ils sont plus forts, c’était nécessaire aussi pour notre moral, quand vous voyez que vos soi-disant alliés sont réellement vos alliés, c’est important ».

« Cette montée en puissance, ajoute un autre, c’est très positif, parce que les frontières sont européennes, pas seulement grecques, les Européens sont nos partenaires, donc ils devraient envoyer encore des forces ici parce que ce problème des migrations, c’est de plus en plus grave en ce moment. »

La solidarité européenne s’organise aussi grâce à la mobilisation des citoyens. Les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et retraités grecs se sont portés volontaires pour épauler les forces de l’ordre, contribuant à sécuriser la frontière sud-est de l’Union. Un impressionnant cortège de tracteurs s’est notamment déployé pour éclairer la ligne de démarcation, facilitant le travail des policiers, douaniers et militaires mobilisés, permettant ainsi l’arrestation de plusieurs immigrés illégaux. Des associations militantes d’autres pays européens, notamment de Suède, sont aussi venues prêter main forte à leurs compatriotes grecs.

La coopération entre les armées, forces de l’ordre et citoyens volontaires a porté ses fruits, puisque 7000 migrants ont pu être bloqués en 24 heures. En outre, 24 autres ont été arrêtés, principalement afghans ou pakistanais, loin des récits de femmes et d’enfants fuyant la Syrie colportés par les médias audiovisuels.

L’Europe doit protéger ses frontières au lieu de payer la Turquie !

Toute cette énergie citoyenne montre qu’il y a une vraie adhésion à l’idée d’Union Européenne, du moment qu’elle répond aux attentes de ses citoyens, notamment concernant la protection de ses territoires et de ses populations contre des vagues migratoires incontrôlées.

Le respect de l’état de droit impose de refouler les individus qui pénètrent notre territoire sans avoir obtenu un visa en règle. Or, les seuls moyens de Frontex sont nettement insuffisants pour faire face non seulement à une situation de crise comme celle-ci, mais aussi pour protéger les frontières au niveau du sud de l’Espagne et des îles du sud de l’Italie.

Certes, le budget européen, d’à peine 1% du PIB de l’Union, est insuffisant pour y pourvoir, mais les 6 milliards et demi d’euros donnés en pure perte à la Turquie sous l’impulsion de la Commission Juncker, et dont la source de financement n’est pas encore actée, auraient pu être mobilisés pour transformer Frontex en une force de protection des frontières véritablement efficace.

Avec les moyens actuels, la nouvelle Commission pourrait encourager une mobilisation citoyenne dans tous les pays de l’Union pour prêter main forte aux garde-frontières, aux armées et aux forces de l’ordre. L’idée serait de s’inspirer des border patrols américaines, mais en y ajoutant notre idée européenne d’unité dans la diversité. Quelque chose comme Erasmus, financé par les fonds européens et organisé par les institutions, mais qui s’appuie aussi sur le milieu associatif déjà mobilisé pour cette cause. Une mobilisation qui redorerait l’image de l’Europe auprès de ses citoyens.

La gestion de la crise migratoire à la frontière entre la Grèce et la Turquie donne un bon aperçu du dynamisme et de l’esprit civique qui anime les citoyens européens, mais aussi des lacunes dans les arbitrages des institutions européennes.

Cependant, devant l’urgence et l’imminence d’une potentielle catastrophe politique, les gouvernements comme les citoyens ont été capables de se mobiliser pour relever le défi jeté au visage des européens par Erdogan, dans le but de déstabiliser nos démocraties.

Regrettons néanmoins que dans cette crise, l’absence d’un législatif et d’un exécutif européen fort et efficace ait manqué. Pas seulement parce que l’actuelle Commission n’est pas à la hauteur des enjeux, mais surtout parce qu’il manque une constitution fédérale permettant l’élection au suffrage universel direct d’un exécutif fort sur les questions régaliennes, et un Parlement ayant l’initiative législative.

Vos commentaires
  • Le 24 mars 2020 à 06:59, par Mosanus En réponse à : L’Europe face aux migrants à la frontière grecque

    L’auteur ne commente pas l’absence de la France dans cette coopération militaire européenne avec la Grèce. Il semble bien que seuls les Etats d’Europe centrale acceptent d’y participer. Des Etats qui se sont toujours opposés sans équivoque à l’immigration extra-européenne. Il n’est donc pas évident que, comme le souhaite l’auteur, cette action commune soit le signe d’un renouveau de l’Europe.

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