L’Europe, matrice d’une justice climatique internationale

, par Thomas Alvarez

L'Europe, matrice d'une justice climatique internationale
©Christoffer Askman ; Scanpix

L’Accord de Paris de 2015 prévoyait de limiter la hausse de la température mondiale à + 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Pourtant, de plus en plus de scientifiques alertent sur le risque de dépasser les + 2°C d’ici 2050. Certains des scénarii les plus pessimistes prévoient déjà une hausse de + 4°C d’ici 2100. Mais qui sont les responsables de ce réchauffement effréné ? Sont-ils pénalement répréhensibles ? Réponses.

La justice climatique : explications

Actuellement, 90 entreprises sont responsables des deux-tiers des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Dans le même temps, trois pays concentrent la moitié des émissions de gaz à effet de serre sur la planète : la Chine (30,11 %), les États-Unis (11,26 %) et l’Inde (7,81 %). L’Union européenne se place au pied de ce triste podium, avec 6,08 % des émissions polluantes mondiales.

Cette situation pose la question des inégalités face au changement climatique. Le phénomène, qui affecte la totalité de la planète, résulte donc de l’activité d’un nombre d’acteurs limités à l’échelle mondiale.

Face à cette réalité, de nombreux acteurs engagés dans la lutte contre le changement climatique appellent à condamner les entreprises et les États les plus polluants. Selon eux, ces entités doivent être tenues responsables des évènements climatiques extrêmes subis par les populations à l’échelle mondiale, comme les tempêtes, les sécheresses, les inondations ou encore la montée des eaux. Les associations environnementales, comme Greenpeace, dénoncent notamment l’inégalité induite par cette situation, avec un phénomène climatique qui touche surtout les populations les plus pauvres, qui sont pourtant les moins responsables du dérèglement climatique. Ces acteurs souhaitent donc tenir pour juridiquement responsables les entités à l’origine des dégâts humains et environnementaux liés au changement climatique. Pour cela, ils appuient leur argumentation sur les droits humains, en particulier le droit de vivre dans un environnement sain et le droit à la santé. Et divers tribunaux ont fait évoluer la jurisprudence sur le sujet.

Les prémices d’une justice climatique en Europe

La première action juridique concernant des manquements aux engagements climatiques nous vient des [Philippines https://www.amnesty.fr/presse/philippines-la-dcision-historique-de-la-commission]. Dès 2015, un groupe de requérants, mené par Greenpeace, dépose un recours auprès de la Commission des droits de l’homme des Philippines pour réclamer une enquête sur la responsabilité des entreprises liées aux énergies fossiles concernant les changements climatiques. En décembre 2019, la Commission a déclaré que quarante-sept entreprises – dont Lafarge et Total – pouvaient être reconnues responsables de violation des droits humains pour les dommages causés par les dérèglements climatiques. Ce fut la première fois qu’un organisme juridique de protection des droits humains statuait sur le sujet.

Puis trois pays européens marchèrent sur ces pas. Le premier fut les Pays-Bas, avec l’affaire Urgenda, du nom de l’organisation locale de protection de l’environnement. Plus de 800 requérants ont demandé aux juges néerlandais de reconnaître un devoir de diligence climatique qui s’imposerait aux Pays-Bas. Dans une décision de 2015, confirmée par la Cour suprême néerlandaise en 2018, le tribunal de La Haye donne raison aux requérants, en se fondant sur la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans la foulée de cette décision, les Pays-Bas ont été forcés de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici 2020, par rapport aux émissions de 1990.

Le second pays européen à statuer sur ce thème fut la France, à l’occasion de la célèbre « Affaire du siècle ». En février 2021, le tribunal administratif de Paris rend un premier jugement qui reconnaît la responsabilité de l’État dans le dérèglement climatique et juge illégal le non-respect des engagements pris par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pris notamment dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015. La justice a donc ordonné à l’État français de prendre « toutes les mesures utiles » pour réparer, d’ici au 31 décembre 2022, le préjudice écologique causé par le dépassement illégal des budgets carbone entre 2015 et 2018.

Plus tard, l’Allemagne fut condamnée pour des faits similaires. Alors que le pays affichait des objectifs ambitieux de transition écologique, le recours de plus en plus conséquent au charbon et au gaz a entraîné la fureur des mouvements écologistes locaux. Après plusieurs plaintes déposées par diverses associations, le tribunal constitutionnel allemand a conclu, le 29 avril 2021, que les objectifs du Gouvernement en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’étaient pas suffisants et non conformes aux droits humains. La plus haute juridiction a donc demandé aux pouvoirs publics allemands de revoir leur copie climatique, notamment pour préserver l’avenir des jeunes générations.

Les différentes juridictions européennes auront marqué de leur empreinte la jurisprudence concernant la responsabilité climatique. Dans la continuité de ces avancées majeures, des recours similaires se sont multipliés dans d’autres régions du monde, comme en Colombie ou au Pakistan.

Plus récemment, une instance internationale a statué sur le sujet. Par un avis du 21 mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer a indiqué que les États avaient l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de respecter leurs engagements de protection et de préservation du milieu marin. C’était la première fois qu’une juridiction internationale se prononçait sur la lutte contre le changement climatique.

Dès 2010, à l’issue de la Conférence des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre mère en Bolivie, les participants avaient appelé à la création d’un tribunal international de justice climatique et environnementale et à un référendum mondial sur la nécessité d’une déclaration universelle des droits de la Terre mère. Les discussions ont porté sur de nombreux thèmes fondamentaux : la place de l’agriculture et de l’industrie dans le changement climatique, le droit des communautés vivant dans les espaces naturels menacés, la responsabilité des pays riches à l’égard des futurs réfugiés climatiques.

Depuis, 15 années se sont écoulées. Plus d’une décennie plus tard, cette proposition n’a jamais vu le jour. L’Europe a été précurseur sur la responsabilité juridique des entreprises et des États en matière d’émissions polluantes. Dans un contexte de besoin d’affirmation internationale, le Vieux Continent a besoin d’initiatives ambitieuses. La création d’un tribunal climatique international, sur proposition de l’Union européenne, auprès des Nations Unies, serait perçue positivement par les pays du Sud, particulièrement concernés par les conséquences du dérèglement climatique. L’Union européenne affirmerait sa place de puissance internationale engagée pour une cause planétaire et tisserait des liens précieux avec de potentiels futurs alliés, qui connaissent un développement économique important.

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