L’éveil climatique de l’Australie, en pleines négociations avec l’Union européenne, aura-t-il lieu ?

, par Maryse Lhommet

L'éveil climatique de l'Australie, en pleines négociations avec l'Union européenne, aura-t-il lieu ?
Incendies de forêt. Source : Unsplash

L’Australie n’en finit pas de faire parler d’elle. Le pays n’a jamais été aussi proche des Européens que cet hiver lorsque des incendies gigantesques ont ravagé ses forêts. Le Premier ministre australien, Scott Morrisson, a affirmé être convaincu qu’il n’y avait aucun lien entre le réchauffement climatique et la recrudescence des feux de forêts. L’Australie est pourtant connue pour son charbon. Le pays était en 2017 le 4ème producteur mondial de charbon et le 1er exportateur de gaz liquide selon l’Agence Internationale de l’énergie. Alors que les pompiers s’activent à éteindre les foyers d’incendie, la Commission européenne a annoncé vouloir mettre la lutte contre le réchauffement climatique au centre des préoccupations de l’UE. Jusque-là absente du discours politique australien, la lutte contre le réchauffement climatique revient au goût du jour auprès de la population. Les incendies auraient-ils éveillés la conscience climatique des citoyens australiens ? Quel impact cela pourrait-il avoir sur les négociations menées par le pays avec l’UE pour un accord de libre-échange ?

Des relations commerciales fructueuses entre Australiens et Européens

L’UE et l’Australie entretiennent depuis longtemps déjà des relations commerciales. En 2017, leurs échanges commerciaux représentaient un montant de plus de 47,7 milliards d’euros, avec une balance commerciale excédentaire de plus de 21 milliards d’euros en faveur de l’UE. Les négociations pour un futur accord de libre-échange – entendez par là un accord permettant une ouverture réciproque et préférentielle des marchés du pays partenaire – autorisée par les États membres en 2018 n’est pas une surprise.

Mais son objet est une nouveauté car il permettrait un abaissement des tarifs douaniers et une reconnaissance des standards législatifs de l’autre pays. Concrètement, l’accord pourrait accroître les échanges de marchandises entre les deux partenaires de plus d’un tiers, alors que jusqu’ici, la coopération se limitait à des accords bilatéraux de reconnaissance mutuelle de certains certificats techniques qui réduisent les coûts dus aux essais et à la certification existent déjà. Le nouvel accord se heurte malgré tout à la question écologique, enjeu primordial pour l’UE mais jusque-là non reconnu par l’Australie.

Le réchauffement climatique : un sujet qui divise politiciens australiens et européens …

L’Union européenne reconnaît non seulement l’existence du réchauffement climatique mais entend se doter des moyens pour lutter contre cette crise majeure.

L’annonce d’Ursula von der Leyen le 11 décembre 2019 de vouloir faire de l’Union, la première économie neutre au monde d’ici 2050 s’inscrit dans ce sens, tout comme le « Green deal », dévoilé à peine un mois plus tard. La Commission européenne entend ainsi creuser l’écart qui sépare l’Union européenne de la Chine et des États-Unis, les deux principaux pollueurs à l’échelle mondiale et qui restent muets sur le sujet.

A rebours des politiques de l’Union, l’Australie a choisi de produire 74.5% de l’énergie nationale à partir du charbon local, charbon qui produit également les 2/3 de la production électrique. Si le pays s’est engagé dans le cadre de la COP21 à réduire à l’horizon 2030 ses émissions de 26% à 28% par rapport à leur niveau de 2005, ces objectifs ne figurent dans aucune loi australienne. Malcolm Turnbull, membre du parti libéral, et premier ministre avant M Morrisson l’a appris a des dépens car c’est en voulant inscrire ces objectifs dans la loi australienne qu’il a été écarté du pouvoir. Le premier ministre actuel a retenu la leçon, lui qui a affirmé que l’Australie atteindrait les objectifs de la COP21 à condition qu’on l’autorise à inclure les crédits issus du protocole de Kyoto de 1995.

Les premiers ministres australiens ont longtemps nié l’existence du réchauffement climatique. Scott Morrisson n’est pas le premier à réfuter ou à minimiser l’existence du réchauffement climatique et ne sera peut-être pas le dernier. Tony Abbott, au poste de 2013 à 2015, et dont il fut membre de cabinet, a toujours affirmé que « le réchauffement n’était qu’un leurre ».

Scott Morrisson a toujours refusé d’abandonner le recours au charbon comme source énergétique, arguant que le secteur emploie des millions d’individus et que se tourner vers les technologies vertes condamnerait au chômage de nombreux australiens.

Une telle position ne facilitera pas la tâche des négociateurs européens d’autant que ces derniers, selon les termes du mandat donné à la Commission européenne pour négocier l’accord, doivent s’efforcer de préserver un « cadre global et moderne, fondé sur les normes les plus élevées en matière de protection des travailleurs, de sécurité, d’environnement et de protection des consommateurs ».

Vers une reconnaissance du réchauffement climatique en Australie

La succession d’incendies ayant ravagé le pays depuis le mois de septembre 2019 et brûlé plus de 10 millions d’hectares de forêts risque de bouleverser le programme politique du Premier ministre sur ce domaine. Et pour cause, 32 personnes sont décédées dans les incendies. Deux mille maisons ont été détruites et l’état d’urgence a été décrété dans le sud-est du pays, la région la plus peuplée.

Les dégâts sont conséquents : les dommages économiques vont probablement dépasser le record de 4,4 milliards de dollars établi par les incendies du "Black Saturday" (Samedi Noir) de 2009, selon Moody’s Analytics. Les incendies ayant eu lieu pendant la période touristique, beaucoup de touristes ont choisi de modifier leur destination de vacances. Les organismes touristiques affirment que la reconstruction coûtera des centaines de millions de dollars. La production agricole a également été fortement ralentie.

Au début du mois de janvier, l’Insurance Council of Australia affirmait que 8.200 demandes d’indemnisation d’une valeur d’environ 644 millions de dollars avaient été déposées. L’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a déclaré que ces réclamations étaient susceptibles de nuire à la rentabilité des assureurs et d’entraîner des hausses de primes. Enfin, selon Air Visual, site indépendant mesurant la qualité de l’air, Canberra, la capitale du pays, est devenue la ville la plus polluée au monde, enveloppée pendant plusieurs semaines par un nuage de fumées toxiques issue des incendies.

Toutes ces conséquences visibles seront amenées à se répéter selon le Bureau de météorologie et du Csiro (l’organisation australienne pour la recherche scientifique) . L’organisation affirme que le réchauffement climatique augmente d’année en année, le nombre de jours ou le risque d’incendies est élevé et réduit les précipitations en hiver.

Devant l’ampleur des dégâts, le Premier ministre a annoncé la création d’une Bushfire Recovery Agency, une agence qui devra, pendant les deux prochaines années, aider les sinistrés. Cette mesure n’a cependant pas suffi pour rallier les Australiens au climato-scepticisme et aux vertus d’une politique énergétique fondée sur l’exploitation du charbon.

Selon un rapport de l’Institut australien sur le climat de septembre 2019, 81% des 18 à 34 ans interrogés (ils étaient 74% en 2017) se déclaraient inquiets de l’impact du réchauffement climatique contre 67% chez les plus de 65 ans. Plus de 40% des australiens affirmaient que les sécheresses et les inondations étaient concernées par le réchauffement climatique. La majorité des Australiens interrogés voulaient que le gouvernement fasse plus pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

L’avenir nous dira si ces préoccupations trouveront un écho durant les négociations mais il est désormais bien plus compliqué pour le gouvernement australien de les ignorer d’autant que les conséquences seront visibles pendant plusieurs années et pourront se répéter. Il appartiendra à la Commission européenne de saisir cette opportunité pour rappeler avec fermeté les principes censés guider ces négociations, principes désormais pris au sérieux par une majorité d’australiens.

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