Une Europe qui se fait concurrence
L’Europe compte parmi ses rangs les plus gros producteurs d’armement. En 2022, la France avait vendu pour 27 milliards d’euros la plaçant à la troisième place des exportateurs mondiaux d’armement. L’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni se positionnent dans le top 10 avec leurs fleurons industriels.
Toutefois, les pays européens se livrent à une compétition entre eux. Le Grippen suédois de l’entreprise Saab, l’Eurofighter issu du consortium allemand, britannique, espagnol et italien et le Rafale français sont les trois principaux avions de combat européens les plus vendus et utilisés. Le projet SCAF rassemblant la France, l’Allemagne et l’Espagne doit lui-même faire face au projet Tempest des Britanniques rejoints par les Italiens et les…Japonais. Pour les hélicoptères, il existe deux principaux fabricants :la branche spécialisée de l’italien Leonardo et Airbus Hélicoptère. Dans le domaine terrestre, notamment des chars de combat, le Léopard 2 allemand et le Leclerc français se font concurrence.
En plus d’une compétition entre européens, ces derniers doivent prendre en considération les équipements américains. Les entreprises d’outre-Atlantique ont connu de profondes restructurations dans les années 1990 après la chute de l’URSS. Les différentes fusions-acquisitions et stratégies commerciales ont donné naissance à des géants disposant de moyens colossaux. Le F-35 de Lockheed Martin est le concurrent féroce en raison de son interopérabilité pour les armées de l’OTAN. Récemment, c’est la Roumanie et la République Thchéque qui ont signalé leurs intérêts. Déjà en 2022, l’Allemagne avait choisi l’avion américain, suivant l’exemple de la Finlande de 2021 et bien d’autres pays auparavant (Danemark, Pays-Bas…). Enfin, alors qu’un système anti-missile existe déjà, le SAMP/T « Mamba » développé par la France et l’Italie, l’Allemagne a annoncé en octobre 2022 le lancement d’un projet de bouclier antimissile européen avec l’European Sky Shield. Il rassemblerait dix-sept pays de l’UE en collaboration avec Israël et les… Etats-Unis.
Quelles perspectives ?
Les pays européens sont attachés à leurs fleurons industriels de l’armement. Outil de puissance et d’influence, ils sont gages de souveraineté et de protection dans un continent qui a vu le retour de la guerre en février 2022. De plus, les exportations nationales d’armement sont essentielles pour la sauvegarde des Bases Industrielles et Technologiques de Défense des pays producteurs.Toutefois, l’Europe s’est dotée d’institutions et d’agences chargées d’assurer la coopération entre les industriels. L’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) coordonne des programmes d’armement entre pays européens. De son côté l’Union européenne a donné naissance à l’Agence Européenne de la Défense (AED) qui soutient les efforts des projets de la défense européenne. Ces deux organismes contribuent au développement de l’Eurodrone qui doit fournir les armées de l’air française, italienne, allemande et espagnole à sa mise en service en 2028. Enfin, le Fonds Européen de la Défense (FED) soutient les projets transnationaux rassemblant trois industriels issus de trois pays différents. Il est doté d’un budget de 8 milliards d’euros.
Les pays européens ont su autrefois combiner leurs forces. L’Eurofighter reste une alliance entre quatre pays du continent comme le Panavia Tornado qui a rassemblé les Allemands, les Britanniques et les Italiens. La réussite d’Airbus a donné naissance à Airbus Defense & Space et Airbus helicopters. Créé en 2001 par l’européen Airbus, le britannique BAE systems et l’italien Leonardo, le missilier MBDA est le deuxième de son secteur en termes de chiffre d’affaires.
Par ailleurs, les politiques d’exportation peuvent aussi impacter la création d’une industrie d’armement européenne. Le parlement néerlandais avait notamment refusé en 2013 de vendre ses Leopard 2 à l’Indonésie en raison d’une crainte de leur utilisation pour réprimer les minorités ethniques et religieuses. C’est alors l’Allemagne qui avait rempli le besoin de l’armée indonésienne. Pourtant, le gouvernement allemand bloque la possible exportation d’Eurofighter à l’Arabie Saoudite en raison du non-respect de certains des Droits de l’Homme alors que le Royaume-Uni a donné son accord. En conséquence, les Saoudiens se sont rapprochés des Français au sujet des Rafales.
Plus largement, la création d’une industrie de la défense européenne relève d’une stratégie européenne à long terme en lien avec le partage des compétences, le secret industriel et l’ambition géopolitique. Le couple franco-allemand tente de montrer l’exemple avec le projet SCAF mais aussi de celui de char de combat du futur MGCS (Main Ground Combat System) mais la vision française d’une autonomie stratégique européenne se heurte à la vision atlantiste et otanienne de l’Allemagne pour assurer la sécurité et la défense du continent.
La création d’une industrie de défense européenne relève non pas d’une simple coopération industrielle mais d’un projet politique dont les contours sont encore impossibles à dessiner aujourd’hui.
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