L’invitation alarmiste de Jean-Claude Juncker à l’unité européenne

, par Eloïse Ryon

L'invitation alarmiste de Jean-Claude Juncker à l'unité européenne
Jean-Claude Juncker a prononcé son dernier discours sur l’Etat de l’Union devant les députés européens, le 12 septembre 2018. Photo : © European Union 2018 - Source : EP - Fred MARVAUX

Mercredi 12 septembre 2018, au Parlement européen de Strasbourg, Jean-Claude Juncker s’est adressé pour la dernière fois aux députés européens sur l’État de l’Union. En effet, en marge des élections européennes de 2019, la Commission se prépare à céder sa place. Mais comme le rappelle Jean-Claude Juncker « La commission actuelle, comme ses prédécesseurs, n’est qu’un épisode, un bref moment dans la longue histoire de l’Union européenne ».

Bien que l’heure de passer le relais se rapproche, la Commission actuelle sous la présidence de Jean-Claude Juncker, est décidée à ne pas perdre une seconde. En effet, le discours du président de la Commission européenne était un discours tourné vers l’avenir : « Il reste des choses à faire » a-t-il déclaré. La taxation des Géants d’internet à l’endroit où ils génèrent leurs bénéfices, une réglementation stricte du plastique à usage unique, l’abolition du changement d’heure, la création d’un agenda global en matière de migration, l’obligation de supprimer les contenus terroristes sur internet en moins d’une heure, l’élargissement du mandat du parquet européen, ainsi que la création d’un mécanisme européen de solidarité civile renforcée, sont des propositions de la Commission qui seront soumises au Parlement et au Conseil bien avant la fin de son mandat. Un activisme de la Commission qui devrait être salué.

Une Union garante de la paix

Dans son allocution, le Président de la Commission a tenu à rappeler au travers d’une référence à la catastrophe de la Première Guerre mondiale, que l’Union européenne est garante de paix. De ce fait, nous, européens et états membres, avons une « obligation de vigilance » envers le développement de l’Union. Nous serons responsables des conséquences d’une implosion de l’Union, des conséquences qui ne pourraient être que dramatiques en vue de l’Histoire de l’Europe divisée du dernier siècle. « Nous devons mieux respecter l’Union européenne » et se rappeler que son objectif primaire est la paix, la construction d’une paix durable nécessaire à la stabilité d’un continent. Jean-Claude Juncker n’a d’ailleurs pas hésité à parler de patriotisme. Pour lui, le patriotisme du XXIème siècle est à double dimension : national et européen. Un idéal qui n’est pourtant toujours pas en vigueur au sein de l’Union.

La création d’une société et d’une identité européenne reste une considérable faille à laquelle l’Union doit faire face. Comment susciter un sentiment d’appartenance à l’Union européenne tout en respectant la citoyenneté nationale ? Une question redondante, mais que personne n’a, à ce jour, réussi à résoudre. Le nationalisme, auparavant, s’est empressé de se nourrir des divisions européennes afin de devenir une norme à laquelle de nombreux pays on dût faire face. En France, en Autriche, Hongrie, Pologne, Italie et même en Suède, les partis politiques extrémistes ont développé leurs ascensions au sein de la société en détruisant les valeurs fondamentales de l’Union européenne et en suscitant la méfiance, et l’intolérance. Comme l’a déclaré Jean-Claude Juncker, « Oui au patriotisme qui n’est pas dirigé contre les autres, non au nationalisme surfait … qui détruit et cherche des coupables » : malheureusement, si la classe politique européenne et surtout les gouvernements se revendiquant pro-européens comme la France, l’Allemagne, l’Espagne ou encore l’Estonie, ne prennent pas cette menace au sérieux et ne revendiquent pas leur amour et ambition envers l’Union européenne, cette Union sera difficile à maintenir.

L’unité, condition fondamentale à la prospérité du continent européen

Le même jour de l’allocution sur l’État de l’Union, le Parlement a voté en faveur de l’activation de l’article 7 du Traité de l’Union européenne envers la Hongrie. Surnommée « l’arme nucléaire », cette procédure vise à sanctionner les états qui ne respectent pas les valeurs de l’Union. Peut-on dire que cette initiative de la communauté européenne envers la Hongrie, mais aussi envers la Pologne, est une représentation de l’unité européenne ? Probablement pas, mais elle est au moins la représentation de l’activisme européen visant à ne pas laisser des états de l’Union européenne se marginaliser et justement contrevenir à l’unicité de l’Union. Choisir entre le bâton et la carotte en tant que manière de faire bouger les choses n’est pas facile, sauf quand on a déjà usé une option : ce qui est le cas pour la Hongrie et la Pologne qui bénéficient d’aides européennes au développement et en matière d’investissement considérables et qui étaient censées être les outils de garantie d’une certaine unité non seulement au sens économique en matière de libre circulation des personnes, biens, services et capitaux mais aussi en matière de valeurs européennes.

Il est cependant important de rappeler, comme l’a déploré le président de la Commission, que la division Ouest/Est en Europe est encore bien trop présente. Ceci est d’ailleurs un des points regrettés par le Jean-Claude Juncker, le regret que l’Union européenne n’ait pas réussi à diminuer cette division, qui au contraire, semble de plus en plus forte aujourd’hui comme le démontre la mise en œuvre de l’article 7. Cette constatation remet en cause l’efficacité d’une potentielle Union à plusieurs vitesses, proposée notamment par le président de la République française Emmanuel Macron.

Bien que l’Union puisse déjà être identifiée comme à plusieurs vitesses, une accentuation de cet état de fait ne peut pas être certifiée comme étant ce qu’il y a de mieux pour l’Union, comme le Brexit peut en faire le constat. Est-il préférable d’avancer doucement tous ensemble, et de risquer une insurrection populaire du fait de la lenteur et de l’inefficacité de l’action européenne ? Ou est-il plus sage de constater les divisions qui règnent au sein de l’Union et engager cette Union dans un élan à plusieurs vitesses, en risquant d’accentuer ces divisions ? Il est aussi important de noter que le repli nationaliste constaté en Hongrie provient notamment de l’ingérence européenne en matière d’immigration, une ingérence qui a conduit la Hongrie à subir un flux migratoire important provenant de « la route des Balkans » et qui a participé à la résurrection d’un nationalisme dangereux, ainsi que des anciennes valeurs refoulées. Une remise en cause globale est aussi nécessaire.

Le futur de l’Union, au travers d’une élection européenne réussie

« L’Union européenne est trop petite pour être divisée » a déclaré Jean-Claude Juncker en amont de son discours sur l’élection européenne de 2019. Le président de la Commission a pour ambition que cette élection soit une réussite pour la démocratie européenne. C’est pourquoi la liberté, transparence et sécurité de ces élections devront être assurées. Afin de prévenir les interférences mais aussi afin de mobiliser les électeurs, un élan européen un sein des Etats membres est nécessaire. Bien que son soutien aux listes transnationales ne fût pas concrétisé cette année, l’élection européenne de 2019 sera un tournant dans l’Histoire de l’Union européenne. Chaque citoyen de l’Union européenne, en tant que citoyen européen, a le devoir d’aller voter afin de forger l’Union en une démocratie pleine et vivante. Mais comment susciter l’adhésion et l’intérêt de la population européenne ? Peut-on vraiment parler d’une citoyenneté européenne ? Les prochaines élections seront une vraie indication de l’état d’esprit de citoyens. Il est donc de notre devoir de se mobiliser, et d’agir afin que l’Union européenne soit une vraie démocratie au lieu de se plaindre qu’elle soit trop éloignée de la population et de ses attentes. « Nous serons tous responsables de ce que l’Europe sera » a déclaré Jean-Claude Juncker en fin de discours. Nous « tous », citoyens, députés, membres du gouvernement, associations et ONGs ont le pouvoir et le devoir d’exprimer notre vision de l’Europe. Ne laissons pas d’autres personnes décider pour nous. Il en est d’autant plus important que le président du Parlement européen a lui aussi manifester son ambition pour un Parlement plus fort, doté du pouvoir d’initiative législative.

Pour finir, même si ses positions ont été parfois décriées et critiquées, et bien qu’il soit dommage que l’environnement n’a été que mentionné dans son allocution sur l’État de l’Union, il est important de rendre hommage à l’action continue de la Commission Juncker pour la construction européenne. Son engagement et son ambition pour l’Europe nous font croire en sa promesse de continuer son action. « Ce n’est pas mon dernier discours, mais seulement mon dernier discours de l’État de l’Union » a déclaré Jean-Claude Juncker. Nous avons besoin de plus de personnes avec cette dextérité et discipline afin de faire de l’Union européenne, celle que ses instigateurs originels avaient envisagée.

Dessin de presse : Camille Geneau.

Toutes les citations de cet article sont issues du Discours sur l’Etat de l’Union 2018.

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