Le retour des tensions
De manière extrêmement violente et brutale, les plaies que le pays avait mis tant de peines à panser se sont soudainement rouvertes ; le sang qui a coulé réveille les fantômes d’un passé rythmé par la peur, la haine, la violence, et la mort. L’assassinat du tueur à gages Kevin McGuigan a mené les enquêteurs à conclure que l’IRA existe encore et que tous ses membres n’ont pas rendu les armes.
Cette déclaration officielle du chef de la police nord-irlandaise, Georges Hamilton, a provoqué la chute du gouvernement de Belfast, les partis de gouvernement protestants ayant rompu avec les formations catholiques qui dirigeaient le pays avec eux dans le dessein de garantir son unité religieuse. À la suite des accords du Vendredi Saint, protestants et catholiques ont eu pour tradition de partager le pouvoir en vue de dépasser les clivages confessionnels et de ne plus les laisser diviser le pays. Aussi, le poste de Premier ministre revenait-il à un protestant de l’UUP ou du DUP, et celui de vice-premier ministre à un catholique du Sinn Féin ou du parti social-démocrate.
Hélas, la victime du récent homicide semble avoir travaillé pour la branche la plus violente de l’IRA qui avait abandonné le terrorisme après la fin des combats pour se reconvertir dans le crime organisé en général et dans le trafic d’armes en particulier. Leurs activités et les différents règlements de compte qu’elle auraient provoqués auraient causé la mort d’une quarantaine de personnes. Robert McGuigan aurait abattu une partie de ces personnes avant de se retourner contre son associé. Il aurait prévu de réserver le même sort à ses employeurs, mais ceux-ci l’auraient précédé en l’éliminant les premiers.
Ce macabre fait divers a mis dans l’embarras le Sinn Féin, principal parti catholique et ancienne branche de l’IRA ayant décidé de déposer les armes et de continuer le combat dans les urnes. Bobby Storey, un de ses cadres, aurait été impliqué dans l’affaire McGuigan. Le Premier ministre, Peter Robinson, a voulu que l’assemblée ajourne ses travaux, mais n’a pas obtenu la majorité suffisante à cet effet. L’alternative était que Londres suspende les institutions politiques d’Irlande du Nord le temps des pourparlers de crise, mais la capitale anglaise a refusé, forçant le gouvernement à la démission.
Cette crise institutionnelle montre que l’unité recouvrée depuis plus de quinze ans n’a jamais conquis la population d’Irlande du Nord. La frontière séculaire entre catholiques et protestants demeure plus ancrée que jamais au plus profond des mentalités et les communautés religieuses vivent séparées, parfois par des murs. Les blessures engendrées par la guerre demeurent très profondes. Les rancoeurs sont loin d’avoir disparues. Contenues le plus souvent pour éviter de nouvelles violences, elles ont plusieurs fois resurgi, notamment à travers les accusations d’anciens membres terroristes, catholiques ou protestants, envers les signataires des accords de paix.
L’augmentation du nombre de catholiques en Irlande du Nord a aussi provoqué un sentiment de rejet auprès des communautés protestantes les plus pauvres. Des émeutes ont même eu lieu à Belfast après la décision de la municipalité de retirer le drapeau d’Union Jack de son fronton.
La nécessité du projet européen pour une réconciliation durable
L’Irlande du Nord a besoin d’un mouvement de réconciliation nationale qui unisse catholiques et protestants autour d’un projet commun qui dépasse les clivages religieux. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’idéal européen a uni les peuples d’Europe autour d’une œuvre commune : la reconstruction du vieux continent. La construction européenne a permis la pacification d’anciens ennemis qui se guerroyaient depuis plusieurs siècles. L’Irlande du Nord est l’occasion pour l’Union européenne de démontrer qu’elle est également un vecteur d’unité nationale à l’heure où, dans plusieurs pays européens, l’intégrité territoriale est remise en cause par un repli sur soi, et par les égoïsmes économiques et politiques.
En prononçant un discours d’excuses pour la tragédie du Bloody Sunday survenue le 30 janvier 1972, et en reconnaissant la responsabilité de l’armée britannique dans la tuerie, David Cameron s’est comporté (pour une fois) comme un grand défenseur des valeurs européennes de paix et d’unité. Comme quand les peuples européens ont reconnu leurs erreurs respectives au moment où ils ont décidé d’unir leurs forces, ainsi les Britanniques ont progressivement reconnu leurs abus, notamment les arrestations, détentions sans jugements, et autres violences exercées à l’encontre de nombreux catholiques présumés terroristes dont la seule « faute » avait été de militer pour le rattachement de l’Irlande du Nord à la République d’Irlande.
Les Irlandais du Nord doivent désormais se coaliser autour d’un destin commun, pour leur région, pour l’Irlande dans son ensemble, pour la Grande-Bretagne, et pour l’Europe.
Hélas, les partis au pouvoir dans le dernier gouvernement de Peter Robinson sont, pour la plupart indifférents à l’Europe, quand ils ne sont pas farouchement eurosceptiques, notamment les partis protestants, qui suivent la ligne dure des Tories. Si le seul parti transreligieux de gouvernement, le parti pour l’alliance en Irlande du Nord (ou l’Alliance Party of Northern Ireland en anglais) se disait jadis pro-européen, les deux formations qui, aujourd’hui, revendiquent leur attachement à l’Union européenne, le parti vert et le NI21 (parti d’origine protestante, mais qui se veut transcommunautaire), n’ont chacun qu’un siège à l’assemblée. Qui plus est, la crise gouvernementale actuelle n’augure pas une amélioration de la situation sur le court terme.
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