Ces trois femmes et leur leader Svetlana Tikhanovskaya, professeur d’anglais et femme au foyer, font trembler le dernier dictateur d’Europe, Alexandr Loukachenko. Président de la Biélorussie depuis 25 ans, il s’accroche encore au pouvoir malgré le rejet de son peuple et les multiples sanctions imposées par l’Union européenne.
Déchirant. Il n’y a pas d’autre mot qui puisse décrire ce qu’il se passe en Biélorussie : une femme qui n’avait rien fait, disparait. Déchirant que Maria soit privée de sa liberté pour avoir défendu son pays. Déchirant de découvrir que les droits humains ont cessé d’être une question de dignité et soient devenus une cause pour laquelle il faille se battre.
“Nous savons tous de quoi est capable un Etat policier” disait Maria Kolesnikova, leader de campagne de Svetlana Tikhanovskaya au micro de la BBC, le 7 septembre 2020.
Depuis 1994, Loukachenko n’a pas quitté son poste, ayant ainsi l’une des présidences les plus longues du monde. Au cours du temps, les droits civiques ont reculé, la figure présidentielle a pris les rênes du pays et s’est imposée dans un autoritarisme basé sur la censure, la terreur, la persécution politique et la lente destruction de la démocratie.
“Ma position et l’Etat ne me permettront jamais d’être un dictateur…. Mais gouverner de manière autoritaire est une de mes caractéristiques et je l’ai toujours admis” disait Aleksandr Loukachenko à la BBC en 2003.
Ses idéaux égoïstes sont devenus évidents lors de la première réforme constitutionnelle de 1995. Parmi d’autres changements liés aux symboles de la patrie, elle prévoyait la dissolution du Parlement et la consécration du président comme figure souveraine aux pleins pouvoirs. En résumé, Loukachenko, voulait s’approprier la branche législative, l’institution chargée de la création des lois et de tout ce qui ne lui permettait pas d’être un dictateur à part entière. Il est important de préciser que le Parlement ne serait dissous que s’il commettait une violation systématique des lois (El País, 1995). Assez ironique, étant donné le nombre de fois où Loukachenko a piétiné la Constitution qui lui a pourtant été nécessaire pour rester au pouvoir.
Tout comme Vladimir Poutine dont il était proche et qui a lui aussi a des prétentions dictatoriales, Loukachenko, a maintenu son pays dans l’ombre de l’Union soviétique par des coutumes, mesures et des lois similaires qui l’ont aidé à sortir de la crise économique dans laquelle la plupart des anciens États soviétiques étaient restés coincés. L’implantation de tactiques socialistes telle que la nationalisation de banques privées ont sorti la Biélorussie de l’impasse économique des années 1990. Cependant, s’il est vrai que Loukachenko a surpris le monde par sa ténacité et que la Biélorussie lui doit les accomplissements de ses 20 dernières années, son gouvernement que l’on pouvait autrefois qualifié de socialiste, s’est transformé avec le temps, en une prise du pouvoir forcée, violant la démocratie et les droits de l’homme de son propre peuple. L’un des exemples les plus parlant est la peine de mort qui y est encore pratiquée, généralement en secret, sans que l’on ne puisse connaitre les motifs ou le lieu des exécutions.
Le cri de protestation biélorusse ne peut être décrit que par un seul sentiment : la lassitude. Les biélorusses sont fatigués de suivre un leader extrémiste, un dinosaure de l’époque des guerres. Ils sont fatigués de ne plus pouvoir écrire ou parler librement, de constater, impuissants, comment Loukachenko vieillit dans le Palais de la République après avoir truqué encore une fois les résultats des élections. Parler, hausser ne serait-ce qu’un peu le ton et devenir un opposant, c’est prendre des risques et ils le savent. En Biélorussie, la liberté est née pour être emprisonnée.
Les pourcentages des résultats aux élections présidentielles du 9 août ne concordent pas avec ce que l’on voit dans les rues. Comment Aleksandr Loukachenko a-t-il pu remporter les élections avec 80% des voix alors que 250.000 personnes ont manifesté contre son gouvernement à Minsk, la capitale ? La principale demande des manifestants est la mise en place de nouvelles élections sans triche. Ils considèrent que Loukachenko a modifié les résultats et que la véritable gagnante des élections est Svetlana Tikhanovskaya, la professeure d’anglais mentionnée plus tôt.
La politisation des femmes dans une dictature patriarcale et machiste
“Ce qui fait que l’initiative de ces trois femmes est encore plus remarquable c’est la nature patriarcale de la politique biélorusse”, a déclaré Yana Lyushnevskaya, analyste pour BBC Monitoring.
Comment une femme sans expérience politique en arrive-t-elle à se présenter contre Aleksadr Loukachenko aux élections présidentielles ? Cela ne peut survenir qu’une fois l’opposition formelle éradiquée.
La candidature de Svetlana Tikhanovskaya aux présidentielles dans un pays dirigé pendant 25 ans par un dictateur est inédite. C’est un admirable défi. Toutefois, derrière son courage et son succès auprès du peuple biélorusse, se cache une réalité inquiétante : en Biélorussie, la majeure partie de l’opposition est exilée ou en prison. Les soutiens de Svetlana se résument à deux femmes, trois politiciens tombés en disgrâce et 250 000 personnes. Le dernier chiffre semble agrandir l’alliance n’est-ce pas ? La vérité c’est que l’armée comme les élites mangent dans la main d’ Alexander Loukachenko. Tandis que la première contrôle les foules, les seconds les manipulent. Face aux deux forces les plus influentes d’une société, la violence et l’argent, la défense pacifiste de Svetlana ne permet pas de pronostique encourageant.
Bien sûr, elle n’en reste pas moins importante. Elle représente la force d’une société inflexible, disposée à politiser ses mères, cheffes de famille et à les faire accéder à la présidence. Sachant qu’Aleksandr Loukachenko est l’exemple parfait de l’homme arriéré, son pire cauchemar doit être de laisser sa chère Biélorussie aux mains d’une femme. Surtout alors qu’il les a réduites à leurs fonctions procréatrices. Ce qui pourtant va à l’encontre de son passé d’enfant élevé par une mère célibataire dans un village modeste de l’est de la Biélorussie. (BBC,2020).
“Une femme présidente colapsorait, la pauvre (...) La Biélorussie n’a pas suffisament murit pour voter pour une femme" (El país, 2020). C’est ce qu’a déclaré Aleksandr Loukachenko avant que les couleurs de l’opposition, le rouge et le blanc, ne prennent d’assault les rues, guidées par des femmes et ne démontrent que du haut de ses 65 ans, c’était lui qui était trop égocentrique, trop orguelleux et trop imature pour accepter le leadership d’une femme. Le 16 août, la Biélorussie lui a fait comprendre qu’elle avait évolué en silence, qu’elle avait suffisamment murît pour suivre une femme dans les rues. Là était la véritable Biélorussie, une nation inclusive, féministe et qui ne lui appartenait pas.
L’influence de Svetlana n’a pas été évidente au départ mais elle a reçu le soutien des leaders de l’opposition qui eux aussi avaient été privés de leur liberté. Ils l’ont aidé à devenir le visage officiel de l’opposition. Les supporters de son mari Serguey -qui avait candidaté aux présidentielles mais qui est désormais en prison- ont encouragé sa campagne pour qu’elle entre dans la cour des grands.
C’est peut être parce qu’il s’est rendu compte que la Biélorussie avait choisi une femme bien avant les élections, que Loukachenko a saboté ses événements de campagnes et fait arrêter ses conseillères politiques à plusieurs reprises. Ainsi, Maria Moroz et Maria Kolesnikova ont été retenues au commissariat pendant des jours, puis libérées sous prétexte qu’elles avaient été détenues par erreur (France24, 2020)
Au sommet de sa candidature, quand il ne s’agissait pas simplement de Svetlana mais de sino Svetlana, Veronika y Maria, les femmes biélorusses constituaient une armée essentielle que l’on voyait se lever dans les villes et les villages comme autant de preuves de la gentillesse de Svetlana et de l’importance de son message pacifique et honnête. Pourtant, elles témoignaient aussi d’un fait ridicule : la femme biélorusse bien qu’elle représente la majorité de la population, est diminuée politiquement et séparée d’une équité professionnelle et économique avec les hommes par un écart de 74.5% .(Datos.macro, 2018)
Le rôle transcendantal des hommes dans le positionnement d’une femme présidente
Le seul facteur commun qu’ont Valery Tsepkalo, Sergueï Tiphanovsky y Victor Barbariko, en dehors du fait d’être éloignés de leurs familles et privés de leur liberté, est qu’ils ont tous les trois été candidats aux présidentielles en tant qu’opposants à Aleksandr Loukachenko.
Sergueï Tikhanovsky est le mari de Svetlana. Récemment considéré par Amnesty International comme prisonnier politique, il s’est fait connaître grâce à sa chaîne Youtube dont la traduction est Unpayspourlavie. Il y renseignait les progrès de ses abonnés à travers la Biélorussie et discutait avec eux des problèmes touchant leur région ou le pays. Son intérêt pour la citoyenneté lui a valu le soutien de beaucoup de personnes et sa chaîne a atteint plusieurs milliers d’abonnés avec le temps.
Ce sont ses abonnés qui l’ont poussé à se présenter pour les présidentielles. Au moment où il annoncé sa candidature, sa chaîne comptait 243.000 abonnés. Elle était connue pour critiquer fortement le gouvernement de Loukachenko et inciter à la mobilisation civile. Dans plusieurs vidéos, on pouvait déjà voir que Sergueï était suivi par un groupe de voitures des services secrets biélorusses.(Unpayspourlavie,2020).
La première arrestation de Tickanovsky a eu lieu le 9 mai lors de l’anti-défilé de Babruish (aussi appelé la manifestation Babruish). Cet événement dont il était l’initiateur, visait à exprimer son désaccord avec un autre défilé ayant lieu le même jour et célébrant la victoire de l’Union soviétique face à l’Allemagne nazie.
Tickanovsky a été libéré le 20 mai 2020. Depuis, son épouse Svetlana a pris les rênes de la campagne. Mais, neuf jours après sa libération, alors que Sergueï récoltait des signatures pour que Svetlana puisse déposer sa candidature, il est détenu une seconde et dernière fois.
La détention du “blogueur” est suivie par celle de deux autres opposants, qui par leur pouvoir et réputation, se croyaient intouchables. Mais Loukachenko n’a pas de limite lorsqu’il s’agit d’écourter les carrières politiques de ses opposants. Victor Babariko, en était justement un. Ce banquier allait de pair avec un troisième candidat, Valery Tsepkalo, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et au Mexique et, surtout, propriétaire du centre de technologie et communication le plus prometteur de Biélorussie. Ensemble, ils avaient réuni , tout comme Svetlana, les 100.000 signatures nécessaires pour accéder à une candidature aux élections présidentielles.
Le magazine EF-Europa (2020) explique comment Loukachenko a muselé l’opposition afin d’empêcher son entrée officielle dans les élections du 9 août. Babariko et Tsepkalo, deux candidats ayant respectivement enregistré 335.000 et 180.000 signatures ont été très surpris lorsqu’ils ont été soudainement rejetés pour avoir prétendument perdu un total de 330.000 signatures. Une excuse farfelue pour qu’ils ne puissent pas accéder aux élections.
La volonté d’Aleksandr Loukachenko derrière cette farce électorale était si évidente qu’en réaction une manifestation regroupant 2000 personnes a été organisée à Minsk. Les manifestants réclamaient plus de transparence dans les processus électoraux. Et parmi eux, deux cent ont été détenus et cent ont été blessés par la police.
Viktor Babariko et son fils ont été accusés de corruption et arrêtés un jour avant la clôture pour l’enregistrement de signatures. Mais le candidat ne s’est pas rendu et a laissé sa place à Maria Kolesnikova, qui reçut l’ordre de s’unir à la seule femme opposantes.
Valery Tsepkalo, l’autre candidat, a fui à Moscou avec ses deux fils après avoir appris qu’il allait également être arrêté. Désormais seule dans son pays et chargée d’une campagne présidentielle, sa femme Veronika, décida de s’unir à la campagne de Svetlana.
Grâce à l’oppression d’Aleksander Loukachenko, ce qui avait pour habitude d’être une opposition purement masculine, finit par être dirigée par un trio féminin : Svetlana, professeure d’anglais, Maria, directrice d’orchestre et Veronika, employée chez Microsoft. Tout cela, combiné à l’union des supporters de Viktor Babariko, Sergueï Tikhanovsky et Valery Tsepkalo pour la campagne de Svetlana, a conduit à ce que le président devienne la véritable opposition dans son propre pays puisque la majorité des habitants désavoue son mandat.
Le sacrifice de l’Etat biélorusse pour l’orgueil d’un machiste
Un mois après les élections présidentielles et la victoire de Loukachenko, Minsk continuait de protester dans les rues et de demander de nouvelles élections, tout en criant “¡Svetia ! ¡Svetia !”, le surnom de Svetlana. Maintenant que Veronika et elle ont été chassé du pays par la pression des autorités, Maria incarne le dernier bastion de l’ "opposition" biélorusse (Skynews, 2020) En juillet 2021, la Biélorussie a fait un pas de géant qui a brisé la frontière ténue entre la confiance de Loukachenko et la terreur. Le secteur de la production, les grandes usines qui étaient autrefois fidèles au régime, ont soutenu les manifestations antigouvernementales. Un ultimatum auquel Loukachenko s’est empressé de répondre, demandant à Poutine de l’aider à contrôler son propre pays.
Une amitié intéressée. La Biélorussie a été le terrain de jeu de la reine mère russe depuis la création de l’Etat d’Union, une alliance politico-culturelle qui l’a soumise à la volonté de Poutine à partir du 2 avril 1997, la convertissant en rempart contre l’Union Européenne. On pourrait penser que les deux nations s’entendent bien puisqu’elles sont hostiles à l’Occident mais l’hypocrisie de Loukachenko remet en question l’État de l’Union. Ces deux dernières années, la Biélorussie a suffisamment amélioré la qualité de ses relations avec l’Union européenne pour être débarrassée de certaines sanctions commerciales imposées en réaction à la censure de l’opposition et au manque de liberté d’expression. Ainsi, Poutine a pu constater que l’unique membre de son union s’est fait des amis parmi les membres de l’Union ennemie. Pour résumer, Loukachenko est cet ami intéressé qui se tourne vers Poutine uniquement quand il a besoin de lui.
La présence de forces militaires russes en Biélorussie signe désormais la fin de toute liberté et marque le début de l’impérialisme. Depuis 2020, les manifestations se sont multipliées en raison d’une volonté supposée de Poutine de faire de la Biélorussie une colonie russe (BBC,2019). C’est en ouvrant la porte à l’armée russe, en la préférant à son propre peuple qu’il condamne pour avoir usé de sa liberté d’expression et qu’il expulse en dehors des frontières comme le démontrent Svetlana, Veronika et son mari Valery, que Loukachenko facilite la tâche de Poutine. C’est de cette manière que Loukachenko mènera la nation qui l’encourageait il y a 20 ans, à sa perte.
Par pur orgueil, Aleksandr Loukachenko a préféré donner la Biélorussie à un autre dictateur qu’à une femme.
Comme Svetlana l’a mentionné lors d’une interview accordée à la BBC depuis son lieu d’exil, après qu’Aleksandr Loukachenko cède le pouvoir à d’autres branches de l’Etat, la Biélorussie atteignit un point de non retour et ne baissa la garde devant aucune promesse malhonnête. C’est ce qui motive le boycott massif. La Biélorussie ne laissera pas l’histoire se répéter. Il n’y a qu’une fin possible à cette lutte et elle implique la capitulation de Loukachenko.
Quiconque affronte le soulèvement biélorusse, s’oppose au pays entier : les personnes âgées ayant vécu dans l’ombre du régime, les jeunes qui refusent de vivre de la même manière et les mères qui veillent à ce que leurs enfants ne subissent pas le même sort. Le Biélorusse qui réprime les manifestations noie la liberté de son propre sang et de sa propre famille, de sa propre identité et de son passé, et sera alors dénué de toute humanité.
C’est pourquoi Poutine et ses forces militaires étrangères. Parce qu’un peuple ne peut pas s’enterrer lui-même.
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