Comme si cela ne suffisait pas, l’UE a voulu étendre ses idéaux de paix et de commerce par la politique européenne de voisinage (PEV). Son rôle est d’envoyer des fonds, de contribuer à la construction d’infrastructures et de fournir une aide technique aux pays limitrophes de l’UE, comme la région du Caucase du Sud ou la rive sud de la Méditerranée. Réduire les profits de la guerre en créant des liens pour que la paix vaille la peine d’être défendue. Super ! Quel est donc le problème ?
L’UE ne peut sauver l’Ukraine
Le problème est que, si l’UE contribue effectivement à préserver la paix au sein de ses États membres, elle ne peut empêcher la spirale de la violence à ses portes. Examinons les conflits précédents qu’elle n’a pas pu arrêter. La guerre du Nagorno-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, par exemple, dure depuis 1988, et est toujours d’actualité avec des escarmouches régulières en 2021. L’UE est censée être très active dans la région avec le partenariat oriental issu de la PEV, sa proximité avec la Géorgie et le simple fait que l’un de ses membres, la France, fasse partie du groupe de médiation international de l’OSCE : le groupe de Minsk. Mais avait-elle pu empêcher une rechute de la violence en 2020 ? Non, la guerre a eu lieu. Les guerres de Yougoslavie en sont un autre exemple, malheureusement. De 1991 à 2001, la violence fit rage dans la région, et l’OTAN a finalement jugé nécessaire d’intervenir. En 1991, l’influence de l’UE ne cessait de croître, avec l’Europe de l’Est tournant le dos à Moscou pour se tourner vers le soleil couchant. L’UE a-t-elle pu prévenir ou arrêter la guerre dans les Balkans ? Non, la guerre a eu lieu.
Nous pourrions citer la Transnistrie, la guerre civile libyenne, la guerre du Sahara occidental, les nombreux conflits dans la région du Levant, l’incursion russe en Géorgie... La liste s’allonge au fil des ans. L’annexion de la Crimée et le conflit dans la région du Donbass n’ont été que des preuves supplémentaires en ce que l’UE ne peut tout simplement pas empêcher une guerre d’apparaître. Et les nouvelles de la fin de l’année 2021 ne sont pas particulièrement encourageantes quant au sort de l’Ukraine. La Russie envisage-t-elle vraiment d’envahir le pays ? Si c’est vraiment le cas alors l’UE ne peut rien faire d’assez efficace pour empêcher la violence de se produire, comme elle n’a pu empêcher aucune autre. La seule garantie de la sécurité de l’Ukraine provient des États membres individuellement, comme la France qui s’est engagée à défendre l’Ukraine, suivie par le Royaume-Uni et les États-Unis qui ont clairement fait savoir que les conséquences seraient lourdes pour la Russie. L’UE est ici impuissante.
Fukuyama et sa théorie de la fin de l’Histoire sont en partie fautifs
La raison pour laquelle l’entité supranationale est impuissante face aux tyrans et à la violence est qu’elle ne peut pas être violente elle-même. Tous les pays qui sont intervenus pour mettre en garde la Russie contre une intervention en Ukraine sont des puissances militaires dotées d’un arsenal nucléaire. L’UE ne dispose que d’un soft power et d’un hard power économique (sanctions économiques) pour exprimer sa puissance. Elle n’a pas d’armée, nécessaire pour calmer les menaces potentielles. La seule chose qu’elle possède actuellement est la PESCO, l’embryon d’une quelconque défense commune. Les États-Unis sont représentés par un aigle, la Russie l’ours brun, la Chine le dragon insidieux et l’UE serait le mieux décrit non pas par un taureau mais par un panda roux avec une position menaçante (Avez-vous déjà vu un panda roux avec une position menaçante ? Recherchez sur internet, c’est adorable).
Un grand nombre d’universitaires qualifient l’UE de « force normative », de « force du bien »... bref, de panda roux. L’attitude de l’UE envers ses voisins est celle de partenaires à partenaires, sans aucune coercition, même envers ses futurs membres dont certains décident parfois d’enfreindre certaines règles de démocratie et de justice, comme la Serbie. Elle est la première et la seule entité de l’histoire à prospérer lorsque les autres prospèrent également. La Commission envoie des fonds pour construire des infrastructures dans d’autres pays car ils veulent que ces pays soient prospères et stables, et non pour les endetter à jamais et les faire rentrer dans une zone d’influence. Le but originel est certes égoïste, car en faisant cela l’Union est elle-même plus stable, mais jamais dans l’histoire une telle politique n’a été bénéfique pour les deux parties. L’attitude de l’UE est parfaite lorsque les partenaires sont consentants pour construire ensemble un avenir radieux. Le problème de la guerre, au grand dam de Bruxelles, est que le consentement est relégué au rang d’option. Si tel n’était pas le cas, l’Ukraine pourrait simplement dire « non » et contrôlerait encore aujourd’hui la Crimée ou la région du Donbass. L’UE vit aujourd’hui dans ce monde, où elle souhaite tenir la main de ses partenaires et avancer ensemble, tout en étant contrariée et surprise lorsque certains décident de mordre à la place. Si une guerre entre la France et l’Allemagne semble ridicule, l’éventualité d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine ne fait pas sourire grand monde.
Transformer l’UE en réelle puissance régionale
Avec cela à l’esprit, les gens devraient cesser de se demander pourquoi la Commission européenne ne peut envoyer que des « pensées et des prières » lorsqu’un événement majeur se produit, car c’est le mieux qu’elle puisse faire sans outrepasser ses compétences. Les sanctions économiques, autres que le gel des avoirs, n’ont pas été particulièrement efficaces par le passé (par exemple, les sanctions contre la Russie en 2014). En cela, la position française sur une défense européenne commune pourrait avoir été la bonne depuis le début. Les Européens ne peuvent être influents dans leur voisinage immédiat, et encore moins dans le monde, s’il n’y a pas d’armée européenne. L’UE a trop longtemps joué le jeu international comme si nous vivions dans la fin de l’histoire de Fukuyama, où les enjeux seraient fixés à jamais et les règles respectées par tous. Or rien n’est figé, et les adversaires de la démocratie et de la liberté feront tout ce qui est en leur pouvoir pour leur nuire. Si l’UE ne peut prétendre être une menace sérieuse, elle est condamnée à encaisser les coups et à perdre en crédibilité jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Pour terminer sur une note positive, le nouveau gouvernement allemand semble avoir compris l’enjeu et semble plus à l’aise avec une telle idée, ce qui ne fera qu’influencer l’UE dans cette direction. Surtout, maintenant, que les poids lourds de l’Europe, le triptyque France-Italie-Allemagne est engagé dans une voie commune . La Commission de Mme Von der Leyen est également de plus en plus audacieuse dans sa position diplomatique, même si cela crée parfois des frictions et des faux pas. Le problème a été vu et reconnu, il ne manque plus qu’une volonté politique suffisante pour passer à l’action.
Suivre les commentaires : |