L’UE s’accorde sur l’interdiction de la déforestation importée, une première mondiale

, par Henri Clavier

L'UE s'accorde sur l'interdiction de la déforestation importée, une première mondiale
Source : Flickr

Dans la nuit du 5 au 6 décembre, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont parvenus à un accord décisif sur le règlement visant l’interdiction de la déforestation importée. Une étape fondamentale dans le développement d’une politique climatique et environnementale impactante en Europe et à l’international à l’heure où l’Union européenne représente, selon WWF,

La procédure législative devrait donc arriver à son terme prochainement permettant l’adoption d’un règlement sur l’interdiction de l’importation de produits issus de la déforestation ou en découlant. La déforestation désigne la destruction des forêts, le plus souvent pour répondre à une logique d’extension des terres agricoles cultivables. La liste des produits à surveiller comprend le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le bois, le caoutchouc, le charbon de bois et les produits en papier imprimé ainsi que tous les produits en découlant (meubles, cuir, chocolat …). La Commission européenne pourra étendre la liste au bout de deux ans si nécessaire.

Un texte aux allures ambitieuses, notamment grâce à l’inclusion de l’huile de palme, du soja et de la viande de bœuf, responsables des deux tiers de la déforestation importée au sein de l’UE.

Une initiative du Parlement européen

Le Parlement européen a joué un rôle moteur dans l’adoption de ce texte clef. Dans un premier temps, en demandant à la Commission, dans le cadre de l’article 225 du TFUE, de présenter une initiative législative sur la déforestation importée en octobre 2020. Cette proposition, intrinsèquement liée au paquet climat développé par l’exécutif européen, a finalement été reprise par la Commission en novembre 2021 et soumise pour la procédure législative ordinaire.

Après l’arrêt d’une position commune au Conseil le 28 juin 2022, le Parlement s’est accordé courant septembre sur sa position de négociation. Les eurodéputés et les Etats membres sont donc parvenus hier soir à un accord reprenant les principales mesures soutenues par le Parlement. La liste des produits visés est aussi large que souhaitée, elle inclut le caoutchouc qui initialement n’était pas concerné, et n’occulte aucun des produits massivement responsables de la déforestation importée (huile de palme, soja et viande de bœuf). Le maïs n’a cependant pas été inclus à la liste. Autre réclamation du Parlement européen, l’inclusion d’un volet relatif à la protection des droits humains et notamment ceux des populations autochtones largement victimes de la déforestation. Sur un autre sujet majeur, celui de la définition de la déforestation, le Parlement a également obtenu gain de cause en faisant reprendre au texte la définition de la déforestation retenue par la FAO permettant ainsi d’inclure tous les écosystèmes boisés sans se cantonner aux forêts primaires. Le groupe socialiste a toutefois regretté que des espaces comme les savanes ne soient pas concernées.

Enfin, les négociations ont longuement portées sur la manière d’assurer l’effectivité d’un tel règlement. Les pays seront classés en fonction du niveau de risque de participation à la déforestation, cette classification déterminera ensuite l’intensité des contrôles pratiqués. Les importateurs devront apporter la preuve qu’ils ne participent pas à la déforestation en fournissant des images satellites ainsi que les coordonnées GPS et la géolocalisation des exploitations.

A l’issue des négociations, le rapporteur Christophe Hansen (PPE) a exprimé toute sa satisfaction : "Ce n’était pas facile mais nous avons obtenu un résultat ambitieux avant la COP15 sur la biodiversité à Montréal. Ce nouvel outil important protégera non seulement les forêts du monde entier et concernera également le caoutchouc, le papier imprimé et le charbon de bois. En outre, nous avons veillé à ce que les droits des populations autochtones, nos premiers alliés dans la lutte contre la déforestation, soient effectivement protégés. Nous avons également obtenu une définition plus large de la dégradation des forêts, qui concernera une vaste zone forestière.” Fort de ce succès, le rapporteur n’a pas caché sa volonté de surfer sur cette dynamique : “J’espère que ce règlement novateur donnera un élan à la protection des forêts dans le monde entier et inspirera d’autres pays lors de la COP15.”

Un dossier poussé par la France

Si la célérité peut étonner les connaisseurs avertis des cénacles bruxellois, le règlement a aussi bénéficié du soutien important de la France sur le sujet, notamment lors de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. Pionnière sur le sujet en Europe, la France avait lancé dès 2018 une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.

L’objectif posé par la stratégie était clair, se passer de tous les produits issus de la déforestation à l’horizon 2030. Si la stratégie prévoyait des initiatives au niveau national comme la relance d’une production française de soja, la réalisation des objectifs posés devait nécessairement passer par une impulsion au niveau européen.

Si la France n’avait pas pris de mesures particulières pour pousser la Commission à présenter une initiative législative sur la déforestation importée, le tempo s’est accéléré avec le revirement de la position française sur l’accord de libre échange entre l’UE et le Mercosur. Cet accord, signé en 2019 mais pas ratifié, prévoyait la facilitation des échanges entre l’Union européenne et le Mercosur mais

Un changement de position confirmé durant la Présidence française du Conseil au premier semestre 2022. Profitant d’être au centre des négociations, la France a pu accélérer considérablement le processus menant à l’adoption de la position du Conseil dans les derniers jours de la Présidence française. Un véritable succès pour la majorité présidentielle dont s’est félicité Pascal Canfin “C’est un texte qui a un impact réel sur notre quotidien” emboitant le pas du Président de la République, Emmanuel Macron, qui avait déclaré sur les réseaux sociaux “Nous sommes les premiers au monde à le faire”.

Une première mondiale, l’UE face à son pouvoir normatif

En adoptant le règlement sur la déforestation importée, l’Union européenne continue de développer un pouvoir normatif. Le sens de la politique climatique de l’Union européenne tourne principalement autour de la restriction de l’accès au marché intérieur. En interdisant la commercialisation de produits issus de la déforestation, l’Union européenne cherche également une influence au-delà de ses frontières. L’influence normative de l’UE repose sur l’attractivité de son marché intérieur, en obligeant les acteurs de son espace économique à se conformer aux obligations posées par le droit européen, l’UE entend influencer le commerce international.

L’Union européenne se devait d’assumer sa responsabilité en matière de déforestation et rompre avec son statut de deuxième destructeur de forêts au monde (derrière la Chine). L’enjeu était aussi d’affirmer la capacité à construire une Europe puissante dont l’influence dépasse ses frontières.

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