Très chère Federica Mogherini,
Flux massifs de réfugiés au Proche-Orient, Russie en Syrie, essais nucléaires en Corée du Nord : l’organisation actuelle du monde est plus fragile que jamais. Le Forum annuel de Munich sur les politiques de défense (Munich Security Conference) a rarement été aussi bien représenté que cette année. Vous aussi étiez au rendez-vous, afin de discuter avec les représentants des gouvernements, comme en témoignent les photos sur votre blog. On y a bien souri mais la couverture médiatique de la conférence en montre une autre réalité. Un cessez-le-feu pour la Syrie a certes été convenu, mais de tous les côtés les doutes concernant le respect de ce cessez-le-feu sont pointés de manière légitime. Le Premier ministre français, Manuel Valls a réagi froidement au sujet du plan d’Angela Merkel [1] d’organiser de nouveaux quotas de répartition des réfugiés au sein de l’Europe. Selon lui, l’Union européenne devrait au contraire envoyer le message qu’elle ne reçoit pas plus de réfugiés. Pendant ce temps, le Premier ministre russe Dmitrij Medwedew affirme que les rapports actuels entre l’Union européenne et la Russie sont en train de glisser vers une nouvelle guerre froide [2].
« Conflits sans limites - capacités limitées », le thème de la conférence semble aussi exactement correspondre à votre rôle. Car pendant que les chefs d’Etat et de gouvernements européens se disputent à coup de rubriques politiques dans les quotidiens nationaux, votre nom n’apparaît que dans les propositions subordonnées. La situation était différente il y a un an. Lorsque vous avez pris vos fonctions en novembre 2014, vous étiez encore dépeinte comme une novice en politique, mais vous avez rapidement prouvé le contraire à vos quelques détracteurs, grâce à votre grande force de travail et votre détermination politique. Russie, Ukraine, Syrie, Libye et de nouveau la solution des deux Etats pour Israël – aucun conflit, auquel vous n’avez pas essayé de trouver une solution diplomatique. Vous pouviez enregistrer en même temps de véritables et francs succès, telles les négociations fructueuses sur le programme nucléaire iranien ou bien les sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre la Russie en réaction à la crise de Crimée. Et pourtant, il semble que vous n’êtes jamais aussi forte dans ces négociations que lorsque les Etats membres vous le permettent. La voix juvénile de l’Union européenne en matière de politique étrangère ne s’est pas encore affirmé pour devenir une voix adulte.
Dans ces temps de renationalisation, de populisme d’extrême-droite et de récriminations entre les Etats, il est d’autant plus important d’avoir une cheffe des Affaires étrangères de l’Union qui soit forte, qui favorise le dialogue intra-européen, structure et ainsi anime l’orientation des résultats. Beaucoup d’enjeux sont sur la table : la liberté des 500 millions de citoyens de l’Union européenne autour des accords de Schengen ; la vie de milliers d’hommes et de femmes qui fuient la guerre et la terreur et recherchent chez nous une protection – et naturellement l’avenir politique de l’Union européenne qui dépend de la réponse à ces problèmes.
Les 18 et 19 février prochains s’ouvre à Bruxelles un Conseil européen. A cette occasion, il ne sera pas seulement négocié sur les souhaits particuliers du Royaume-Uni, mais avant tout sur les prochaines étapes de l’amélioration de la situation des réfugiés. En 2014, vous disiez déjà : « Nous avons une obligation morale de sauver les vies humaines. C’est ça l’Europe. » Il est grand temps de rappeler à vos collègues européens ce que vivre dans une fédération d’Etats démocratiques veut dire. Des valeurs telles que l’égalité, la solidarité et le respect de la dignité humaine doivent continuer à représenter de manière crédible et effective l’Union européenne. Soyez courageuse ! Les compétences diplomatiques nécessaires pour cela, vous les avez déjà.
Nathalie Bockelt
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