L’Union européenne est confrontée à trois enjeux majeurs : l’organisation d’un nouvel ordre mondial, l’affirmation de l’Europe dans le combat contre Daesh et l’instauration d’un réel processus de stabilisation au Moyen-Orient. Ces trois enjeux sont liés. Alors que la précipitation et la confusion semblent s’être imposées dans le combat face à l’Etat islamique. Alors que l’Union européenne semble désorientée, notamment dans sa situation politique, nous devons impérativement définir une stratégie efficace, au service d’un réel projet pour le monde.
L’offensive turque ou la loi du chaos
Daesh est en recul sur tous les fronts. Cette proximité avec une défaite attendue favorise une précipitation périlleuse pour l’équilibre d’une région, déjà fortement ébranlée. Guidés par leurs seuls intérêts, sans aucune vision pour l’avenir du Moyen-Orient, les Etats engagés contre l’Etat islamique se perdent dans une improvisation tragique. La Turquie a longtemps entretenu une relation de connivence tacite avec Daesh, avant de prendre peur. Menacée par le renforcement de l’Etat islamique comme l’ensemble des régimes sunnites, la Turquie a cessé tout soutien à ces djihadistes. Armés et financés par les Américains, les Kurdes reprenaient les villes et villages abandonnés par Daesh, ce qui les rapprochait d’un contrôle de tout le Nord de la Syrie, et donc de toute la frontière avec la Turquie. Or c’est cette zone qui longe les régions kurdes de Turquie. Décidée à contrer l’action des Kurdes et à empêcher une dislocation de son Etat, la Turquie a ainsi lancé une offensive en territoire syrien, le 24 août 2016. Ankara souhaite également, par son action militaire, s’assurer une influence dans l’éventuelle reprise d’incertaines négociations de paix. Les calculs à court terme sont toujours les seuls moteurs d’acteurs à l’interventionnisme exacerbé. La loi du chaos semble encore une fois s’imposer. Les Etats-Unis, les yeux tournés vers l’Asie, ne portent aucune vision et aucune stratégie. L’Europe doit sortir de sa torpeur et retrouver l’initiative. Elle doit pour cela, recouvrer son unité.
Rénover la diplomatie occidentale
Nous avons assisté le mercredi 6 juillet 2016, à la publication du rapport de la commission d’enquête sur l’engagement du Royaume-Uni dans la guerre en Irak en 2003. Un rapport accablant pour l’ex-Premier ministre Tony Blair. George W. Bush et Tony Blair se sont fondés sur le mensonge et la manipulation, pour entrainer leurs pays dans une invasion prématurée, alors que l’action militaire n’était pas inévitable. Le 14 février 2003, Dominique De Villepin, Ministre des Affaires étrangères de la France, avait prononcé un discours historique devant le Conseil de sécurité de l’ONU, contre la guerre en Irak. La vérité de ce discours résonne encore aujourd’hui. La France avait fait le choix de la vérité et l’Allemagne s’était retrouvée sur la même voie. C’est ce devoir de vérité et cette volonté d’instaurer la paix qui doivent guider notre diplomatie. Dès que nous oublions notre mission de paix, nous tombons dans tous les pièges, nous commettons toutes les erreurs. La guerre en Irak a enclenché la création de Daesh. Aujourd’hui, en 2016, nous devons en tirer définitivement les enseignements. Nos ennemis sont la précipitation et la désunion. A l’inverse, nos forces résident dans notre capacité à nous inscrire dans la durée et à rester cohérents. Alors que Daesh cherche à propager le virus de la violence et de la division, nous devons nous rappeler que nous ne gagnerons qu’en demeurant unis et qu’en encourageant l’unité partout où elle est menacée. La diplomatie occidentale est appelée à se rénover. Et l’Europe a vocation à participer à cette rénovation.
Construire la paix en Syrie et au Moyen-Orient
Le processus d’instauration d’une trêve en Syrie ne produit aucun résultat durable. L’ONU traverse une période très ardue et n’a pas réussi à donner une direction politique à un ensemble de plus en plus incohérent et inquiétant. Daesh perd la bataille militaire, mais certainement pas la bataille politique. L’absence d’un compromis solide en Syrie et la fragilisation des démocraties occidentales, conduisent le Moyen-Orient à un bouleversement constant et entretenu. Il est impératif qu’un réel processus de transition politique entre en œuvre, en Syrie. Nous ne pouvons que constater la nécessité d’impulser une nouvelle dynamique diplomatique, afin d’enclencher un véritable tournant. La Syrie a besoin d’unité politique et cette unité ne sera possible qu’avec le départ de Bachar al-Assad. Assad est un despote qui prospère sur les déchirures cruelles de son propre peuple. La bataille d’Alep en est la terrible démonstration. Tant que la dynastie Assad et la minorité chiite dont elle est issue garderont le pouvoir, la majorité sunnite de la population syrienne continuera à se regrouper dans un combat identitaire, ce qui ouvrira toujours des perspectives aux djihadistes. Les tensions ne cessent de croître entre l’Iran et l’Arabie saoudite, champions du chiisme et du sunnisme, des deux religions de l’islam, qui s’affrontent afin d’obtenir la prédominance régionale par alliés chiites et sunnites interposés. La situation est grave et extrêmement menaçante. L’Europe a le devoir de retrouver l’initiative sur le plan diplomatique, afin d’aboutir à de véritables résultats, qui iront dans le sens d’une stabilisation et donc d’une défaite politique de Daesh. Cessons de laisser aux Etats-Unis et à la Russie, le monopole des opérations diplomatiques. L’Europe est légitime pour porter son message.
Développer une stratégie européenne en Syrie
« Ce n’est qu’ensemble que nous sommes, et que nous resterons, une force incontournable. Pourtant, même si l’Europe est fière d’être une puissance douce qui revêt une importance mondiale, nous ne devons pas être naïfs. La puissance douce ne suffit pas dans un voisinage de plus en plus dangereux ». Le 14 septembre 2016, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a prononcé son deuxième discours sur l’état de l’Union, devant les parlementaires européens réunis à Strasbourg. Constatant l’urgence de la question syrienne et l’absence de l’Europe dans les négociations en cours, Jean-Claude Juncker a plaidé pour un renforcement de la diplomatie européenne. Le président de la Commission européenne veut accroître le rôle de l’actuelle Haute Représentante de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini. Selon Jean-Claude Juncker, Federica Mogherini doit devenir une véritable ministre européenne des affaires étrangères, fédérant tous les corps diplomatiques, de tous les pays membres de l’Union, afin de pouvoir représenter une diplomatie européenne résolue. Dans ce cadre, Jean-Claude Juncker a très justement appelé à développer une stratégie européenne pour la Syrie. Il a ainsi légitimement considéré qu’en disposant d’un siège à la table des discussions sur l’avenir de la Syrie, Federica Mogherini serait en mesure d’incarner cette présence européenne tant nécessaire pour reconstruire la Syrie et l’engager sur la voie d’une réelle transition politique, conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans son discours du 14 septembre 2016, Jean-Claude Juncker a également présenté un plan pour la Défense de l’Union européenne, en annonçant l’instauration d’un quartier général unique de planification et de suivi des missions militaires et civiles de l’UE, ainsi que la création d’un Fonds européen de la Défense. Jean-Claude Juncker souhaite établir une coopération structurée et efficace entre les armées nationales européennes, tant sur le plan des dépenses que sur le plan opérationnel. Le manque de coopération en matière de défense coûterait à l’Europe entre 25 et 100 milliards d’euros par an, en fonction des domaines concernés. Suite à ce discours, le sommet de Bratislava du 16 septembre 2016 ne s’est pas montré à la hauteur et n’a débouché sur aucune décision déterminante. Le discours de Jean-Claude Juncker était animé par un réel volontarisme politique. Le président de la Commission européenne a avancé des propositions concrètes, au service d’un projet européen humaniste, ambitieux et crédible. En cette période de Brexit, Jean-Claude Juncker a posé les bases d’un véritable tournant. Alors que l’unité européenne est aujourd’hui fortement menacée, nous sommes placés devant la responsabilité de refonder l’Europe. Consolidons nos outils diplomatiques et militaires, enclenchons des chantiers communs et opérons le renouveau tant espéré par les citoyens européens. L’Europe ne revivra que lorsqu’elle sera animée par le courage et l’imagination qui l’ont conduit à son accomplissement.
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