Une compétence nationale sous contrôle européen
La CJUE rappelle bien que la détermination des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence exclusive des États membres. Mais elle précise aussi que cette compétence doit s’exercer « dans le respect du droit de l’Union », conformément à une jurisprudence désormais bien établie. En d’autres termes, son octroi doit résulter d’un réel lien, autre qu’économique, entre le demandeur et le pays concerné.
Dans le cas du programme maltais, la Cour estime que le fait d’octroyer la nationalité nationale en l’échange d’un investissement de minimum 690 000€, sans qu’aucune condition de résidence, ou de lien culturel ne soit requise, constitue une « commercialisation » de la citoyenneté de l’Union, incompatible avec les principes européens, et le droit en vigueur de l’Union européenne.
Cet arrêt rappelle également la constance de la CJUE dans sa jurisprudence, et son rôle protecteur des objectifs fondamentaux de l’Union européenne. En effet, la Cour veille à ce qu’ils ne soient pas détournés, en simples instruments de commodité économique par exemple.
« Passeports dorés », un enjeu géopolitique d’actualité
La guerre en Ukraine n’a pas seulement bouleversé la géopolitique européenne, elle a aussi replacé sur le devant de la scène un vieux débat : celui de la vente de citoyenneté. En février 2022, dans une Déclaration conjointe sur de nouvelles mesures économiques restrictives contre la Russie, la Commission européenne identifie clairement les « passeports dorés » comme un angle mort à combler. Elle y affirme qu’elle s’engagera « En particulier,[…] à prendre des mesures visant à limiter la vente de citoyenneté, au moyen des fameux « passeports dorés », qui permettent aux Russes fortunés liés au gouvernement russe de devenir citoyens de nos pays et d’accéder à nos systèmes financiers. »
Dans la foulée, le Parlement européen s’est saisi de la question, appelant à interdire ces programmes de citoyenneté contre investissement, et à réglementer plus strictement les régimes de résidence (les « visas dorés »). Les députés ont également exigé que les ressortissants russes visés par des sanctions soient exclus de ces mécanismes, considérés comme autant de failles dans le dispositif de sécurité européen.
C’est dans ce contexte qu’a résonné la prise de position de la députée néerlandaise Sophia in ’t Veld (Renew Europe), l’une des voix les plus actives sur le sujet au sein de l’hémicycle :
« Ces programmes ne servent qu’à fournir une porte dérobée pour entrer dans l’UE aux individus suspects qui ne peuvent pas y entrer par la grande porte. Le moment est venu de fermer cette porte, pour que les oligarques russes et d’autres personnes disposant d’argent sale restent dehors. Les gouvernements ont refusé de s’attaquer au problème, affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une question européenne. Au vu de ce qui se passe actuellement, ils ne peuvent plus éluder le problème. »
L’arrêt de la CJUE vient donc conforter une ligne politique plus ferme sur le sujet, en traduisant dans le droit ce que les institutions européennes expriment depuis 2022 : l’Union ne peut plus tolérer que son espace juridique et économique soit utilisé comme monnaie d’échange par les États membres.
Des milliards contre des principes ?
Par ailleurs, une étude du Parlement européen démontre qu’entre 2011 et 2019, près de 130 000 personnes ont bénéficié de ces régimes d’investissement, ce qui représente plus de 21,8 milliards d’euros de recettes pour les pays concernés.
La volonté d’interdire ou restreindre ces régimes s’explique notamment par les avantages que la nationalité ou la résidence européenne peuvent conférer aux bénéficiaires. Parmi eux, on retrouve la libre circulation, le droit de vote et l’éligibilité aux élections européennes et municipales, la protection consulaire dans les institutions diplomatiques des 27 États membres de l’Union européenne, et la qualité d’agir et de défendre ses droits à l’échelle européenne.
Des droits de citoyenneté qui, une fois acquis, ne sont plus conditionnés par l’origine de leur obtention, d’où la nécessité, pour l’Union, de veiller à leur attribution en amont.
Vers une extension de la jurisprudence ?
Se pose aussi la question de savoir si la condamnation de Malte restera un cas isolé ou si elle pourrait ouvrir la voie à d’autres procédures similaires, notamment à l’encontre de la Bulgarie et de Chypre. Ces deux États membres disposaient également de programmes de citoyenneté par investissement, jusqu’en 2022 pour la Bulgarie, et 2020 pour Chypre. Officiellement abandonnés, ces dispositifs ont pourtant permis à des milliers de ressortissants non-européens d’obtenir un passeport européen en échange de sommes parfois colossales, sans véritable exigence d’intégration ou de résidence.
Certes, les gouvernements concernés affirment que tous les dossiers en suspens ont été traités ou clos. Mais la décision de la CJUE à l’encontre de Malte envoie un message clair : même les dispositifs encore actifs au moment du jugement, et suspendus dans sa foulée, ne sauraient échapper à l’examen du droit européen s’ils ont contrevenu aux principes fondamentaux de l’Union. Une brèche s’est ouverte, et la Commission européenne pourrait s’en saisir pour remettre en question la légalité des anciennes naturalisations accordées dans ce cadre, ou du moins pour réclamer des garanties et des audits sur leur conformité avec les standards européens.
Une vigilance à maintenir sur les « visas dorés »
Si les programmes de citoyenneté contre investissement s’effacent progressivement, ceux de résidence contre investissement, eux, persistent dans douze États membres, comme l’Espagne, l’Irlande, la Grèce ou encore le Portugal. Fondés sur des montants et des options d’investissement variables, de l’immobilier à l’entreprenariat, ils demeurent un angle mort juridique qui, en l’absence d’un encadrement européen clair, pourrait reproduire les mêmes dérives que les programmes de citoyenneté contre investissement.
La CJUE, en se prononçant contre la « commercialisation » de la citoyenneté, pourrait à terme élargir son raisonnement à ces dispositifs, si ceux-ci venaient à miner les objectifs de cohésion, de sécurité ou de solidarité sur lesquels l’Union se fonde.
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